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Revue de presse : Article sur www.cafepedagogique.net du 23/11/2011 : Enseignant référent : une interface trop rare...

Ce mois-ci, le Café a rencontré deux enseignants référents. Attention, ne pas confondre avec d’autres missions homonymes dans l’Education nationale. L'enseignant référent « gère»  un certain nombre de dossiers d'élèves handicapés (160 en moyenne dans ce département rural) scolarisés en primaire ou en secondaire. Il coordonne les équipes de suivi de scolarisation (ESS) et se déplace beaucoup dans les établissements scolaires en tentant de trouver les espaces-temps pour les réunions (le midi, en fin de journée…). Il a la grande responsabilité d'être l'interface entre l'Ecole, la famille, la MDPH et les autres  professionnels qui interviennent auprès de l'enfant, et surtout d'être le garant d'un travail d'équipe au service d'un projet pour l'enfant.

Jean-Philippe est expérimenté dans la fonction, Laurent est enseignant référent depuis peu. A leur manière, chacun y a trouvé une évolution de carrière et des marges de développement professionnel et personnel.
Chacun avec ses mots, mais tous les deux avec beaucoup de conviction, ils décrivent leur métier.

Enseignant référent, un "nouveau métier" ?

Jean-Philippe : La fonction d’enseignant référent donne à celui qui l’assume un rôle stratégique. Seul, mais chargé d’animer des équipes, interlocuteur des divers acteurs qui doivent coopérer et conjuguer leurs points de vue, il diffuse une nouvelle vision du handicap en milieu scolaire. Il n’a pas à tenir un positionnement d’enseignant. D’ailleurs l’expression « enseignant-référent » elle-même est trompeuse, elle signifie uniquement que cette fonction est assumée par un enseignant…
Il est en effet l’interlocuteur des familles, des collègues, des professionnels de santé, des libéraux de tous types, des collectivités territoriales et de la Maison Départementale des Personnes Handicapées.
Personnellement j’essaie de tracer mon  chemin,  d’être constamment en équilibre entre l’Education Nationale dont je garde en moi la «culture», avec  toutes ces années passées à être confronté à la difficulté scolaire  en réseau d 'aides, à être mis à mal par les conditions toujours plus difficiles d’exercice du métier, avec toute cette empathie accumulée pour mes collègues, et la MDPH pour laquelle j’agis. J’ai dû trouver de nouveaux repères, de nouveaux points de référence et encore beaucoup plus qu’au temps où j’étais maître E, rechercher le groupe là où la loi me rendait solitaire. Car le risque est grand de se retrouver isolé, seul à devoir programmer, animer, gérer les Equipes de Suivi de Scolarisation (ESS), faire avec les plannings de chacun, les contraintes et exigences professionnelles de tous, être le point d’ancrage du Projet Personnalisé de Scolarisation (PPS), endosser le rôle d’interlocuteur incontournable que la famille accorde avec beaucoup d’espoir, mais qu’il faut parfois savoir imposer à certains, assumer le relais de l’autorité de tutelle sans avoir de position hiérarchique dans la collaboration avec les collègues enseignants.


Quelle est pour toi la tâche prioritaire d'un enseignant référent ?

Laurent : La mission n°1 pour moi, c'est d'aider les familles. Elles ont été sensibilisées par l'école sur les difficultés de leur enfant, mais quand il s'agit d'aborder les notions de handicap ou de besoins particuliers, les enseignants transmettent mes coordonnées. On les rencontre, on leur apporte des informations, on leur explique, on les rassure, on les aide à accomplir les démarches auprès de la MDPH. Cela permet d'instaurer une relation de confiance tout en permettant à chacun de rester dans son rôle : les enseignants des écoles sont en première ligne avec les familles,  l'enseignant référent, spécialisé et extérieur à l'école considérée, peut mieux parler du handicap. On n’est pas là pour apporter des solutions toutes prêtes, mais d’abord pour rappeler aux parents (avec humilité…) un certain nombre de choses : ce sont eux qui connaissent le mieux leur enfant, ce sont eux qui ont un projet de vie pour lui, ce sont eux qui s'en occupent l’essentiel du temps, même s’il est scolarisé. On ne fait pas à leur place, on ne leur impose aucune décision mais on construit ensemble un projet.
Cela se passe en général bien parce que les familles sont plutôt demandeuses d'aide. Parfois, d situations demandent du temps, le cheminement des parents est plus long. C'est à nous de les accompagner, de les suivre. Avec des bilans et des avis complémentaires, l'idée qu'un projet particulier pour leur enfant sera bénéfique, et non stigmatisant pour lui, avance.

