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Revue de presse : Article dans Le Monde du 25/02/2012 : Scolarité : le pragmatisme des élèves ruraux

Pour les enfants en milieu rural, la tranquillité de la cour de récré peut parfois tourner au casse-tête quand vient le temps du collège. "Dans deux ans, quand j'irai au lycée, j'aurai deux solutions, explique Amandine, 14 ans, qui vit dans un petit village de montagne de 250 habitants (elle a souhaité, comme beaucoup d'élèves, rester anonyme). Soit me lever à 5 heures pour prendre le car, soit être pensionnaire. Et je ne vais pas pouvoir choisir toutes les options que je désire."

Pour Lise, qui a grandi dans le Lot, l'internat n'a pas posé problème. "J'avais besoin de m'éloigner un peu. Et puis, au lycée, j'avais pour voisins une forêt... et des vaches ! Peu dépaysant, en somme." C'est après, dit-elle, que "ça se corse" : "Soit il faut partir en ville, continuer les études pour chercher un boulot intéressant, soit rester en zone rurale et occuper un petit boulot sympa." La jeune femme a fait son choix : elle est vendeuse dans une petite ville des Pyrénées-Orientales.

 

Combien sont-ils, les jeunes, à se sentir un peu "contraints" dans leurs choix d'orientation en raison de leur lieu d'origine ? A ne viser ni trop loin ni trop haut, de peur de se couper de leurs racines ? Quelque 2 millions d'enfants et adolescents sont scolarisés en milieu rural. Si leurs profils sont aussi variés que les territoires qu'ils habitent, ils partagent tous ou presque le sentiment que leurs "galères" intéressent peu. "Beaucoup de mes anciens camarades ont été obligés d'opter pour des études en alternance ; d'autres, à la fin du lycée, ont dû partir en quête d'un emploi. Les jeunes ruraux se sentent aussi délaissés que les jeunes des banlieues, regrette Lucas, 19 ans, étudiant en droit en Rhône-Alpes et boursier, mais ils sont peut-être plus résignés."

 

AUTO-CENSURE

 

"Les élèves ruraux et montagnards arrivés en fin de collège n'utilisent pas autant que les autres toute la palette des choix d'orientation à leur disposition", reconnaît Pierre Champollion, président de l'Observatoire éducation et territoires (OET, ex-Observatoire de l'école rurale). Depuis plus de dix ans, l'observatoire étudie dans six départements – Ain, Alpes-de-Haute-Provence, Ardèche, Drôme, Haute-Loire, Haute-Saône – les trajectoires scolaires de 2 400 élèves. "L'école rurale fonctionne globalement bien, affirme le chercheur en sciences de l'éducation. Les élèves, en sortant du primaire, sont au moins à égalité avec leurs homologues urbains, comme l'ont montré les évaluations nationales en français et mathématiques." Plus on se rapproche des territoires réputés isolés, moindre est le retard en fin de CM2, dit-il.

 

"Si dans le premier degré les fermetures de classes et les regroupements d'écoles ont contraint les élèves à plus de mobilité, l'engagement des parents, des enseignants, et le maillage associatif compensent l'éloignement des ressources pédagogiques", expliquent Céline Vivent et Yvette Grelet, du Centre d'études et de recherches sur les qualifications (Céreq) pour la Basse-Normandie.

 

Pourtant, à l'issue du collège, les parcours scolaires des jeunes ruraux et des jeunes urbains divergent. "De la 6e à la 3e, les souhaits de poursuite d'études supérieures longues diminuent de moitié sur notre panel de 2 400 élèves, un peu comme s'ils s'autocensuraient", remarque Yves Alpe, de l'OET. A résultats scolaires identiques, le taux de demande – et d'accès – des élèves ruraux en 2de générale est plus faible. La voie professionnelle rencontre davantage de succès, et les études supérieures, souvent courtes (DUT ou BTS), ne s'envisagent pas sans mobilité.

 

"Nombre d'élèves de 3e que j'accompagne, même si les collèges font tout ce qu'ils peuvent pour leur ouvrir des horizons, privilégient des formations qui leurs sont familières, dans des établissements qu'ils connaissent - où leurs parents, parfois leurs grands-parents ont été scolarisés", note Isabelle Riou, conseillère d'orientation-psychologue - vingt-deux ans de métier - dans plusieurs établissements de l'Eure.

 

Au collège de Rugles, où Mme Riou intervient un jour par semaine, les premiers choix des familles se portent souvent vers un CAP. "Quand je leur parle du bac professionnel, je vois bien que je les déstabilise un peu. 'Un bac pro pour mon enfant ? Il faudra qu'il continue ses études. Et puis, est-ce qu'il l'aura ?' Je cherche à leur ouvrir un maximum de possibilités, en respectant les parcours familiaux." "Ces gamins ont de meilleurs résultats que la moyenne au brevet, mais beaucoup ne voient pas ce qu'ils peuvent faire d'autre que leurs parents", reconnaît également Jean-Paul Noret, professeur de sciences dans un petit collège (130 élèves), à Laignes (Côte-d'Or).

 

MARCHÉ DE L'EMPLOI PEU QUALIFIÉ

 

Rien d'étonnant, analyse la sociologue Marie Duru-Bellat : "Quand on n'est pas très sûr de son projet professionnel, on a tendance à privilégier une formation près de chez soi et à s'en contenter, a fortiori quand les moyens financiers sont limités." Malgré l'arrivée des "néo-ruraux", des cadres moyens, "les critères ne sont pas toujours ceux des familles des grandes villes, poursuit-elle. Tout le monde ne rêve pas d'intégrer Henri-IV, une prépa ou une grande école ! Dans les petites villes, en milieu rural, la qualité de vie passe, souvent, avant la carrière, le salaire".


Didier Pleux, psychologue, travaille avec les équipes éducatives des maisons familiales rurales de Basse-Normandie, des établissements de formation en alternance où l'on n'observe, dit-il, ni démotivation des élèves ni décrochage : "Il y a une approche réaliste, pragmatique de l'orientation." Autrement dit, certains de ces jeunes anticipent les besoins du marché de l'emploi, peu qualifié en milieu rural.

 

Des choix assumés : les jeunes ruraux estiment à 81 % - contre 75 % en moyenne -, que leur orientation après la 3e a été conforme à leur demande, selon le Céreq. Cela n'enlève rien aux difficultés quotidiennes. Des dizaines de kilomètres à parcourir, chaque jour, pour se rendre au collège ou au lycée. L'éloignement des ressources pédagogiques et culturelles. Des enseignants à l'écoute, une communauté scolaire soudée, mais un choix de langues, un éventail d'options plus restreints.

 

"Sur Facebook, quand je vois le directeur de Sciences Po Paris vanter les mérites de son dispositif pour les boursiers, j'ai le curieux sentiment d'être plus défavorisé que les élèves défavorisés auxquels il s'adresse", estime Nicolas, 17 ans. En terminale scientifique à Brive-la-Gaillarde, ce lycéen ne trouve pas la classe prépa qui l'intéresse dans son département, la Corrèze. "Ce n'est pourtant pas mon investissement qui fait défaut, assure-t-il. Non, je suis juste un enfant issu de la classe moyenne de province."


Mattea Battaglia



27/02/2012
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