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Revue de presse : Article dans Le Parisien du 31/08/2011 : Luc Chatel : «Je fais revenir la morale à l’école»

ENTRETIEN COORDONNÉ PAR LAURENCE LE FUR, VINCENT MONGAILLARD, CLAUDINE PROUST, CHARLES DE SAINT SAUVEUR. PHOTOS : MATTHIEU DE MARTIGNAC AVEC LA COLLABORATION D’ELISABETH KASTLER LE SCOUR

 

A cinq jours de la rentrée, le ministre de l’Education nationale est venu à la rencontre de parents, réunis au siège de notre journal, à Saint-Ouen.

Il va faire sa troisième rentrée. Un petit exploit : depuis Claude Allègre, à la fin des années 1990, pas un ministre de l’Education nationale n’a fait mieux. A la veille de huit mois de campagne présidentielle où l’école promet des débats passionnés, et alors que les syndicats, toutes tendances confondues, y compris ceux du privé, l’attendent vent debout avec un premier appel à la grève dès le 27 septembre, l’élève Chatel reprend son cartable visiblement sans stress. Comme il se coule dans l’exercice de ce grand oral face à nos six lecteurs, parents et/ou grands-parents d’élèves. Légèrement hâlé par des vacances en pointillé, aminci de cinq kilos, il est arrivé avec un quart d’heure d’avance. Avec chauffeur mais sans conseiller. Pendant deux heures, sans compter le temps de prendre un verre—un seul et pas de petits-fours—, il répond à leur flot de questions. Il maîtrise, habile à rappeler qu’il est aussi parent et à déminer les sujets qui fâchent, comme les classes trop chargées ou les problèmes de remplacement.

LA RENTRÉE... AVEC MOINS DE POSTES

JEAN-CLAUDE ARNAUD. La consultation sur les rythmes scolaires a montré que la scolarité sur huit demi-journées par semaine n’était pas adaptée. Avez-vous prévu d’y remédier?
LUC CHATEL. La question est effectivement très importante : comment faire pour que nos élèves aient des journées moins fatigantes? La France a cette spécificité de cumuler le plus grand nombre d’heures de cours pour les enfants sur le plus petit nombre de journées de travail.

 

J’étais en Finlande il y a deux semaines. Un jeune Français a deux mille heures de cours en plus qu’un Finlandais sur l’ensemble de sa scolarité. C’est pour cela que j’ai lancé ce débat. On m’a fait des propositions, comme le retour de la semaine à quatre jours et demi, la réduction des vacances d’été de deux semaines. On prendra quelques décisions à l’automne qui n’entreront pas en vigueur avant 2013. Mais l’année électorale qui vient sera l’occasion d’un débat passionné sur l’école. Elle nous permettra d’aller plus loin sur la question des rythmes.

HASSINA MELLAH. Certaines écoles de Seine-Saint-Denis, chez moi, ont jusqu’à 31 élèves par classe. Trouvez-vous cela normal?

Il y a, c’est vrai, des cas comme le vôtre. Mais en moyenne, cette année, il y aura 23 élèves par classe en primaire, 25 au collège, 27 au lycée et 19 au lycée professionnel. Il y a vingt ans, les élèves étaient deux de plus par classe. Est-ce que pour autant les résultats sont meilleurs? Non. En fait, tout dépend des difficultés des élèves. Dans les classes où tout va bien, ce n’est pas très important qu’ils soient plus de 25. Réussit-on systématiquement mieux dans une classe à faible effectif? Aucune étude ne le démontre.

Mais pourquoi faire des coupes dans le budget et supprimer des postes d’enseignants alors que le nombre d’élèves augmente?

La France consacre 21% de son budget à l’Education. C’est plus que beaucoup d’autres pays qui réussissent pourtant mieux que nous dans ce domaine. En trente ans, le budget par élève a augmenté de 80%. Contrairement aux idées reçues, les moyens sont là! Mais justement, ce n’est plus le seul problème. Le défi de l’école aujourd’hui, c’est moins celui de la quantité que de la qualité. Ce n’est plus savoir s’il faut amener 70% d’une classe d’âge au bac puisque c’est déjà le cas. Mais que 100% des enfants trouvent une solution, qu’ils aient un diplôme après leur scolarité quel que soit le niveau.

