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Revue de presse : Article sur www.cafepedagogique.net du 01/04/2014 : Lecture : De quoi parlons-nous exactement ? Une mise au point "freinetienne"

Dans un article du 27 mars 2014, il est question de Pédagogie Freinet. Il semblerait qu’elle soit associée à des pratiques pédagogiques et didactiques de l’enseignement de la lecture déficientes. Les auteurs font référence à la méthode « naturelle » de Freinet, au même titre qu’étaient convoquées ailleurs les méthodes « globales » et « syllabiques » il y a quelques temps. Mais de quoi parlons-nous exactement ? Les travaux de recherche autour de la caractérisation de la Pédagogie Freinet ne mettent nullement en avant ce type d’éléments, bien au contraire. Je m’explique...

 

La notion de méthode est caduque en Pédagogie Freinet lorsqu’elle s’attache à décrire une activité enseignante. En effet, lorsqu’il est question de « méthode », Célestin et Elise Freinet et les auteurs du mouvement Freinet sous-tendent l’activité de l’élève, dans ses exercices d’expression libre, de tâtonnement expérimental et de coopération. Dans le champ des apprentissages du lire-écrire, le concept de « méthode naturelle » (certes équivoque et qui fait d’ailleurs l’objet d’échanges au sein du mouvement Freinet) correspond aux stratégies complexes que l’élève investit pour développer des apprentissages dans le lire-écrire. Nicolas Go qualifie « d’entreprise fondamentale de la pédagogie Freinet » (Go, 2009, p. 28) la concrétisation du tâtonnement expérimental, à savoir, la méthode naturelle. Il la définit comme une démarche complexe d’apprentissage par tâtonnement expérimental, qui permet à chaque enfant de déployer de façon créative sa puissance de vie, et qui favorise, par le travail et les inventions, la rencontre des puissances dans un milieu social coopératif.

 

L’enseignant, de son côté, développe sa propre méthode d’enseignement, mais qui n’est ni naturelle, ni globale, ni syllabique. La plupart du temps, les praticiens de la Pédagogie Freinet s’efforcent d’enrichir le milieu d’enseignement dans lequel évoluent les élèves, en ne s’interdisant aucun outil, aucun support de transmission qui ne mette pas en insécurité les enfants à qui ils sont destinés et leur permettent d’apprendre de manière effective. Bien évidemment qu’un travail sur le code est proposé aux élèves. Le principe alphabétique n’étant pas universel, il participe donc à notre culture et ainsi, doit faire l’objet d’un entraînement formel. En Pédagogie Freinet, la conscience phonologique des élèves est tout autant travaillée qu’ailleurs, bien heureusement. Les spécificités sont ailleurs.

 

Dans ces échanges sur les méthodes d’enseignement de la lecture, le terme de méthode est donc inapproprié lorsqu’il est question de Pédagogie Freinet. Ce serait dommageable pour l’ensemble de notre système éducatif que les enseignants qui s’y engagent se trouvent embourbés dans un nouveau faux-débat, qui les accuse à tort et leur demande, une nouvelle fois, de justifier davantage de leurs pratiques que les personnels qui se contentent de reproduire un schéma pédagogique obsolète et inefficace. Nous avons besoin d’approches pédagogiques et didactiques innovantes et alternatives. Comme toutes les autres, elles méritent un intérêt par la recherche et les approches expérimentales sont épistémologiquement pertinentes. Mais elles ne méritent pas de procès d’intentions.

 

Pour celles et ceux que cela intéresse, je livre ici le fruit des mes études autour de ce qui définirait la Pédagogie Freinet, à partir de cinq piliers (Connac, 2010) :

- L’expression libre, la permission donnée à l’enfant de devenir l’auteur de paroles, dessins, textes, gestes, musiques, sculptures, …, dans un espace qui autorise la création et valorise les productions. « Sans créativité, un auteur n’est que producteur. » (LRC, 2013, p. 15)

- La coopération, l’offre faite aux élèves d’apprendre en interagissant avec leurs pairs, d’un côté en tant que récepteur des informations et surtout d’un autre en adoptant la posture enseignante. Cela peut s’organiser par l’intermédiaire d’un tableau des demandes d’aide. (Reuter, 2008, p. 18)

- La participation démocratique à la vie coopérative de la classe (Le Gal, 1976) qui fait de la classe un espace d’exercice de la mitoyenneté vers les apprentissages de la citoyenneté. Les élèves sont associés aux décisions collectives, par l’intermédiaire d’institutions instituantes et de responsabilités qui leur sont confiées.

- Les techniques éducatives, les outils pédagogiques couplés aux valeurs d’éducation ayant déterminé leur création, notamment celles visant le retrait de l’enseignant pour davantage d’engagements des élèves.

- Le tâtonnement expérimental qui correspond aux processus convoqués par l’humain pour apprendre : faire, et en faisant se tromper, réussir pour progressivement se construire des connaissances et développer des compétences basées sur l’interaction avec son milieu.

 

Le Laboratoire de Recherche Coopérative de l’ICEM (LRC, 2009, pp. 19-48) propose une série de caractéristiques de la classe coopérative sous l’angle de son fonctionnement. Dans cet article, la pédagogie Freinet s’organise par :

• La continuation des processus : une activité personnelle engagée un jour est à peu près assurée de pouvoir être poursuivie le lendemain, et ce aussi longtemps que nécessaire pour un même projet. L’élève ne réalise pas une tâche ponctuelle mais s’inscrit de façon créative dans son propre devenir.

• Le travail individualisé et la libre circulation des élèves : ils deviennent possibles par une organisation précise favorisant l’affirmation des singularités, l’ouverture à l’ensemble des activités réalisables et la durée nécessaire à leur accomplissement.

• La communication : c’est parce que les élèves savent que leur processus singulier s’inscrit dans un ensemble de relations intersubjectives qu’ils persévèrent.

• La création de la culture : l’organisation de la classe permet la constitution d’un patrimoine de classe, de proximité, à partir des productions individuelles et collectives, mises en évidences et médiatisées.

• La métadévolution : les élèvent participent aux conseils coopératifs et, par leur intermédiaire, se chargent d’institutionnaliser les rapports de production du savoir, les conditions scolaires par lesquelles ils vont être amenés à développer de l’apprentissage.

• L’écoute et la recherche de l’adéquation : enseignant et élèves se mettent à l’écoute les uns des autres et d’eux-mêmes afin qu’un équilibre puisse se trouver entre l’exercice des processus personnels, qu’il n’y ait pas d’interférence inhibitrice entre eux.

 

Sylvain Connac

ISFEC Montpellier – Université Montpellier III

 

Bibliographie :

Connac, S. (2010), Freinet, Profit, Oury, Collot : quelles différences ?, Spirale, No 45, janvier 2010.

Go, N. (2009), La Méthode naturelle de Freinet, Nouvel Educateur, No 193.

Le Gal, J. (1976), Organisation et mémoire des activités dans une expérience d’autogestion, Chantiers dans l’enseignement spécial, No 7-8.

LRC (2013), Éléments de théorisation de la pédagogie Freinet - Une approche complexe des apprentissages, Nantes : Editions ICEM.

Reuter, Y. (dir) (2008), Une école Freinet. Fonctionnements et effets d’une pédagogie alternative en milieu populaire, Paris : L’Harmattan.



07/04/2014
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