ALPE74140

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Revue de presse : Article sur www.cafepedagogique.net en octobre 2010 : A la Une : Lalonde 2010 : 10e !

Elémentaire

Par M. Brun

 

La dixième édition a bien failli ne pas avoir lieu. En plein mouvement social, c'est la quadrature du syndicaliste : comment garder tous les fers au feu de la mobilisation, tout en assurant le succès du dixième anniversaire de l'événement qui est une des marques de fabrique du SNUipp, son rendez-vous annuel entre la profession et la recherche en éducation ? Comment participer aux actions qui s'opposent à la réforme des retraites tout en assurant le ravitaillement des
réservoirs de ceux qui doivent traverser la France pour arriver dans le Var ?
Il a fallu des trésors d'ingéniosité et de co-voiturage pour amener tout le monde à bon port, mais à quelques exceptions près, tout le monde est là pour trois jours de brainstorming général, et plus si affinités.

 

[...]

 

Mireille Brigaudiot : "la place de la Grande Section" 

Mireille Brigaudiot : "Croire aux progrès de tous, le vouloir et s'en donner les moyens"
Mireille Brigaudiot est inquiète. En se promenant dans les classes, elle se demande si la "mode" des classes à multi-niveaux n'est pas à discuter, tant elle voit des maîtresses "au four et au moulin" devant tout ce qu'elles ont à faire. "Lorsqu'il y a des petits partout, ne risque-t-on pas de faire disparaître leur place ?" et d'engendrer la confusion des rôles, avec "tout pour les grands toute la journée". Dénonçant avec sa verve habituelle l'innovation à tout prix, elle illustre : "Les grands de la maternelle ne doivent pas être transformés en vieux de la maternelle, et l'inflation de l'évaluationnite qui n'a rien à voir avec la recherche des compétences.
"L'horizon du CP ne doit pas devenir l'obsession du CP, et faire perdre de vue les apprentissages décisifs : avoir sa place dans l'oral des discussions, se repérer dans l'espace et le temps, connaître le monde, se repérer dans les mondes symboliques de l'écrit et des nombres...". Les apprentissages progressifs qui étaient dans les programmes complexes de 2002 avaient l'ambition de faire avancer progressivement les enfants sur le chemin des
apprentissages, au service de la réduction des inégalités. Mais malgré les acquis du rapport Thélot en 2004, le socle commun de la loi Fillon fait basculer vers l'enseignement de la lecture en lieu et place des langages, avant que le tonnerre des programmes De Robien tienne pour évidence le B-A-BA et humilie la complexité du travail de la maternelle. Les programmes de 2008
remplacent l'apprentissage progressif par l'enseignement prétenduement évaluable avec des croix et des "un mot par jour". Si on conjugue la diminution de la formation continue à l'IUFM et des acquis de la didactique, avec le renforcement des "injonctions du ciel", le tout dans l'urgence pour les tableaux de bord du pilotage, on installe la ligne directe entre la rue de Grenelle et la classe, sans aucun filtre et discussion par les experts de la formation. On perd les cycle, on perd la priorité sur le langage, on perd les activités "intelligentes", c'est à dire qui font carburer les maîtres et les élèves avec leur tête.