SANDRINE LOLLIA. Je ne sais pas si ma fille handicapée aura lundi une auxiliaire de vie scolaire et dans l’idéal la même que l’an dernier. Pourquoi ce ne sont que des contrats précaires?

Depuis la loi de 2005 sur le handicap, 200 000 handicapés ont pu être accueillis en milieu ordinaire, il y en aura 13 000 à la rentrée prochaine. Les AVS sont des emplois précaires mais désormais nous veillons à les former. Suite à la conférence sur le handicap, en juin, dès cette rentrée, 2 000 postes vont être créés. A terme, on ira vers une professionnalisation de ce métier.

LE PRIVÉ, LA CARTE SCOLAIRE

FRANCK BERNARD. La carte scolaire va-t-elle être supprimée ?
A ce jour, nous l’avons assouplie en autorisant plus de dérogations. C’est vrai que l’objectif à terme reste de la supprimer pour que les parents puissent choisir où scolariser leur enfant. Mais il faut des étapes intermédiaires. La carte scolaire était utile quand il y avait une explosion démographique pour assurer une certaine mixité sociale, sauf que ce système a été dévoyé par les contournements. L’idée, c’est d’aller vers un système mixte où l’on garantit un établissement scolaire à chaque élève; mais, en même temps, en laissant une liberté de choix aux parents en fonction de critères transparents, comme le projet éducatif, et non pas sur sa simple « réputation ».

JEAN-CLAUDE ARNAUD. Ma fille a mis ses enfants dans le privé, parce qu’il n’y a pas de grève, qu’ils sont bien encadrés. Le public n’a- t-il pas des leçons à tirer du privé?
Sur un sujet épidermique, on a aujourd’hui trouvé un bon équilibre entre public et privé. 20 % des élèves fréquentent aujourd’hui l’enseignement privé. Mon devoir, c’est que les choses soient apaisées, de faire respecter la liberté de choix des parents. Moi, j’ai des enfants dans le public et le privé. Selon les enfants, vous vous dites qu’il y a un système peut-être mieux adapté. Les deux systèmes ont à s’enrichir mutuellement. Le privé sous contrat pratique depuis longtemps la différenciation dans les méthodes d’enseignement, le travail en équipe. Mais le public n’a pas à rougir avec ses innovations. Pour l’accueil des enfants handicapés, je pense aussi qu’il est plus performant.

HASSINA MELLAH. Etes-vous stressé par la rentrée. Et vos enfants, eux, sont-ils inquiets?
J’aime bien une expression que j’ai apprise quand je travaillais pour une grande entreprise, qui est « la saine inquiétude ». Je ne suis pas stressé, mais vigilant. Je veux rassurer les parents des 12 millions d’élèves : il y a aura bien un professeur devant chacun d’eux. Mon rôle, c’est d’amortir le stress. Comme ministre et comme papa.

VIOLENCES, INSTRUCTION CIVIQUE

FRANCK BERNARD. On entend parler d’incidents, voire de drames, dans les établissements. La violence scolaire augmente-t-elle ou baisse-t-elle?
Les incidents graves, c’est-à-dire les agressions physiques ou verbales contre les profs, sont stables depuis deux ans. Je ne m’en réjouis pas, je voudrais que ça baisse! Mais l’école est le reflet de la société, qui est elle-même plus violente qu’il y a vingt-cinq ans. Depuis les états généraux de la sécurité à l’école, en avril 2010, nous avons mis en place plusieurs mesures. Un exemple : pour les professeurs stagiaires, qui débutent dans le métier, on a prévu pour la première fois un module de tenue de classe. Il y a des profs chez qui c’est inné, qui ont une autorité naturelle. Et d’autres qui ont peut-être moins confiance en eux et qu’on doit préparer à ces situations difficiles.

JEAN-CLAUDE ARNAUD. Un élève, même très difficile et régulièrement sanctionné, va demeurer dans l’école et perturber grandement le travail des autres. Est-ce acceptable?
On a décidé de revoir le système de sanctions à l’école, avec l’idée que tout acte de violence doit être sanctionné. Lorsqu’il y a une agression verbale ou physique, ça doit se traduire par une sanction disciplinaire. Cette systématisation entre en vigueur à la rentrée. On s’est parfois un peu trop réfugié derrière l’exclusion temporaire des perturbateurs. Ils étaient virés pendant quinze jours, ce qui ne sert à rien! On va mettre un terme à cette solution de facilité, en instaurant les mesures d’intérêt général. Si un élève a chahuté à la cantine, on va par exemple lui proposer d’aller travailler pendant dix heures avec le personnel de la cantine. S’il a proféré des insultes racistes, il fera de même dans le quartier avec une association de lutte contre le racisme.

