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Revue de presse : Article dans L'express du 12/02/2013 : Vincent Peillon : "Nous ne sommes qu'au début de la réforme des rythmes scolaires"

C'est son heure de vérité. Une réforme des rythmes scolaires et, plus largement, de l'école, qui figure au coeur des priorités présidentielles ; un domaine, l'éducation, particulièrement sensible, et plus encore pour une personnalité politique de gauche ; un face-à-face avec les collectivités locales qui n'est pas gagné d'avance. Le ministre de l'Education nationale, Vincent Peillon, n'a pas le droit à l'erreur. 

 

Vous vous étiez beaucoup préparé à ce poste de ministre de l'Education nationale, et pourtant, à peine neuf mois après votre nomination, on a l'impression que la situation vous échappe quelque peu. Pourquoi ?

J'ai toujours su que la réforme de l'école serait nécessairement difficile. Car il ne peut s'agir seulement de rajouter des moyens - nous le faisons -, mais il faut aussi changer des habitudes et des pratiques. Nous n'avons pris personne par surprise. Les Français ont élu un président de la République qui porte un changement ambitieux pour l'école et l'avenir de nos enfants. Chacun est maintenant face à ses responsabilités. J'assume la mienne avec conviction et sincérité. 

 

Tout le monde était pour la réforme des rythmes scolaires... jusqu'à ce que vous la lanciez. Comment avez-vous réussi à susciter l'opposition, même de ceux qui étaient favorables à la semaine de quatre jours et demi ?

Tout le monde était pour... en paroles. Mais personne n'a osé l'entreprendre. Tout le monde était pour, mais pas cette réforme-là, pas maintenant... Le problème, c'est que personne n'en propose d'autre qui recueille l'assentiment. Plus sérieusement, que ceux qui doivent mettre en place la réforme, les professeurs, les parents, les animateurs, les collectivités locales, expriment des inquiétudes, c'est vrai, et c'est légitime. Nous n'ajoutons pas seulement une demi-journée, nous modifions le temps de chaque journée, et nous touchons donc à des organisations anciennes. Ce n'est pas une réforme passive. Est-il honteux de demander des efforts dans l'intérêt des enfants ? Chacun doit se mettre en mouvement. 

 

En quoi cette évolution des rythmes scolaires constitue-t-elle un test de la capacité de la société française à se réformer ?

Pour deux raisons. D'abord, la société française vit une crise d'avenir. Chacun pense qu'il peut y arriver individuellement, mais que, collectivement, ce n'est plus possible. Nous avons du mal à faire de l'intérêt de nos enfants l'intérêt prioritaire. Or c'est l'avenir du pays. Ensuite, on se critique beaucoup les uns les autres : on dit que les professeurs sont corporatistes, que les collectivités vont maltraiter l'école, que les animateurs sont non qualifiés... La réforme des rythmes a une double vertu : elle nous oblige à faire passer l'intérêt de l'enfant - donc de l'avenir - en premier, et elle nous oblige à nous respecter et à travailler ensemble pour y parvenir. 

 

"Cette réforme de la semaine de quatre jours et demi doit pouvoir, après concertation, être effective dès la rentrée 2013", avait dit François Hollande en octobre 2012. On a donc déjà une certitude : le calendrier ne sera pas tenu. Même le maire, socialiste, de Lyon, Gérard Collomb, s'interroge ouvertement sur sa faisabilité cette année...

Je recommande aux communes de passer dès cette année. Les difficultés rencontrées en 2013 seront encore plus présentes en 2014, année électorale. Mais je précise qu'il ne s'agit pas pour les maires de boucler leur projet éducatif en un mois, ils ont jusqu'à l'été. Le ministère accompagnera les communes qui se posent des questions techniques. Nous venons d'éditer un guide à cet effet. Quand on change, tout n'est pas parfait immédiatement, mais plus tôt on s'engage dans cette réforme, plus tôt elle portera ses fruits et plus tôt on pourra l'améliorer.  

 

Dans la loi d'orientation que vous avez présentée, vous ouvrez des chantiers qui vont du collège à l'éducation prioritaire et à la lutte contre le décrochage. Le soutien des professeurs à cette réforme passe-t-il par plus d'argent ? On parle d'une prime annuelle de 400 euros.

J'ai lu ça... mais je ne confirme rien. Des discussions sont engagées, comme chaque année au ministère, sur les "mesures catégorielles". Il y a des gestes à faire envers les professeurs des écoles. Pas pour compenser le passage aux quatre jours et demi - puisque leur temps de travail ne sera pas augmenté. Mais ce métier mérite d'être mieux considéré. Je souhaite aussi prendre des mesures pour les personnels de catégorie C (agents techniques), dont les salaires sont extrêmement modestes. Je précise qu'il n'y aura pas de moyens supplémentaires. Je reste dans le cadre très contraint du budget de l'Education nationale. Il serait bon que la négociation aboutisse d'ici à un mois.  

 

Bruno Julliard, syndicaliste de la première heure à l'Unef, a quitté votre cabinet en confiant avoir été frappé par le conservatisme des syndicats enseignants. Quand on passe de l'autre côté de la barrière, voit-on toujours les choses autrement ?

