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Revue de presse : Article sur www.cafepedagogique.net du 23/12/2011 : Face au défi de l'inclusion, le métier d'enseignant évolue

A l'heure où on parle d'écart de plus en plus grand entre "travail prescrit" et "travail réel", le Café est allé voir « comment ça se passe » auprès d'enseignants du premier degré qui scolarisent au quotidien des élèves "différents", qu'ils soient en difficultés scolaires, avec des "besoins éducatifs particuliers", reconnus "handicapés", ou "nouvellement arrivés en France"...

 

Devant une hétérogénéité qui semble de plus en plus grande, comment faire vivre l'ambition de réussite de tous les élèves ?... Propos d'enseignants engagés au quotidien, avec modestie et détermination, rencontrés lors d'une des rares formations encore possible... Et comme il n'est pas facile de rendre compte de ces vies professionnelles croisées, bribes et points de vue parfois contradictoires...


Une formation croisée : pas si fréquent...

Nous avons recueilli dans un stage de formation continue des propos d'enseignants suffisamment mobilisés pour oser venir se poser, à quelques jours de Noël, des questions de métier en participant à une formation qui leur promettait juste de « se construire ensemble » des repères sur la prise en compte de la diversité de leurs élèves. L'intitulé de la formation les a concerné : "L'éducation inclusive : quelles questions, quels enjeux dans les classes ?". Suffisamment rare pour être remarqué, tant l'institution a parfois encore du mal à se départir de modèles de formation en parallèle, enseignants ordinaires d'un côté, spécialisés de l'autre. Et par les temps qui courent, chacun peut être tenté de se replier sur soi, de faire juste « ce qu'on lui demande », devant le sentiment grandissant de ne pas arriver à faire "du bon boulot".

Venus de tous les coins du département, d'écoles rurales ou péri-urbaines, RPI, Education prioritaire, centre ville... de tous les niveaux de classes (de la tout petite section au CM2, classes multi-niveaux, CLIS, maitresse E...), ces enseignants sont... des enseignantes : Gwenaëlle, Noëlle, Reine ou Marie, Hélène, Cécile ou Claire... Certaines débutent dans le métier, d'autres sont un peu plus expérimentées, voire chevronnées ou directrices d'école : Maryline ou Martine, Nathalie, Anne-Marie, Sandrine et  Laëtitia. Toutes différentes, comme dans une classe. Avec un point commun, l'envie de ne pas se replier sur soi dans ces temps difficiles, et de chercher à plusieurs les réponses à des questions compliquées...


Que disent-elles de leurs préoccupations, des difficultés qu'elles rencontrent, des solutions qu'elles s'inventent, des erreurs qu'elles s'accordent ? Toutes essaient avec plus ou moins de réussite des aménagements, des adaptations pour un ou pour plusieurs élèves... Pas facile d'en parler, tant les solutions leur semblent modestes. Il faut progressivement s'intéresser aux petits détails de la classe, aux différents moments qui la jalonnent. D'abord, les objectifs, la tâche, la consigne, les supports. Souvent, on essaie de baliser, de simplifier, d'étayer l'engagement dans la tâche : « Je répète, je donne la réponse, j'essaie de voir s'il s'en rappelle" ; "Je reformule, je décompose étape par étape..." ; "Je leur donne des trucs, par exemple surligner pour repérer l'information principale" ; "J'ai des rituels en orthographe" ; "J'écris des objectifs noir sur blanc... des objectifs humbles" ; "Je passe beaucoup de temps sur les consignes (étayage, explication, reformulation, exemples, exercice fait à l'oral, guidage fort...) ; "J'adapte les supports, agrandir, avec un seul exercice par feuille".


Mais comment faire quand ça ne se passe pas comme prévu, notamme avec les élèves qui pertubent ? Là encore, des réponses partielles : "Je l'isole dans le coin bibliothèque, à l'ordinateur" ; "Je le récompense avec une activité plus ludique quand il finit une tâche" ;"J'essaie de garder un oeil sur cette élève", J'explique aux autres élèves le traitement singulier de cet enfant, pour gérer leur « jalousie », "je mets en place des contrats particuliers pour ces élèves-là ». Pour les enseignantes de CLIS, très confrontées à ce type de problème, les réponses tentent de faire le lien entre le comportement et le contenu de la situation scolaire :« On travaille ensemble avec nos deux classes, on organise des groupes de besoins dans certains domaines disciplinaires (maths et français)" ; "je verbalise les objectifs au début de la séance, je fais systématiquement un retour en fin de séance, pour voir ce qu'on a appris" ; "on a mis en place du tutorat entre élèves lecteurs et non lecteurs" ; "on propose différentes entrées pour le même apprentissage" ; "avec nos élèves handicapés, il y a besoin de beaucoup de répétitions du fait d'un manque de constance dans les acquis. Pour les enseignantes, le défi semble d'articuler le "projet individuel" avec les "projets motivants".

