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Revue de presse : Article dans Le Monde du 07/04/2010 : "Le gouvernement n'a pas d'ambition pour la petite enfance"

Les professionnels de la petite enfance sont appelés une nouvelle à manifester et à se mettre en grève, jeudi 8 avril, à l'appel ducollectif "Pas de bébés à la consigne!", opposé à un assouplissement des règles d'accueil. Invité d'un chat, mercredi 7 avril, Christophe Harnois, l'un des porte-parole du collectif, explique pourquoi il est opposé au décret du gouvernement qui doit permettre d'augmenter ponctuellement les capacités d'accueil des crèches et de réduire le nombre de personnels diplômés (auxiliaire de puériculture, éducateur de jeunes enfants...) au profit de personnels moins qualifiés, comme les titulaires de CAP petite enfance.

Kate : Le ministère dit que le nombre d'enfants en surnombre que pourront accueillir les crèches va passer de 10 % à 20 %, mais uniquement de façon ponctuelle. Qu'est-ce que cela veut dire ?

Christophe Harnois : Aujourd'hui, l'accueil avec surnombre de 10 % est une réalité. Cela veut dire qu'une crèche qui a normalement un accueil pour 60 berceaux, en réalité, accueille 66 enfants, tous les jours.

Si demain on a un accueil en surnombre porté à 20 %, dans les établissements de plus de 40 berceaux, cela veut dire concrètement que certains jours, et à certains moments de la journée, notamment en début et en fin de journée, on n'aura plus un professionnel pour huit enfants qui marchent, ou un professionnel pour cinq bébés, mais un ratio largement inférieur.

Le ponctuel risque de se transformer en quelque chose de permanent, parce que derrière cet accueil en surnombre, il y a une vision exclusivement comptable, rentable, et qui ne prend pas en compte les exigences de l'accueil d'un jeune enfant en crèche.

C'est-à-dire avoir du temps pour accueillir l'enfant et sa famille, accueillir l'enfant le matin, répondre aux questions de ses parents, lui proposer ensuite de petits groupes pour les ateliers, pour le repas pouvoir être attentif à chacun. Et en équipes pluridisciplinaires, avoir la possibilité de discuter sur chacun des enfants accueillis : ceux qui vont bien et ceux qui ne vont pas bien.

L'accueil en surnombre remet en cause tout cela. On est loin ici de la théorie du décret, mais on est en plein dans le quotidien de ce que vivent les professionnels, d'où leur colère et leur refus de ce décret sur l'accueil en surnombre.

Fred : A partir de quel taux d'encadrement considérez-vous qu'il puisse y avoir un "problème" ? Et quelle serait la nature des "problèmes" ?

Le nouveau décret prévoit un adulte pour huit enfants qui marchent, et un adulte pour cinq bébés. Ce taux d'encadrement sera modifié du fait de l'accueil en surnombre.

Notre souhait est d'aller un peu plus loin, d'avoir une vraie réflexion, ouverte, à partir de ce qui se fait dans d'autres pays européens, notamment la Suède, pour voir dans quelles conditions on pourrait encore améliorer ce taux d'encadrement.

Un adulte aujourd'hui pour cinq bébés, c'est très difficile. Cela veut dire prendre soin de lui, le changer, le nourrir, l'endormir, le rassurer, et quand on doit le faire pour cinq bébés, en règle normale, mais qui est souvent dépassée, jusqu'à 6, 7 ou 8 bébés, on ne peut pas bien s'occuper de l'enfant.

Donc le collectif estime aussi qu'il doit y avoir une réflexion sur l'amélioration de ce taux d'encadrement.

Sylvain :  Qu'en est-il des jardins d'éveils mis en place par le gouvernement et qui feront sauter à coup sûr la petite et moyenne section de maternelle ?

Les jardins d'éveil sont une expérimentation lancée par le gouvernement avec un financement de la CNAF [Caisse nationale des allocations familiales]. 8 000 places étaient prévues. A ce jour, à peu près 200 places ont été créées. C'est dire le succès... L'objectif étant d'accueillir des 2-3 ans spécifiquement.