Il n'y a à désobliger personne : être blessant nous retarde. Les gens se recroquevillent ensuite sur eux-mêmes. Dans les inquiétudes des professeurs, des collectivités locales, des parents même, il y a des préoccupations justes qu'il faut entendre. Les syndicats ont des revendications catégorielles, et c'est leur droit. Nous devons ensemble apporter des réponses.  

 

Donc, il n'y a pas de blocage de principe de la part des syndicats ?

Aucun ne dit qu'il est contre la réforme. En revanche, certains me reprochent de ne pas la faire comme ils la souhaiteraient. Or, il faut avancer, et personne n'est en mesure de proposer une réforme alternative. D'autant que toutes les études vont dans le même sens : elles montrent que nos rythmes ne sont pas bons pour les élèves et prônent le retour à la semaine de quatre jours et demi. 

 

L'annonce, lors de la campagne, de la création de 60 000 postes dans l'Education nationale ne vous a-t-elle pas d'emblée privé de toute marge de manoeuvre et de négociation ?

Nous avons fait plusieurs choix que nous assumons. Le premier, ce sont ces créations de postes. C'est nécessaire. Le second, c'est la formation. La simple mise en place de l'année de stage pour les débutants consomme 27 000 postes, ce qui représente 50% des nouveaux postes. Ils ne seront qu'en partie présents sur le terrain - les heures de cours qu'ils donneront représentent l'équivalent de 13 500 postes: mais qui pourrait dire que ce n'est pas indispensable ? La suppression de la formation des enseignants, menée par le précédent gouvernement, est une catastrophe. Il demeure des tensions. Nous inscrivons en effet des postes au concours, mais avons du mal à recruter. Actuellement, en Seine-Saint-Denis, il y a des enfants de CP qui n'ont pas d'enseignants, et pourtant nous y avons recruté tous ceux qui figuraient sur les listes complémentaires des concours. Ce mois-ci, nous finissons de recruter 4000 premiers emplois d'avenir professeurs. Ce sera un travail de longue haleine, tant les dégâts sont importants. Mais cela ne nous affranchit pas pour l'avenir du devoir de mener une revalorisation du métier d'enseignant. On ne peut pas garder dans le long terme des professeurs des écoles payés 15% de moins que dans les autres pays autour de nous. Quand nous aurons opéré cette réparation, et quand les finances publiques le permettront, il faudra poser la perspective d'une augmentation des rémunérations. 

 

La mise en place des écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE), prévue dès la rentrée 2013, suscite, elle aussi, des inquiétudes...

Mais aussi beaucoup d'espoir et d'enthousiasme, car c'est un enjeu considérable que celui de la formation des professeurs. Je suis heureux de voir comme le monde universitaire, que je connais bien, s'implique. Et je veux les rassurer : je ne leur ai pas demandé d'avoir 20/20 dès la première année. Je veux juste que les 40 000 jeunes recrutés cette année aient une formation. La querelle entre les deux ministères de l'Education et de l'Enseignement supérieur précédents avait conduit au drame de la mastérisation. Mais Geneviève Fioraso et moi avons une entente parfaite et nos équipes aussi. 

 

A quelle échéance faut-il passer à trente-huit semaines de cours par an ?

A partir de 2014, je veux qu'on rouvre ce doussier. Nous ne sommes qu'au début de la réforme des rythmes: il va aussi falloir se pencher sur le collège et le lycée. S'interroger sur l'alternance entre les semaines de cours et les vacances, ainsi que sur la place des examens. Quand je vois les débats suscités par la semaine de quatre jours et demi, je me dis qu'il faut absolument réussir cette réforme. Si nous parvenons à convaincre que ce que nous faisons est utile, les autres étapes suivront. Et je me réjouis qu'à cette occasion on parle d'école partout en France, dans chaque commune. 

 

Le collectif anonyme des Dindons est très remonté contre la semaine de quatre jours et demi et demande qu'elle soit assortie d'une modification des programmes du primaire. Que leur répondez-vous ?

Mais dindons de quoi ? Je n'apprécie pas beaucoup cette autodésignation. J'ai énormément de respect pour les professeurs. Nous faisons tout pour que la nation reconnaisse qu'ils sont au coeur de nos préoccupations. Chaque fois que nous créons un emploi dans l'Education nationale, on en supprime un dans un autre ministère. Il faut être digne de cela ! Nous améliorons les conditions de travail, j'ouvre des discussions sur le métier. Le primaire est la politique prioritaire de ce gouvernement. Et ce serait les professeurs des écoles qui seraient les dindons ? Concernant la modification des programmes, ils doivent s'informer : elle est prévue. Ceux de 2008 doivent être revus, mais dans la transparence. La loi prévoit le retour du Conseil supérieur des programmes, qui avait été supprimé. Je veux que les meilleurs de nos savants travaillent à leur conception avec nos professeurs des écoles. Cela prendra au moins deux ans. Nous avons déjà démarré. Il y a des arguments légitimes, et il y a des arguments de mauvaise foi. La révision des programmes est au coeur de notre refondation, comme celle du socle et des évaluations. 

