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Revue de presse : Article dans Le Point du 07/02/2011 : Pourquoi l'école craint les évaluations

Les évaluations en CM2 sont l'occasion de manifestations de résistance exceptionnelles de la part des maîtres de l'école primaire.

 

 

Les intitulés des épreuves ont fuité la veille de l'examen sur Internet. Des maîtres les boycottent, des directeurs refusent de remonter les résultats. Dernier épisode en date, des parents de Haute-Garonne se plaignent que leurs enfants ont été contraints de les passer, alors qu'ils s'y étaient opposés. Étrange phénomène !

 

Car, ce n'est pas d'hier que les élèves du primaire sont évalués par des épreuves nationales. Dans un document datant de 2006, Bruno Suchaut, chercheur à l'Iredu, l'Institut de recherche sur l'économie et la sociologie de l'éducation (Université de Bourgogne), souligne qu'en 1989, Lionel Jospin, alors ministre de l'Éducation, a, pour la première fois, instauré ces évaluations d'un type nouveau, à trois niveaux de la scolarité : le CE2, la sixième, puis la seconde. À trois moments-clés donc, le ministère jugeait qu'il était bon de faire un point sur ce que savent les élèves, non pas dans le cadre de la classe ou même de l'établissement, mais au niveau national.

 

La notation nationale, un horizon régulateur

Pourquoi ? La réponse va de soi. Tout le monde sait bien que les notes en classe sont éminemment relatives, qu'elles ne mesurent que très imparfaitement ce que sait l'élève, mais qu'elles indiquent plutôt où il se situe par rapport aux attentes de son correcteur. Une bizarrerie si l'on y songe, dans un pays très centralisateur où les programmes sont nationaux et la scolarité couronnée par la grand-messe, elle aussi, nationale, du baccalauréat. Et il n'est que de voir le déroulement d'une commission d'harmonisation du bac pour comprendre que l'idée d'une notation nationale est un "horizon régulateur" plutôt qu'un objectif réalisable. Pourtant, des évaluations nationales restent une nécessité, et surtout en primaire.

 

De quoi est-il en effet question ? De la maîtrise des compétences de base, le fameux lire-écrire-compter, indispensable à la poursuite de la scolarité. Que deviennent en effet les enfants qui, à la fin de leur CM2, ne maîtrisent pas l'écrit, ne comprennent pas ce qu'ils lisent, et sont incapables de faire une division ? Ils sombrent ! On objectera que des évaluations en CM2 arrivent bien tard. C'est ignorer que les premières arrivent dès le CE1. Elles viennent donc - normalement - mesurer les progrès accomplis... ou pas ! Et si elles ont été instituées en milieu de CM2, n'en déplaise à ceux qui depuis 2008 ont pris le maquis, c'est justement pour qu'en fonction des résultats des mesures de la dernière chance soient prises. Mais, évidemment, les vraies raisons de la colère sont ailleurs.

 

Sortir des débats stériles et des règlements de compte

En fait, on craint que le "culte du résultat" ne serve qu'à juger les enseignants. C'était l'objectif avoué de Xavier Darcos lorsqu'il a déplacé les évaluations du CM1 au CM2. Le ministère souhaitait entrer dans la culture de la performance et on allait voir ce qu'on allait voir ! On a vu ! Ce fut une occasion ratée, une de plus. Car en réalité, si les enseignants ne sont pas évalués en fonction des résultats de leurs élèves, s'ils sont simplement renvoyés à leur "liberté pédagogique", ce sont les enfants que l'on sacrifie à leur incompétence. Bien sûr, beaucoup de maîtres sont compétents. Mais pas tous. Et faisons le pari que, mis en face d'une insuffisance, ils auraient à coeur de s'améliorer. À condition toutefois qu'une fois posé le diagnostic, on leur propose le remède adéquat.

 

Or, dans cette malheureuse histoire, deux fautes ont été commises. La première fut de laisser croire que les mauvais maîtres allaient être sanctionnés et les bons promus. Rien n'est plus étranger à la culture de la maison. La deuxième fut de multiplier les diagnostics sans s'interroger sur les remèdes (pire, on supprima jusqu'aux placebos, comme les rased. En nombre insuffisant et mal ciblés, ils n'étaient pas efficaces. Mais ils avaient le mérite de se présenter comme un recours). Or, ils existent.

 

Il y a de cela quelques années, un programme a été mis en place dans huit écoles d'un quartier sensible de Grenoble. Il s'agissait d'une expérimentation élaborée par un laboratoire de recherche de l'université Joseph-Fourier et qui s'intitulait Parler, acronyme de "Parler, Apprendre, Réfléchir, Lire Ensemble pour Réussir". Elle reposait sur le repérage précoce des difficultés, puis sur la création d'un soutien massif de 6 heures par semaine, dispensé à des groupes de 4 à 6 élèves maximum. Le tout complété par un travail sur les parents des élèves. Pour apprécier la valeur de Parler, à l'issue de l'expérience, les enfants ont été évalués.

 

(Source : colloque "langages et réussite éducative : des pratiques innovantes")

 

À la lecture de ce graphique, avouons qu'il aurait été dommage qu'ils ne le soient pas ! Car ces piles sont la plus belle chose qui soit arrivée à l'Éducation nationale depuis des lustres : non seulement les enfants qui ont bénéficié du programme font beaucoup mieux que leurs camarades de classe qui n'en bénéficient pas, mais ils font mieux que l'échantillon national. Autrement dit, Parler vient à bout des inégalités sociales, la plaie de notre système scolaire !

 

Une évaluation sérieuse montre ce qui marche et ce qui ne marche pas. Elle permet de sortir des débats stériles et des règlements de comptes. Au lieu de boycotter les évaluations nationales, ou de les saborder, les "résistants" feraient mieux de lutter pour qu'elles soient menées dans les meilleures conditions et qu'elles servent la cause des élèves. Car seule cette cause importe, n'est-ce pas ?

 

Par Marie-Sandrine Sgherri



08/02/2011
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