Jean-Philippe : Savoir gérer les membres de l’ESS. Le poids et le pouvoir de chacun n’est pas le même : il est souvent difficile pour un parent, pour un enseignant, pour un AVS d’oser penser que son point de vue est aussi important que celui d’un neuro-psychologue par exemple. Favoriser l’expression des analyses de chacun et trouver la voie d’un consensus nécessite de la part de l’enseignant référent beaucoup d’écoute, de vigilance, mais aussi de force de proposition et d’autorité, de rappel à la loi.

Autre challenge : aider à la scolarisation dans le second degré. L’arrivée d’un nombre important d’élèves handicapés dans le second degré est un phénomène nouveau.  Il est nécessaire d’acquérir un minimum de connaissance sur le second degré. L’organisation des ESS est beaucoup plus lourde et délicate, il faut aider à mettre en place une « culture de la scolarisation des jeunes en situation de handicap ». Comment concilier les exigences du programme de la classe et l’adaptation éventuelle de l’enseignement pour l’élève en situation de handicap ? La partie est gagnée quand l’ESS  intègre la notion de rythme spécifique et de programme adapté. À ce moment-là, la scolarisation de l’élève est comprise, non pas comme intégration, mais comme parcours adapté. Quand cette notion de spécificité est comprise, peut commencer l’élaboration du PPS. « Ce n’est pas parce qu’un élève présentant des troubles moteurs est accompagné par un Auxiliaire de Vie Scolaire qu’il pourra courir aussi vite que ces camarades… ».
Mes relations avec les établissements spécialisés ont bien avancé elles-aussi. Ma présence, l’aide à la réflexion apportée par un « tiers » rassure certains parents et permet d’instaurer une véritable collaboration là où existait le risque d’être perçu comme le contrôleur.

Quels rapports entretiens-tu avec les autres professionnels ?

Laurent : En équipe de suivi de la scolarisation, c'est l'horizontalité des rapports qui est primordial. Chacun -enseignants, parents, professionnels- apporte sa contribution pour faire avancer le projet. Ça ne va pas de soi : la tendance naturelle est plutôt à travailler chacun dans son coin et le projet devient une somme d'actions accumulées, sans lien véritable entre elles. Chaque profession a sa propre logique : le temps thérapeutique n'est pas le même que le temps de l'école, rythmé de septembre à juin.
L'enseignant référent doit apporter de la cohérence entre tous les volets du PPS et faire travailler ensemble des gens qui n'ont pas la même culture professionnelle n'est pas simple. Il faut bien connaître le champ professionnel de l'autre, ne pas attendre que l'autre fasse son travail pour pouvoir commencer le sien. Si on cherche ensemble, on co-élabore, on co-construit, la réunion d'ESS devient une vraie réunion de travail, qui permet bilan, réajustment et avancées pas à pas. « On se dit les choses, on verbalise nos succès ou nos échecs... »

En milieu ordinaire, les collègues nous appellent avant même de parler aux familles parfois, on joue le rôle d'un « conseiller technique », en particulier avec les directeurs d'école, comme aide à la prise de décision. Ils découvrent une situation de handicap, souvent ils culpabilisent de ne pas savoir comment faire ou de ne pas pouvoir en faire plus pour cet élève. Alors, on les aide à bâtir le projet de A à Z, c'est plus gratifiant pour nous, on a l'impression d'être vraiment utiles aux collègues. Ils sont très contents de nous voir arriver, prendre le relais, organiser les choses.

En milieu médico-social, en CLIS, ULIS, les enseignants, même s'ils ne sont pas tous spécialisés, sont déjà sensibilisés, ont déjà dans une logique de projet individuel. L'équipe professionnelle est déjà constituée, l'habitude de travailler ensemble est instituée, la notion de projet global pour l'enfant aussi. Mais le rôle de l'enseignant référent est moins bien perçu.

Jean-Philippe : La difficulté d’exercice du métier est palpable. J’essaie de ne jamais perdre de vue mes origines professionnelles et ma proximité avec les enseignants, je la cultive comme si je ressentais là ce besoin d’avoir un « toit professionnel »… De ce fait, de cette connivence naît une complicité, un désir de travailler ensemble, dans l’absence de positionnement hiérarchique mais plutôt dans un rôle de « personne-ressource ». Les directeurs apprécient particulièrement cette aide. Quant aux enseignants, une fois les premières interrogations face à ce nouveau métier réglées et les premières craintes face à un éventuel « jugement » de leur pratique évanouies, le dialogue s’instaure en toute confiance.