Avec quelles aides pour les élèves ? Dans les exemples cités, on se centre essentiellement sur l'adaptation : « Je donne des outils d'aides  en fonction de l'objectif poursuivi" ; "J'encourage les domaines de réussite" ; "Je laisse plus de temps" ; J'aménage des exercices, je copie à leur place ou je leur donne le texte  avec des trous". Cependant, la question de l'apprentissage se pose : "J'explicite les buts de l'apprentissage" ; Il faut penser au travail à la maison"

 

 

Arrivent-elles à évaluer les progrès ? Pas facile de répondre : « En CLIS, je fais une évaluation initiale puis des évaluations différentes que j'essaie le plus adaptées possible à l'élève" ;"J'adapte l'évaluation pour mesurer les progrès plutôt que le rapport à la norme »


Mais que disent-elles de « ce que ça leur demande de faire » ?

Comment passer des intentions à la réalité ? "Il faut beaucoup de rigueur et de la souplesse tout à la fois dans l'organisation de la classe, installer des « coins de décompression », dans l'organisation de la journée pour tenir compte de l'attention ou de la fatigabilité des élèves, dans la gestion de l'emploi du temps, de leur présence auprès des élèves, du bruit dans la classe".
Toutes parlent de temps, de beaucoup de temps passé, et d'une dépense d'énergie incroyable pour développer vigilance, tolérance, pour gérer les conflits entre élèves : "Dans la classe, il faut  une attention constante pour anticiper la difficulté, la fatigue, l'angoisse, l'agitation...." Quel que soit leur âge ou leur expérience, elles concèdent ne pas toujours savoir s'économiser. Elles se rendent disponibles pour ces élèves qui demandent une attention particulière, allant parfois jusqu'à culpabiliser à la fois de ne pas pouvoir s'en occuper mieux et de délaisser les autres élèves. Profitant de ce temps trop rare d'échanges permis par la formation, elles osent progressivement se parler des questions qu'elles n'arrivent pas à résoudre, que l'expérience du formateur va permettre de travailler collectivement pour en faire des "problèmes de métier", à partir de leurs expériences singulères. Encore faut-il s'approcher le plus possible du "coeur" du travail, et que le groupe accepte que les questions se répondent à distance :

"Travailler avec des élèves handicapés, c'est plus difficile ?" ; "Ce qui marche pour un élève handicapé marche... pour les autres !" ; "Evaluer... c'est compliqué... Faut-il adapter les évaluations ou pas ?" ; "Comment faire pour les aider, sans trop les aider...?". Une jeune débutante ose se lancer : "On a le droit de faire à leur place ?". Une autre s'inquiète : "Cette dépendance à l'adulte... comment je fais avec plusieurs niveaux ?". "Il faut accepter de perdre du temps pour en gagner après. Cà n'est pas facile parce qu'il faut « avancer » !". Les enseignantes de CLIS font état du "lien affectif" compliqué à gérer avec des enfants qui ont grand besoin de restaurer l'image qu'ils ont d'eux-mêmes. "Il y a toujours les questions du transfert, de la mobilisation des élèves dans le travail". Les échanges reviennent sur le travail scolaire : "Quel statut on donne à l'erreur, à la copie, au brouillon ?" ; "On est dans la notion d'entrainement" ; "Donner un cadre bien précis est rassurant" ; "Qu'est-ce que çà veut dire « devenir élève » ?" ; "Un élève, c'est quelqu'un qui apprend" ; "Et comment on fait avec le socle commun...?"


Passer par cette phase de partages des difficultés semble une étape nécessaire. Sous le regard bienveillant des autres, chacune ose dire ce qu'il n'arrive pas à faire, et on se rend compte que le voisin, la voisine a les mêmes problèmes, parfois un peu décalés. Chacune affine sa pensée en se frottant à celle des autres, ouvre des dilemmes professionnels qui, s'ils ne sont pas résolus en fin de journée, débouchent sur d'autres questions. Avec l'aide de la formatrice, les concepts plus élaborés, le recours à quelques ouvrages ou références plus théoriques permettent de construire des mots partagés, patrimoine commun : on s'interroge sur la différence entre tâche et activité, sur la co-activité de l'enseignant et de l'élève en classe. On fait une liste des différentes fonctions de l'aide : adapter, remédier, rattraper ? On réinterroge les "solutions" du quotidien : "mais décomposer la tâche en tellement de sous-tâches ne risque-t-il pas de faire perdre à l'élève le but final de la tâche ? Peut-on faire de l'aide "méthodologique" en dehors de tout contexte disciplinaire ? "Montrer comment faire", n'est-ce pas aussi aider à comprendre comment faire ?


Ce moment de la formation semble faire comme une bascule : on essaie de changer de regard sur les gestes microscopiques du quotidien, mais aussi sur les élèves et leurs "capacités"... Et les siennes ?
Si on se croyait capables... si on osait... Si on préparait quelques activités utilisables en classe, et qu'on pouvait en reparler la prochaine fois ?

Pas facile pour le formateur de ne pas casser la dynamique d'échanges tout en proposant des pistes pour la suite... On échange les adresses électroniques, un réseau est en train de se créer : « C'est important de mutualiser des outils, on ne les prend pas comme çà, on les met « à sa main »... » Laissons la conclusion à Laëtitia : « Il y a des pratiques qu'on a peur d'abandonner et des pratiques "intuitives" qu'on a peur de mettre en oeuvre ! En sortant d'ici, on a envie de se replonger dans des lectures et de tester des pistes nouvelles. On est "reboostée", malgré la fatigue de fin de trimestre. »


Bouffée d'air ! Bonnes vacances !



29/12/2011
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