Quelles sont les capacités décisives des élèves en grande section ?
Parce ce qu'elle sont nouvelles, entre quatre et cinq ans, les sollicitations de l'environnement rendent les capacités des enfants. Mireille Brigaudiot distingue cinq points décisifs pour l'activité cognitive pour favoriser l'entrée dans la lecture :
- Produire des récits
Les enfants de grande section commencent à faire des récits tout seuls. Dans une phase de regroupement, prendre la parole tout seul et se faire comprendre par les autres dans le récit de fiction, c'est le plus beau défi pour réinvestir tout ce qu'on connaît dans sa culture d'enfant. C'est parce que les enfants ont été alimentés en récits en moyenne section qu'ils deviennent capable de produire des récits en grande section.
- Entrer dans de vrais dialogues
Ce n'est qu'à partir de cinq ans que les enfants commencent à entrer dans des discussions véritables, en donnant son avis, mais aussi en donnant son avis sur celui des autres.
- Prise en compte de la pensée de l'autre
Lorsqu'Astington regarde des enfants en train de comprendre des récits, elle indique qu'entre cinq et sept ans, les élèves changent de point de vue, et commencent à comprendre qu'ils peuvent comprendre le point de vue de quelqu'un, et pas seulement les évènements de l'histoire. Pour celà, il est nécessaire que les enseignants parlent de leurs propres état mentaux : ce qu'ils savent, ce qu'ils ont supposé, ce qu'ils ont décidé, ce qu'ils demandent. "Ce serait le meilleur moyen pour les enfants d'apprendre que les autres pensent, et donc qu'eux aussi peuvent penser, avoir des réflexions et des images mentales". Mais les apprentissages scolaires de base sont des activités invisibles, on a intérêt à rendre les enfants responsables et fiers e leurs progrès, comme l'indique cette phrase : "Tu sais quoi, je sais lire, enfin, en vrai, je suis
en train de savoir lire et pas savoir lire". Lorsque les élèves sont capables de savoir qu'ils sont en train d'apprendre, c'est la meilleure évaluation de leur travail, et de celui de l'enseignant.
- Questions pour savoir
Peut alors survenir, chez eux, l'envie de plus savoir, de multiplier le "pourquoi" cognitif, qui n'a rien à voir avec le pourquoi affectif de trois ans. C'est parce que la maîtresse écoute les questions, y répond, renvoie d'autres questions que les élèves multiplient les questions. Pas besoin de dispositif spécifique pour cela...
Mais les questions que posent les maîtresses sont souvent destinées aux "enfants qui savent". Une question en pourquoi ? Piaget, partant des questions en "pourquoi" d'un enfant, estime que le "parce que" peut être de type "naturel" (parce qu'elles n'ont pas de lait", "psychologique" ou "par règle" (parce que c'est la loi). Wallon au contraire explique que les enfants sont très peu en positionnement de questionnements en pourquoi. Il invite donc les adultes à poser des questions tout en considérant que les réponses des élèves sont alors généralement lacunaires, décontenancé, sidéré devant l'insolite de la question "hors zone" qui met mal à l'aise.
- Tout expliquer, avant de demander de savoir faire
En grande secton, on a la chance d'avoir tous les enfants pendant un an pour les alimenter. Faisons qu'ils soient habitués à ce que les enseignants s'intéressent à eux et valorisent leurs progrès plutôt qu'à chercher à les intéresser à des contenus hors de leur portée. Plus on est en milieu défavorisé, plus il faut commencer à leur expliquer tout du monde qui les entoure, sans rien leur demander. Si ce n'est pas l'école qui le fait, qui va le faire ? C'est seulement une fois que vous avez fait ces démonstrations que vous pouvez les mettre devant des petits problèmes à résoudre ou leur demander leur avis.

Marcel Crahay : "Une Ecole juste et efficace, une utopie ?" 

Pour la dernière ligne droite de la session, les organisateurs ont invité Marcel Crahay, de l'université de Genève, observateur attentif des performances des différents systèmes européens. Tiendra-t-il en haleine une salle fatiguée par ces deux jours intenses, et préoccupée par ses conditions de retour à la maison ? Le défi n'est pas gagné d'avance.

Quelle école avons-nous ?
Partout, les inégalités de réussite à l'école ont une corrélation avec l'origine sociale des élèves, et vont produire des inégalités sociales. Ce constat universel est cependant très variable d'un pays à l'autre, comme en témoignent les résultats des enquêtes internationales. En France, l'ampleur du marquage social de ces écarts est très important. De nombreux paramètres
semblent y contribuer : importance du redoublement, variation de performance entre les écoles et les territoires...


Quelle école voulons-nous ?
Lorsqu'on réfléchit à la justice à l'Ecole, plusieurs modèles cohabitent :
- On peut vouloir la même chose pour tous (justice égalitaire), réclamer l'égalité de traitement : à partir des dons, des potentialites naturelles, on va offrir à tous des ressources, charge à chacun d'en tirer parti en fonction de son potentiel, de son origine sociale.
- Mais on peut aussi, comme le voulaient Claparède ou Rousseau, distribuer les bénéfices au prorata des mérites des uns ou des autres (justice méritocratique), ce qui débouche sur le principe de l'égalité des chances. Selon se principe, à cpacité égale, la qualité pédagogique doit être différente... Le modèle de la "différenciation pédagogique" en découle, demandant d'ajuster les traitements aux caractéristiques et aux attitudes des individus. Les meilleurs, quelle que soit leur origine sociale, on droit au mieux. Ce modèle postule que les individus viennent au monde avec des qualités intrinsèques, des aptitudes de départ.
Cette conception existe encore, mais est discutée par ceux qui se réfèrent au modèle de l'égalité de traitement, comme le réclamait Alain : une école offrant à tous la même qualité, quelle que soit les élèves.
- Arrive donc le modèle d'une justice corrective (justice redistributrice) qui réclame l'égalité des acquis. C'est la discrimination positive, telle qu'elle put présider à la construction des politiques d'éducation prioritaire, qui postule que les performances individuelles sont supposées modifiables.