Un boulot de dossiers, ou un boulot de contacts ?

Laurent : C'est avant tout un travail de communiquant avant d'être un travail administratif, même si les tâches administratives sont importantes. C'est l'enseignant référent qui organise les réunions, rédige les comptes-rendus, gère les commandes de matériel spécifique, les transports, si besoin est, et qui fait des liens entre les services.
On est attendu sur nos capacités de communication, c'est à dire des capacités à nous adapter à toutes sortes de situations, dans toutes les structures possibles (de la maternelle au lycée, lycée professionnel, CFA, lycée agricole, sections post-bac... où on a à faire avec des étudiants...), dans tous les types de handicaps, avec tous les types de professionnels.

Jean-Philippe : Les deux aspects sont importants : si le travail administratif n’est pas bien assuré, la crédibilité sur le terrain s’en trouvera affectée. La parole de l’ER n’aura plus le même poids. Les partenaires doivent savoir que les délais de réponse seront tenus, tout comme les engagements pris. Et puis il est bon après plusieurs jours de déplacements et de réunions sur le terrain, de passer un peu de temps en sédentaire dans son bureau… Le travail post ou pré ESS est donc capital lui aussi. Il est le garant de l’accueil qui sera fait à l'enseignant référent en ESS…

Des prescriptions... des frustrations ?

Laurent : On n'est pas une simple « chambre d'enregistrement » ! C'est un travail très enrichissant, moi j'y ai trouvé vraiment un développement professionnel. On a une certaine latitude pour faire bouger les choses, on se doit de faire aboutir un projet surtout quand les situations sont compliquées, que l'orientation prononcée n'est pas possible par manque de place par exemple...
La faiblesse du poste, c'est que parfois on se sent seul au quotidien... Heureusement, on a une bonne écoute de l'équipe ASH et de la MDPH. Pour être enseignant référent, il faut une bonne dose de solidité nerveuse, de distance affective (pour ne pas tomber dans la compassion) et de plasticité relationnelle (pour accorder le même crédit à un EVS qu'à un proviseur par exemple...).

Jean-Philippe : Une frustration de re-médiation ! Dans le premier degré je ne rencontre presque jamais les enfants, je suis le seul des membres de l’ESS dans ce cas ! J’aimerais avoir le temps de travailler un peu avec eux ou simplement d’être à leur contact, d’échanger.
Mais la plus grande frustration vient du fait que la mise en œuvre des PPS devient dans le monde réel une gageure de plus en plus grande. Les prescriptions de la MDPH en terme d’accompagnement de type AVS par exemple ne sont pas toujours respectées, loin de là, du fait des moyens insuffisants ! Alors on partage le temps d’accompagnement d’une EVS entre plusieurs enfants, on fait du bricolage, comme toujours… Et puis on « remercie » l’EVS quand elle a fini son contrat et commence juste à acquérir un précieux savoir-faire… Et la personne qui la remplace va devoir à son tour accomplir le chemin, en comptant beaucoup plus sur elle-même que sur les appuis qu’elle trouvera dans l’institution… Quel mépris pour les enfants handicapés eux-mêmes que de leur accorder pour leur venir en aide des personnes que l’on fait vivre sciemment dans une telle précarité !
D’autre part comment inclure les enfants des CLIS/ULIS et autres CLE de manière satisfaisante dans des classes où les effectifs sont déjà surchargés ?
Comment espérer avancer scolairement quand les transports des élèves handicapés sont aussi problématiques dans un département rural comme le nôtre ? Et puis à quand les voitures de fonction ou des kilomètres réellement défrayés pour les enseignants référents ?...

Pour aller plus loin

- Cette profession a été instaurée par la loi de 2005 sur le handicap et ses décrets d'application. Si vous voulez approfondir la question, vous pouvez vous reporter aux textes officiels :
DÉCRET N°2005-1752 DU 30-12-2005- Une fiche de poste montre quelles sont toutes les missions de l'enseignant référent.

- une autre fiche de synthèse sur l'excellent site de l'IA 84

Un ouvrage, enfin, a été publié dans le réseau Sceren (collection "Au Quotidien", Dijon)


SCOLARISATION DES ÉLÈVES HANDICAPÉS
Parcours de formation des élèves présentant un handicap, BO n°10 du 9 mars 2006
CIRCULAIRE N°2006-126 DU 17-8-2006

Mise en œuvre et suivi du projet personnalisé de scolarisation BO n°32 du 7 septembre 2006

par Isabelle Lardon



23/11/2011
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