SANDRINE LOLLIA. On parle du retour de la leçon de morale. A quoi cela ressemblera-t-il? Cela servira-t-il à quelque chose?
Oui, je fais revenir la morale à l’école. La circulaire qui paraît ce jeudi (NDLR : demain) est destinée à toutes les classes du primaire. Pas forcément tous les matins, mais le plus régulièrement possible, le maître va maintenant consacrer quelques minutes à un petit débat philosophique, à un échange sur la morale. Le vrai/le faux, le respect des règles, le courage, la franchise, le droit à l’intimité… Ne fixons pas de carcans. Peu importe la méthode pourvu que le professeur transmette un certain nombre de valeurs. L’école, c’est le lieu de la tolérance, du respect. A l’école, on n’apprend pas que des contenus de programme, mais aussi un comportement, et cela doit nous servir tout au long de la vie.

LES ABSENCES DES PROFS, LEURS MISSIONS

MATHIEU GNAGRA. Souvent, les enseignants absents ne sont pas remplacés, ce qui laisse les enfants livrés à eux-mêmes. Quelles mesures prendrez-vous ?
Attention aux idées reçues. Il n’y a pas plus d’absentéisme dans cette profession qu’ailleurs. Ceci dit, c’est un sujet très important pour les parents, et compliqué. L’an dernier, nous avons assoupli le système pour gérer les absences de plus de quinze jours. Maintenant, on peut faire appel à une académie voisine pour trouver un remplaçant disponible en philo. Nous parvenons à un taux de 92 % dans le primaire et de 96 % dans le secondaire. C’est bien, mais pas suffisant. Je suis moi-même scandalisé quand mon fils revient en disant qu’il n’a pas cours.

FRANCK BERNARD. Mais ces chiffres correspondent au remplacement des absences dès le premier jour ?
Non, ce serait l’idéal, mais il s’agit des absences de longue durée. Le problème pour les remplacements, c’est la réactivité. J’ai demandé aux académies de constituer des viviers de contractuels pour faire face aux absences plus courtes. Par exemple en cas d’épidémie de grippe. Restent les absences imprévisibles. A 8 h 55, le chef d’établissement ne sait pas qu’un de ses professeurs sera absent à 9 heures ! La plupart du temps, il gère avec les moyens du bord, en faisant appel à un de ses collègues qui enseigne la même matière ou en envoyant les élèves en permanence. Pour améliorer les choses, il faudrait sans doute aussi un peu plus de souplesse entre disciplines. La polyvalence des professeurs — quand on enseigne plusieurs matières — est une solution d’avenir.

ANNE DUBOIS. Seriez-vous favorable à ce que les profs restent dans l’établissement au-delà de leur temps de présence obligatoire, donc en dehors des cours ?
Il y a dix-huit mois, j’ai eu un différend à ce sujet avec un syndicat très représentatif après la mort d’un élève dans un lycée à Vitry. On m’a dit : « Donnez-nous un surveillant supplémentaire ! » Je leur ai répondu : « Pensez-vous sérieusement que dans un établissement de 1 000 élèves, un seul surveillant puisse changer les choses. alors que vous êtes 120 professeurs ? » Moi, je pense que sur l’autorité il faut une responsabilité partagée des adultes.

C’est-à-dire ?
Le statut qui les oblige à dix-huit heures de présence pour les cours est toujours régi par un décret de… 1950. Il est temps de réfléchir avec eux à l’évolution de leurs missions. Le métier aujourd’hui, ce n’est plus seulement faire cours. Un professeur ne doit-il pas aussi prendre un temps dans la semaine pour faire du soutien scolaire, pour travailler avec ses collègues ? Il faut faire évoluer le métier. Entre quatre murs, les syndicats admettent en être conscients et que les professeurs eux-mêmes l’attendent. Ce n’est plus un sujet tabou, mais il reste sensible… comme les retraites : tout le monde est d’accord pour qu’on s’en occupe, mais quand il faut que chacun fasse un effort, plus personne n’est là !

Le Parisien



31/08/2011
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