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Revue de presse : Article dans L'Expansion du 17/12/2010 : Jouets, attention aux poisons

La France a suspendu de la vente les tapis-puzzle en raison de leur possible nocivité. Prévue pour entrer en vigueur en 2013, la nouvelle législation sur l'usage des substances chimiques dans les jouets est déjà jugée trop laxiste. Enquête.

Des poupées et des bouées bourrées de phtalates, cancérigènes et toxiques pour la reproduction, des petites voitures recouvertes d'une peinture au plomb, un puissant neurotoxique, des puzzles en bois dégageant du formaldéhyde, cancérigène également... Autant de jouets dangereux pour la santé des enfants, retirés en urgence des magasins français, allemands ou italiens ces derniers mois.

 

Et ce ne sont que quelques exemples tirés de la base Rapex de la Commission de Bruxelles, qui liste les produits à risques détectés aux frontières ou sur les étalages européens. En 2009, les jouets figuraient en tête de ces alertes, avec le danger chimique comme premier motif de retrait. Encore s'agissait-il de produits dont les taux de contamination explosaient les seuils légaux, pourtant très laxistes. La réglementation en vigueur sur la sécurité des jouets date en effet de 1988, et prend mal en compte les substances chimiques.

 

Ainsi, lorsque des associations de consommateurs réalisent des tests - 60 Millions à Noël dernier ou l'allemand Stiftung Warentest en novembre -, elles trouvent souvent un cocktail inquiétant de molécules, alors que les jouets sont considérés comme conformes à la législation. Meilleure preuve des insuffisances de la loi : elle a déjà été révisée. Une nouvelle directive européenne a été publiée en juin 2009. Seulement voilà, son volet chimie n'entrera en vigueur qu'en juin... 2013, contre 2011 pour le reste du texte. "Il fallait laisser le temps aux industriels de s'adapter, et aux autorités de mettre au point des tests adaptés aux nouvelles règles", explique-t-on à la Commission. En attendant, on risque donc encore de trouver des jouets contenant, entre autres, des allergènes, du formaldéhyde ou du chrome 6 (cancérigènes) : en France, ni les douanes ni la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ne traquent ces substances, faute de base légale...

 

L'OMS recommande d'éliminer totalement le plomb

"Si le nouveau texte présente de vraies avancées, il reste encore des lacunes", regrette Corinne Lepage, vice-présidente de la commission Santé-environnement du Parlement européen. Un avis partagé par de nombreuses ONG, mais pas seulement. Ainsi, le gouvernement allemand vient de demander à Bruxelles de revoir sa copie, arguments scientifiques à l'appui. La Commission a donc chargé des experts de plancher à nouveau sur le sujet. Et il y a de quoi faire !

Exemple avec les métaux lourds : 19 seront réglementés demain, contre 8 aujourd'hui. Sauf qu'au passage certains seuils ont été... relevés. Comme celui du plomb, alors même que l'Organisation mondiale de la santé recommande de l'éliminer des jouets. "De nouvelles études montrent un effet sur le développement intellectuel des enfants à n'importe quelle dose. Nous devrions donc obtenir une réduction forte des seuils", espère Franz Fiala, un des experts bruxellois.

 

Les discussions sur les CMR s'annoncent plus ardues : derrière ces initiales se cachent plus d'un millier de substances cancérigènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, pourtant susceptibles de se trouver dans des jouets. En théorie, la nouvelle directive les interdira totalement. Mais avec tant d'exemptions que certaines d'entre elles pourraient encore représenter, demain, jusqu'à 5 % du poids d'un jouet. Beaucoup trop pour l'agence de sécurité sanitaire allemande. Pour le prouver, elle a pris l'exemple des HAP, des molécules cancérigènes présentes dans certains plastiques ou dans les cigarettes : "Un enfant qui tiendrait dans ses mains pendant une heure un jouet intégrant une de ces molécules au seuil autorisé en absorberait autant par la peau que s'il fumait 40 cigarettes." D'où la proposition de Berlin d'appliquer aux CMR la législation en vigueur pour les matériaux au contact de produits alimentaires, bien plus stricte. Mais l'idée ne fait pas l'unanimité à la Commission. "Les industriels auraient du mal à s'adapter. Le sujet ne va donc pas avancer très vite", regrette Franz Fiala.