Ce que nous disons au collectif, c'est que l'accueil des 2-3 ans se fait déjà en école maternelle, en crèche collective, et même parfois en jardin maternel. J'y travaille, donc je connais cette structure.

Ce jardin d'éveil est une mauvaise réponse à l'accueil de cette tranche d'âge. Le collectif dit : au lieu de créer ces jardins d'éveil, structures payantes au regard de la gratuité de l'école publique, maternelle, nous souhaitons que les moyens en personnels permettant de petits groupes d'enfants soient possibles à l'école maternelle, et également en crèche collective.

Et que s'il doit y avoir ce type de structure de 2-3 ans, c'est sur des critères bien précis de qualité qui sont les suivants : un adulte pour huit enfants de 2 à 3 ans (qui pour nombre d'entre eux ne sont pas encore propres), une direction identifiée, un éducateur de jeunes enfants à plein temps, des professionnels qualifiés, éducateurs de jeunes enfants, auxiliaires de puériculture, des locaux spacieux où l'on puisse organiser et faire le décloisonnement des petits groupes d'enfants.

Voilà les exigences d'un bon accueil des 2-3 ans dans ce type de structure. Et le gouvernement propose véritablement le contraire avec les jardins d'éveil, puisqu'il prévoit un adulte pour huit à douze enfants, sans direction identifiée, et dans des locaux mal déterminés. Aux collectivités territoriales de se débrouiller !

Voilà ce que nous dénonçons.

Et franchement, si le gouvernement se targue d'avoir une ambition pour la petite enfance avec la création de 8 000 places en jardins d'éveil, je pense que les parents peuvent largement sourire et être étonnés d'une si petite ambition.

Je crois que derrière tout cela se cache le manque d'ambition total du gouvernement en matière de politique petite enfance. Un exemple très parlant : le gouvernement dit vouloir créer 100 000 places d'accueil, or le contrat d'objectif et de gestion 2009-2012 de la CNAF n'a prévu l'argent que pour la création de 30 000 places, provisionnant 330 millions d'euros à cet effet.

On est très loin des 100 000 places affichées.

Aliz : Est-ce qu'il est vrai qu'il n'y a pas assez d'auxiliaires de puériculture ? Pourquoi ? A ma connaissance il existe des crèches qui, faute de personnel qualifié, accueillent moins d'enfants qu'il n'y a de places.

Il n'y a effectivement pas assez d'auxiliaires de puériculture aujourd'hui parce qu'on a limité le nombre de places en écoles d'auxiliaires de puériculture depuis plusieurs années. Conséquence actuellement, sur le marché du travail, les auxiliaires de puériculture sont en nombre assez faible.

Ce que le collectif dit, c'est qu'il faut agir rapidement, sur tout le volet formation petite enfance. C'est-à-dire créer suffisamment de places de formation dans les écoles d'éducateurs de jeunes enfants, dans celles d'auxiliaires de puériculture, pour également les puéricultrices.

Aujourd'hui, 5 400 professionnels sont formés pour les trois métiers EJE [éducateurs de jeunes enfants], auxiliaires de puériculture et puéricultrices. Il faudrait former au moins 10 000 professionnels qualifiés par an sur trois ans si l'on veut répondre aux 400 000 places d'accueil manquantes aujourd'hui.

Le nouveau décret présenté par Nadine Morano, la secrétaire d'Etat à la famille, prévoit d'abaisser la présence des professionnels les plus qualifiés dans les équipes à 40 % au lieu des 50 % actuels. Ce qui veut dire que demain, nous pourrons avoir 60 % de professionnels dits moins qualifiés, CAP petite enfance, BEP sanitaire et social.

On ne dit pas que les CAP petite enfance  ne sont pas qualifiés, mais qu'ils sont moins qualifiés, parce que par exemple leur formation ne prévoit pas la compétence sanitaire. Une auxiliaire de puériculture peut se voir déléguer le traitement médical pour un enfant. Un CAP petite enfance ne peut pas le faire aujourd'hui.

