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Revue de presse : Article sur www.cafepedagogique.net du 05/06/2015 : Claude Lelièvre : Pourquoi le ''roman national'' seulement au primaire ?

Alors que les débats font rage sur les programmes d'histoire et que certains, y compris parmi des historiens, veulent imposer l'enseignement du "roman national", Claude Lelièvre montre que celui-ci fut le fruit de circonstances particulières au primaire.

 

C'est avant tout le fruit des circonstances, et aussi de la séparation entre l'école du peuple (l'école communale) et le secondaire (réservé alors de fait à l'éducation des élites).

 

Avant la guerre de 1870, Jules Ferry, en bon positiviste, est loin d'avoir une position centrée sur l'Etat-nation et le patriotisme voire le nationalisme, bien au contraire. En effet, comme l'a souligné l'historien Claude Nicolet ,« les positivistes, à commencer par Auguste Comte lui-même, avaient une vision européenne ou ''occidentale'' de l'évolution de l'humanité » (cf « Jules Ferry, fondateur de la République », 1985). Et « le système d'éducation positive » était conçu dans le cadre de la « République européenne » ( Auguste Comte, « Cours de philosophie positive », 57° leçon).

 

La  guerre et la victoire allemande font que Jules Ferry, à l'instar de Littré (grand militant du positivisme lui aussi, et maître d'oeuvre du dictionnaire éponyme)  renonce à l'unification pacifique, industrielle et commerciale de l'Europe occidentale. Jules Ferry déclare alors qu'il est impossible de perpétuer, « dans une Europe enivrée de l'esprit de nationalité », les principes de sa jeunesse : « nous vivons sous une loi de fer ; s'il faut faire des lois de fer, nous savons les faire et nous les avons faites » ( Discours sur le Tarif général du 23 novembre 1891).

 

Jules Ferry en est venu à penser qu'il faut développer une « véritable  religion de la patrie » qui, selon ses propres termes, « n'admet pas de dissidents » (Discours de Jules Ferry à Nancy, le 10 août 1881) . Et il en tire le corollaire éducatif pour l'enseignement primaire (destiné au enfants du peuple) : « Pour bien aimer la patrie, il faut bien la connaître et la piété envers la patrie n'est pas faite seulement de sentiment et de tendresse mais aussi de savoir ; c'est pourquoi l'enseignement de l'histoire est appelé à jouer un grand rôle éducateur » (Discours de Jules Ferry aux sociétés savantes du 15 avril 1882).

 

L'appel est entendu de façon créative par l'historien Ernest Lavisse ( l'auteur célèbre des ''petits Lavisse'', manuels d'histoire du primaire).«  A l'enseignement historique incombe le glorieux devoir de faire aimer et comprendre la patrie […]. Si l'écolier n'emporte pas avec lui le vivant souvenir de nos gloires nationales […], s'il n'a point appris ce qu'il a coûté de sang et d'efforts pour faire l'unité de notre patrie […], l'instituteur aura perdu son temps »( Revue pédagogique », juillet 1891).

 

Il ne saurait donc être question d'enseigner l'histoire « avec le calme qui sied à l'enseignement de la règle des participes ; il s'agit ici de la chair de notre chair et du sang de notre sang […] ; l'histoire ne s'apprend pas par cœur, mais par le cœur [...] Faisons-leur aimer nos ancêtres les Gaulois et les forêts des druides, Charles Martel à Poitiers, Roland à Roncevaux, Jeanne d'Arc, Bayard, tous nos héros du passé, même enveloppés de légendes […]. Puisque la religion ne sait plus avoir prise sur les âmes, puisque le paysan n'est plus guère occupé de la matière et passionné que pour des intérêts, cherchons dans l'âme des enfants l'étincelle divine ; animons-là de notre souffle. Les devoirs, il sera d'autant plus aisé de les faire comprendre que l'imagination des élèves, charmée par des peintures et des récits, rendra leur raison enfantine plus attentive et plus docile » (article « Histoire », in « Dictionnaire pédagogique » dirigé par  Ferdinand Buisson, 1887)

 

Mais cette histoire foncièrement idéologique (voire légendaire), et revendiquée comme telle, doit rester l'apanage de l'école des enfants du peuple. Elle ne saurait être celle des élites, de l'enseignement secondaire fondée sur de toutes autres bases (à la fois de l'ordre de la culture de l'Antiquité, des humanités classiques et de l'Europe). Les programmes d'histoire de 1890 pour les classes de la troisième à la terminale de l'enseignement secondaire sont intitulés « Histoire de l'Europe et de la France » (ceux de la sixième à la quatrième étant consacrés à'' l'histoire ancienne'').

 

Claude Lelièvre

 

Le débat sur les programmes d'histoire



18/08/2015
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