 

"Le temps de la refondation est venu. Nous la conduirons ensemble. Nous avons déjà trop tardé." Qui a prononcé cette phrase ?

[Silence.] Cela peut être le président. Cela peut être moi... 

 

C'est le président. Mais celui d'avant ! C'est Nicolas Sarkozy, le 4 septembre 2007, dans sa "Lettre aux éducateurs"... Vous lui avez piqué la formule pour le livre que vous publiez le 13 février ?

Ah bon ? Sur l'école ? Incroyable... Comme quoi les mots ne font pas tout.  

 

Autre thème qui vous tient à coeur, la morale laïque. Vous écrivez : "Une éducation morale n'est pas un dressage mais une réflexion sur le sens de l'existence." Comment envisagez-vous son apprentissage ?

La République a des valeurs qu'elle assume, l'idéal républicain et laïque fait partie de ce qui doit être enseigné. Mais on a perdu le sens des mots. La morale laïque ne se réduit pas à l'instruction civique. Il faut donc définir son champ. Il faut aussi étudier la progression de son enseignement. On n'enseignera pas la même chose et de la même façon avec un élève de CP et avec un de terminale. Enfin, je constate qu'une discipline qui n'est pas évaluée n'existe pas vraiment. J'ai donc confié une mission à trois personnalités, qui doivent apporter des réponses à ces trois questions. Elles rendront leurs travaux fin mars. 

 

En revanche, vous parlez peu de la violence dans votre livre - elle occupe deux lignes. Pourquoi ?

Nous avons créé un nouveau métier, en recrutant 500 assistants de prévention et de sécurité. Je n'ai pas démantelé les équipes mobiles de sécurité qui avaient fait leurs preuves. Je n'ai pas remis en cause le travail sur les incivilités et le harcèlement, mené par Eric Debardieux sous le gouvernement précédent. Je lui ai même confié la direction de la délégation ministérielle chargée de la prévention et de la sécurité en milieu scolaire - et c'est la première fois que le mot "violence" figure dans l'organigramme de ce ministère... Le traitement de la violence est une affaire de long terme qui ne doit pas être soumise à la pression médiatique. D'ailleurs, je ne me rends pas dans les établissements avec des caméras chaque fois qu'il y a un incident. Mais c'est une de mes préoccupations majeures. Pour étudier, il faut du temps, il faut aussi de la sécurité. 

 

Vous ne voulez pas être dans l'émotion ?

Avec 12 millions d'élèves, il se produit tous les jours des faits dramatiques. L'émotion existe, moi-même, il m'est arrivé d'appeler des parents plongés dans le drame. Mais aller devant l'école et dire : "Plus jamais ça", cela ne sert à rien. Fin février, Eric Debarbieux rendra publics les résultats d'une enquête de victimation des professeurs de primaire. A cette occasion, je poursuivrai le travail de fond entrepris. Je veux qu'il y ait une professionnalisation de ce nouveau métier que nous avons créé. Nous sommes aussi en train de construire des modules de formation dans les ESPE, afin d'apprendre aux enseignants à gérer les situations des conflits. Nous avons remarqué également que, là où les collégiens et les lycéens prennent davantage en charge la vie scolaire, il y a moins d'incidents. Par exemple, là où les élèves de terminale sont responsabilisés et accueillent les secondes, les établissements sont plus apaisés. Et je développe une action de fond contre le racisme, l'antisémitisme, les discriminations, de lutte contre l'homophobie, pour l'égalité filles-garçons. Je prends cette affaire très au sérieux. 

 

Faut-il rebaptiser les écoles maternelles, comme l'a demandé une députée PS ?

Non. Je comprends ce qu'a voulu dire Sandrine Mazetier, mais je crois que la question de l'égalité entre les garçons et les filles à l'école va bien au-delà de cette question. Je viens d'ailleurs, avec la ministre des Droits des femmes et quatre autres ministères, de signer une convention en ce sens.  

 

On ne compte plus les ministres de l'Education qui sont tombés à cause d'une réforme. Serez-vous toujours là dans un an ?

Quand je suis arrivé ici, un recteur m'a dit que les ministres passaient d'autant plus vite qu'ils voulaient faire des choses. C'était gentil, mais un peu cynique. Je ne suis pas cynique. L'Education nationale a besoin de temps. Il faut remettre de la constance dans l'action publique. Nous devons assurer la réussite de nos enfants. Gardons le cap. 

 

Etes-vous personnellement favorable à la PMA ?

Je suis favorable, comme l'a annoncé le gouvernement, à ce que la PMA soir proposée dans la loi sur la famille, après avis du Conseil national d'éthique. 

 

Un mot, un seul, pour qualifier François Hollande ?

Courageux. 

 

Jean-Luc Mélenchon ?

Décevant. 

 

François Bayrou ?

Intéressant. 

 

Jean-Louis Borloo ?

Sympathique. 

 

Vincent Peillon ?

Opiniâtre. 

 

Propos recueillis par Laurence Debril et Eric Mandonnet



12/02/2013
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