StépH : Que pensez-vous de la volonté affichée par le gouvernement de créer 10 000 places de crèches d'entreprise d'ici à 2012 ?

C'est son choix. Il privilégie aujourd'hui les crèches d'entreprise. Le problème, ce n'est pas en soi la création de crèches d'entreprise, mais c'est : comment on les met en place, sur quels critères de qualité ?

Si c'est sur l'accueil en surnombre à 120 %, avec moins de professionnels qualifiés, on peut être très inquiet.

Et le rythme de l'enfant dans tout ça ? Imaginons une maman qui doive quitter son domicile très tôt le matin avec son bébé de six mois, pour se rendre dans son entreprise où elle aura la crèche. Je ne suis pas persuadé que ce soit une bonne chose pour l'enfant, ce trajet matinal et toute la fatigue qui peut en découler.

D'autre part, si elle perd son travail, perd-elle sa place d'accueil ? Il faut donc au contraire privilégier des structures d'accueil à proximité du domicile des parents, et donner la priorité au service public, parce qu'il garantit à tous un accès à un mode d'accueil sans barrière financière.

Deux choses concernant les femmes : le premier point concerne la promotion professionnelle des femmes. Le gouvernement prétend faire en sorte que l'égalité professionnelle hommes-femmes soit une réalité. Or en privilégiant uniquement le CAP petite enfance pour une majorité de femmes qui travaillent dans les établissements d'accueil, le gouvernement les laisse dans une situation de déqualification et non pas de promotion professionnelle et d'évolution de carrière intéressante qui est permis lorsqu'on est auxiliaire de puériculture, en devenant par exemple par la suite éducatrice de jeunes enfants. Le gouvernement rompt ici les passerelles vers d'autres métiers petite enfance.

Le gouvernement, comme je l'ai dit, ne va pas créer 100 000 places d'accueil, c'est faux. Donc qui va être pénalisé ? Evidemment, les femmes, parce qu'aujourd'hui, vous le savez, ce sont elles qui majoritairement, encore, s'occupent des enfants, et donc en ne créant pas suffisamment de places d'accueil il y a entrave évidente à l'accès au travail pour les femmes. Il y a empêchement pour elles de concilier vie familiale et vie professionnelle. C'est une vraie atteinte aux droits des femmes.

Pour conclure, le gouvernement dit avoir une ambition pour la petite enfance. Or, ce que le collectif dit avec force, c'est qu'en fait le gouvernement n'a pas d'ambition pour la petite enfance, et surtout, organise la pénurie parce qu'il ne crée pas de nouveaux établissements, et qu'il empêche des jeunes garçons et filles d'accéder aux métiers de la petite enfance comme ils souhaiteraient le faire, sinon par une baisse de la qualification.

On ne leur donne plus la perspective d'une évolution de carrière intéressante dans la petite enfance, de métiers différents à découvrir – auxiliaires de puériculture, puériculteurs ou puéricultrices –, car on n'augmente pas le nombre de places en formation.

Corto :  Avez-vous des propositions sur le mode de financement de vos propositions, ou occultez-vous totalement la dimension budgétaire avec laquelle le gouvernement doit composer ?

Quelles sont les priorités de ce gouvernement ? Il me semble avoir compris qu'il y avait des marges budgétaires pour le bouclier fiscal. Eh bien pourquoi ne pas consacrer les 800 millions d'euros qui auraient dû être dans les caisses de l'Etat au lieu d'être redistribués à ceux qui gagnent beaucoup à la création d'établissements ? Voilà ce qu'on peut faire aujourd'hui, c'est très concret, mais hélas, on pense avoir compris que ce n'était pas la priorité du gouvernement.

La question budgétaire n'est pas le problème en soi, la question est de savoir si ce gouvernement considère la petite enfance comme une priorité pour répondre aux besoins des familles, en ville, à la campagne, et permettre l'accès au travail pour les femmes sur l'ensemble du territoire.



09/04/2010
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