 

Un "effet cocktail" aux conséquences méconnues

 

 Quels que soient les seuils retenus, la directive fait l'impasse sur un sujet majeur : le fameux "effet cocktail". Quel est l'impact de l'accumulation dans un même objet de plusieurs substances, chacune à une dose inférieure au seuil considéré comme sûr ? Personne n'en sait rien. "Nous travaillons sur le sujet, car c'est une préoccupation des autorités européennes", souligne Gérard Lasfargues, le directeur scientifique de l'Agence de sécurité sanitaire française.

 

Quant à la question des allergènes, elle ne sera même pas réabordée. En Europe, 10 % des enfants souffrent pourtant d'allergies incurables au nickel et 2 %, aux parfums. Certes, la directive interdira 55 parfums allergisants. Mais là aussi à partir d'un seuil trop élevé, selon les experts allemands. Eux plaident pour une interdiction totale et une réglementation pour le nickel. Mais il y a pis. La directive oublie de nombreux objets, comme les bouées ou les fournitures scolaires, car ce ne sont pas des jouets. Pourtant, ils ne sont pas exempts de risques pour les enfants. D'après une étude officielle danoise, certaines gommes contiennent le phtalate le plus nocif : cet objet anodin mettrait en danger la santé d'un enfant qui le suçoterait régulièrement...

 

Si de nombreux sujets restent en suspens, c'est aussi qu'il n'est pas facile de se passer de ces substances pour fabriquer des jouets. Patricia Proïa, de l'Association française de normalisation, vient d'en faire l'expérience. Son organisme, chargé de créer des normes techniques ou environnementales, voulait lancer un label "NF environnement jouets et jeux" : "Nous avions monté un groupe de travail avec une dizaine d'industriels motivés. Au fil du temps, face aux difficultés, la plupart sont partis", soupire-t-elle. Le label verra le jour mi-2011. Mais elle ne s'attend pas à pouvoir l'attribuer avant 2012 : "Les producteurs intéressés devront s'adapter, cela prend du temps." Pauvre Père Noël !

 

Par Stéphanie Benz

 

 

Le catalogue des substances nocives

Tous ces jouets, découverts dans différents pays européens, ont été retirés de la vente en 2010 ou en 2009. Ces retraits, effectués volontairement par les commerçants ou à la demande des autorités de surveillance du marché, ont fait l'objet d'une alerte sur la base Rapex de la Commission. Leur description complète: ici

 

Phtalates
Des phtalates interdits dans les jouets vendus en Europe ont été retrouvés dans une poupée. Cancérigènes et toxiques pour la reproduction, ces substances peuvent être absorbées par la peau ou par la bouche.

 

Formaldéhyde
Une quantité de formaldéhyde trois fois supérieure à la norme a été trouvée dans un puzzle en contreplaqué. Ce produit, cancérigène, est l'un des principaux polluants de l'air intérieur des logements.

 

Acétophénone
Un modèle de matelas-puzzle en mousse contient de l'acétophénone. Cette substance dégage dans l'air des émanations irritantes pour les yeux, et serait toxique pour un enfant qui ingérerait des petits bouts de matelas.

 

Nitrosamines
Certains ballons gonflables multicolores contenaient deux sortes de nitrosamines, une substance cancérigène à des taux dépassant de 400 % et de 120 % les seuils autorisés en Allemagne, où ils ont été découverts.

 

Métaux lourds
Des taux élevés de plomb (neurotoxique) et de chrome (cancérigène) ont été découverts dans la peinture d'une voiture. Ils peuvent être absorbés par la bouche ou par un contact prolongé avec la peau (chrome).



21/12/2010
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