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Revue de presse : Article dans Le Point du 27/08/2014 : Brighelli : à l'Éducation, une idéologue en chasse un autre

À cinq jours de la rentrée, on change le ministre de l'Éducation - le troisième en deux ans : c'est dire à quel point le ministre importe peu, ce sont les bureaux qui s'occupent des affaires courantes. Les ministres ne sont là que pour afficher leur binette à la télévision et dans le grand escalier de la rue de Grenelle - la seule chose qu'auront retenue les médias, c'est qu'une photo de femme s'accrochera à la très longue liste de ministres mâles. Et sinon ? Sinon, rien. Ce n'est pas pour rien que le mot "ministre" vient du latin "minus".

À ce propos...

Vais-je regretter  Benoît Hamon ? N'exagérons pas.

Le dimanche 24 août, Arnaud Montebourg, qui tenait à faire savoir à la Saône-et-Loire qu'il existe toujours, organisait dans son fief, comme disent les médias, de Frangy-en-Bresse l'une de ces Fêtes de la rose, ô gué, destinées à soutenir le moral des troupes en débandade, et à préparer son destin en 2022 (gouverner, c'est prévoir son profil de carrière). Et il y avait convié Benoît Hamon pour montrer qu'il n'est pas seul à penser ce qu'il pense : ils sont deux...

C'était une façon de se désigner à la vindicte des hollandistes. On le leur a bien fait voir.

 

Un show anti-élite

Je passe sur l'incitation à la relance économique, qui est en train de devenir le dernier serpent de mer à la mode. Tant que nous restons dans un cadre européen cadenassé par Angela Merkel, tout cela n'a pas grand sens. Mais outre son soutien aux propositions de son collègue, le ministre de l'Éducation - ô surprise ! - a parlé éducation

On sait que les partis ou les cabinets fournissent volontiers des "éléments de langage" à tous ces aphasiques qui nous gouvernent. Pour Hamon, on lui a fourni aussi des éléments de gesticulation : le ministre a saisi une feuille blanche et l'a patiemment déchiquetée pour illustrer le propos que voici :

"La réalité, j'vais vous dire, le système éducatif français, à bien des égards, il fonctionne de la manière suivante..." Il déchire un quart de la feuille, verticalement. "Primaire..." Deuxième bande de papier. "Collège..." Même jeu. "Lycée, etc., etc." - il ne lui reste plus qu'un confetti entre les doigts -, "et à la fin, on a formé ces "brillantes élites"..." (les guillemets sont dans sa voix, allez-y voir si vous avez des doutes, mais nous savons ici que les mots "élite" ou "mérite" sont pris en mauvaise part par les têtes pensantes du PS - oxymore !) Mais reprenons : "Ces brillantes élites donc incontestables, de l'Ena, de l'École normale, de Polytechnique et d'X."

Apparemment, le ministre ignore que Polytechnique et l'X, c'est la même chose. Mais, après tout, il n'est pas en charge du supérieur... Il ne peut pas en savoir aussi long que Geneviève Fioraso.

"Nous ne pouvons pas organiser tout notre système éducatif en fonction de la seule sélection de ces élites-là, en organisant chaque année un tri par l'échec."

 

Des solutions qui n'en sont pas

Et de se lancer dans une apologie de l'accession précoce à la maternelle (je suis pour, dans bien des cas : plus tôt on éloignera huit heures par jour les gosses de leurs parents, mieux ça vaudra) et de la réforme des rythmes scolaires (je suis contre : ce n'est pas de plages de loisir que les élèves ont besoin, mais de plus de français, de maths, d'histoire-géographie, de sciences, de plus de savoirs en un mot, surtout à un âge où ils sont des éponges).

Le ministre sait-il que dans les communes qui ont mis en place la réforme de Vincent Peillon, le prix du baby-sitting a considérablement augmenté ? Le ministre croit-il vraiment que les chronobiologistes en savent davantage que les instituteurs qui chaque jour s'efforcent de mettre de la lumière dans les cervelles de leurs loupiots - et qui savent, eux, de quoi des enfants habilement sollicités sont capables ?

 

Pensée unique

Ce discours, nous le savons désormais, c'était le chant du cygne d'un Benoît Hamon qui ne s'est jamais senti trop à l'aise Rue de Grenelle. Mais, au lieu de s'en prendre une énième foi aux élites, il aurait pu en profiter pour dire qu'il fallait lancer une grande réforme des programmes, revoir notre vision globale de la transmission des savoirs, mettre l'accent sur l'acquisition d'un langage riche et maîtrisé - et qui évite les anacoluthes audacieuses du ministre ("La réalité, j'vais vous dire, le système éducatif français, à bien des égards, il fonctionne de la manière suivante...").

Car la rentrée qui s'annonce s'annonce mal. Il y aura des manques dans les effectifs d'enseignants, on colmatera comme on pourra avec de jeunes licenciés licenciables, on n'en a pas fini avec les méthodes de lecture aberrantes, les établissements expérimentaux o?u tout le monde réussit (imaginez qu'un hôpital décrète du jour au lendemain qu'il n'y a plus de malades), ni avec un bac totalement dévalué mais hors de prix, ni...

Ma foi, c'est cela le chantier qu'il laisse à Najat Vallaud-Belkacem. Encore faudrait-il qu'elle brise les cadres de pensée unique qui sont ceux d'une gauche aussi bête que la droite, comme aurait dit de Gaulle.

 

Gouffre

Je ne connais guère Najat Vallaud-Belkacem que pour un débat face à Marine Le Pen où elle avait fait preuve d'une agressivité étrange - et contre-productive, à moins que l'on n'estime, comme je le pense moi-même, que le PS n'a d'autre stratégie que de promouvoir le FN : auquel cas madame Vallaud-Belkacem sera un épouvantail efficace. Elle se retrouve en tout cas à la tête d'un méga-ministère regroupant l'Éducation et le Supérieur. Vu ses prises de position sur les ABCD de l'égalité, qui lui paraissent encore trop timides, nous allons rire. 

Non seulement "élite" est un mot proscrit, mais "garçon" ou "fille", bientôt, le seront aussi : nous ferons comme les Suédois, nous inventerons un pronom neutre... Quant aux hésitations de Benoît Hamon sur "voile ou pas voile" lors des sorties scolaires, elles paraîtront bientôt de grandes audaces. Je ne dirais pas que ce gouvernement avait encore le choix : ils ont mis l'école au bord du gouffre, ils finissent de pousser.

Au passage, je signale à la nouvelle titulaire de la Rue de Grenelle que l'on dit, en français, "le" ministre. L'Académie française s'est prononcée très fermement en ce sens. "La" ministre, ce n'est pas du français, c'est de l'idéologie. Mais au chapitre de l'idéologie, on n'a pas fini d'en voir et d'en entendre.

 

Par JEAN-PAUL BRIGHELLI



27/08/2014
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