Mais s'il apparaît à l'expert plus "démocratique", l'opinion publique n'est pas forcément la plus convaincue de la nécessité de se réferer à se dernier modèle.
Lorsqu'on a interrogé le peuple suisse sur ce qu'il veut faire du collège, c'est un projet de filières d'orientation qui l'a emporté, selon le modèle du "à chacun ses aptitudes". L'Allemagne réfléchit aujourd'hui à l'élaboration de filières à partir de dix ans. On cherche à définir des tests d'évaluation "objectifs" pour orienter tôt les élèves en fonction de leurs "aptitudes".
On constate que système éducatif devient "dual" : les inégalités constatées dans les premières classes s'agrandissent au fur et à mesure de la trajectoire scolaire, dans des trajectoires scolaires de plus en plus différentiées en fonction de la catégorie sociale d'appartenance.
Pour briser le lien entre la catégorie sociale d'appartenance et les résultats scolaires, on veut éviter l'effet Mathieu (donner davantage au forts) et l'effet Robin des Bois (limiter les performances des plus forts pour favoriser les plus faibles). Bloom postulait que le "niveau de maîtrise" pouvait être atteint par tous, pour peu qu'on joue de manière flexible sur les temps
d'apprentissage. Mais sans doute, précise M. Crahay, ne suffit-il pas d'attendre. Encore faut-il organiser l'enseignement de manière à solliciter dès que possible les capacités cognitives qui peinent à se construire.

Quelques pistes de réflexion
On peut donc considérer, en regardant l'organisation des systèmes éducatifs, deux modèles contradictoires :
- certains rêvent de la liberté de choix de l'école, de filières spécialisés précoces et d'éducation spécialisée pour les élèves à besoins spécifiques

- à l'opposé, on peut défendre une sectorisation, un curriculum commun le plus longtemps possible, des classes hétérogènes...
Quand on constate les résultats des systèmes éducatifs en fonction de ce prisme, on constate l'efficacité supérieure des organisations les plus démocratiques, "ce qui est une bonne nouvelle". On n'a pas à choisir entre l'efficacité et l'égalité. Cela nous permet de résister à ceux qui nous
expliquent qu'il faut faire des choix. Dans le même sens, on sait aujourd'hui que le regroupement des élèves selon leurs "aptitudes" renforce surtout le regroupement selon l'origine sociale et la production d'écoles-ghettos, selon un mécanisme qui n'est pas délibéré, mais se fait insidieusement, indirectement, selon leur statut d'immigré ou de natifs. C'est un effet secondaire de nos processus d'évaluations. Ce sont ces effets d'agrégation qui contribuent à faire baisser les résultats globaux du système éducatif du pays : lorsqu'ils sont ségrégués, les élèves ont en moyenne des résultats inférieur à ce que peut prédire leur catégorie sociale d'appartenance. A l'inverse, lorsque les élèves défavorisés sont scolarisés dans des écoles socialement mixtes,
leurs résultats sont supérieurs aux performances attendues, sans que pour autant les élèves favorisés soient pénalisés.

A propos du redoublement

Les enseignants disent avec raison que dans leur classe, un élève qui redouble progresse dans ses résultats. Mais la recherche montre que leur progression, à âge constant, est moins forte que s'ils n'avaient pas redoublé. Mais évidement, ces recherches ne disent pas que la promotion automatique suffit à régler les problèmes des élèves en difficulté pour leur faire rattraper le niveau des autres. Alors, que faire pour "assurer les bases" ? Si on leur offre une "intervention individualisée" en intervenant dès que la difficulté d'apprentissage apparaît, de manière ciblée, ils peuvent progresser. Il faut faire le "pari de l'éducabilité" en résistant au redoublement, à l'agrégation des élèves en difficultés. Mais l'idéal n'est sans doute pas sufisant : la diffusion des connaissances scientifiques sur ces questions me semble un autre levier essentiel.

Toujours réactive, une syndicaliste interpelle le conférencier sur les limites du Socle Commun, soucieuse d'avoir l'ambition de haut niveau pour tous. Crahay défend sa position : "Certes, on peut m'objecter que la maîtrise par tous d'acquis de base, notamment la lecture, est trop modestement ambitieux. Mais je persiste à dire qu'ayant franchi cet objectif, nous pourrions ensuite plus facilement rêver d'avenirs plus radieux pour dépasser les bonnes intentions"... Songeuse, la salle s'interroge sur tous ces mots, tellement connotés qu'on ne peut plus les utiliser sans être taxé de petit bras...

Et maintenant, quitter la bulle de Lalonde, retourner dans ses terres pour se reposer quelques jours, tout en participant aux mobilisations organisées dans la semaine, c'est l'invitation de Judith Fouillard, co-secrétaire générale, à la fin de la matinée...
A l'année prochaine...



29/10/2010
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