Revue de presse : Article dans Le Figaro du 07/11/2014 : Ces enfants handicapés obligés de s'exiler de France pour aller à l'école
Faute de place dans les établissements spécialisés français, plusieurs centaines d'enfants se rendent en Belgique ou en Suisse pour suivre des cours adaptés à leur handicap.
La scolarisation des enfants handicapés est un perpétuel casse-tête pour certains parents. Manque de place dans les structures spécialisées, échec de l'accompagnement en milieu ordinaire… Environ 20.000 enfants handicapés seraient obligés de rester à la maison. Face à cette situation, des milliers de parents sont contraints de scolariser leurs enfants en Belgique et parfois en Suisse. Une solution toujours très compliquée.
Un manque de place en France
Malgré les nombreux dispositifs mis en place par la France pour scolariser les enfants handicapés, «on manque cruellement de places en établissements spécialisés, notamment dans les Instituts médico-éducatif (IME)», déplore Sophie Cluzel, présidente de la Fnaseph (Fédération nationale des associations au service des élèves présentant une situation de handicap). Ces enfants lésés sont souvent autistes ou polyhandicapés (handicap mental et moteur). «Ils sont aptes à suivre un cours dans une école spécialisée mais ne trouvent aucune place dans un foyer médical», précise de son côté Bernard Peyroles, président de l'association Andephi (Association nationale de défense des personnes handicapées en institution).
Les parents préfèrent la Belgique
La prise en charge en Belgique serait aussi meilleure. «Certains parents ne veulent plus d'une approche purement médicale, voire psychiatrique et souhaitent une prise en charge plus éducative et comportementale», explique encore Sophie Cluzel de la Fnaseph. Contrairement à la France, qui cherche prioritairement à scolariser les enfants dans les classes ordinaires, la Belgique a depuis les années 1970 privilégié la voie de l'enseignement spécialisé. Dans ces écoles, les classes comptent très peu d'élèves (une dizaine environ), ce qui permet à l'enseignant de se concentrer sur chacun et d'adapter sa pédagogie en fonction des besoins de l'enfant.
C'est notamment le cas à l'école «Les Co'Kain». Cet établissement de niveau maternel et primaire accueille principalement des enfants autistes dont 40% de Français. Ici les classes sont composées de six enfants. Après leur visite dans cette école spécialisée en 2012, les sénatrices Isabelle Debré et Claire-Lise Campion n'avaient pas caché leur enthousiasme: «Les progrès réalisés, au fil des ans, sont remarquables», écrivaient-elles dans leur rapport parlementaire. «Des petits arrivés à l'école dans un état très grave (mutisme, comportements violents…) parviennent quelques mois plus tard, à communiquer, à faire des activités, à ne plus être effrayés par la présence d'autrui (…) Pour les parents, l'enseignement spécialisé représente un immense soulagement car leur enfant, bien qu'handicapé, est pris en charge dans une véritable école et non en institution spécialisée».
Au moins 2800 enfants concernés
Séduits par ces méthodes pédagogiques et face à la pénurie de place en France, les parents envoient principalement leurs enfants en Wallonie où de nombreuses écoles spécialisées, de la maternelle au lycée, accueillent près de 2800 petits Français handicapés: une majorité d'entre eux (environ 1800) sont hébergés dans des établissements spécialisés et vont à l'école en bus ou à pied. Les autres enfants (près d'un millier) font les navettes tous les jours entre la France et la Belgique. «Soit les parents viennent les chercher, soit des minibus les ramènent ou alors ils prennent le taxi», raconte Bernard Peyroles, président de l'association Andephi, en rappelant qu'une grande majorité d'entre eux viennent du Nord-Pas-de-Calais et d'Île-de-France.
Des dépenses prises en charge par la Sécurité sociale
Si l'école belge est gratuite, les déplacements et l'accueil en Institut médico-pédagogique (IMP) sont en revanche payants. La facture peut d'ailleurs vite grimper: comptez entre 150 et 180 euros par jour pour le centre d'hébergement spécialisé, plus, le cas échéant, la course en taxi dont le prix moyen s'élève à 160 euros le trajet. Toutes ces dépenses sont prises en charges par la Sécurité sociale française qui rembourse chaque année près de 60 millions d'euros en frais de transports et en hébergement pour ces petits Français scolarisés en Belgique.
Un système en apparence coûteux
Bien que ce montant paraisse élevé, ce système de sous-traitance reste avantageux pour la France. L'explication est simple: la différence de prix entre la Belgique et la France peut aller du simple au double. «Par exemple, le tarif d'hébergement à la journée dans un foyer médicalisé en France tourne autour de 200 à 400 euros alors qu'il est de 180 en Belgique», constate Isabelle Resplendino, déléguée Belgique pour Autisme France qui explique cet écart de tarifs par des normes plus contraignantes en France, notamment en terme de bâti et de personnel encadrant. En laissant partir les Français en Belgique, elle s'épargne aussi la contruction de structures coûteuses, exigeantes au niveau des normes de construction à respecter.
«Les usines à Français»
Côté belge, certains ont bien compris l'intérêt de recevoir des Français. Autorisés par l'Agence wallonne d'intégration des personnes handicapées (AWIPH), ces centres spécialisés ont fleuri le long de la frontière franco-belge, passant de 98 en 2011 à 140 en 2014. «Mais, sans généraliser ce fait, certains gérants de grosses structures sont uniquement motivés par une logique commerciale», regrette Isabelle Resplendino. «On les appelle d'ailleurs les usines à Français». Résultats: les familles ont parfois de mauvaises surprises. «Il arrive que ces centres restreignent les retours dans la famille, cherchent à faire des économies sur la qualité des repas ou bien tombent très facilement dans la médicamentation dès qu'il y a un problème de comportements», décrit la responsable d'Autisme France.
Vers un renforcement des contrôles
En 2011, un accord-cadre a été signé entre la France et la Wallonie pour mettre en place des contrôles bilatéraux de ces établissements, très peu surveillés. Cet accord n'est toujours pas appliqué. Mais le processus avance: une première commission mixte Wallonne-France s'est réunie début octobre avec Ségolène Neuville, secrétaire d'Etat en charge des personnes handicapées. Lors de cette réunion, le nouveau ministre wallon des personnes handicapées, Maxime Prévot, s'est notamment engagé à faire relever les normes légales des établissements accueillant les Français au même niveau que celles des établissements accueillant des Belges. Il est aussi question d'une charte qualité qui donnerait lieu à un label, facilement repérable par les familles françaises.
Un choix toujours difficile pour les familles
A Bordeaux, Florence Perez, maman d'un enfant de 12 ans diagnostiqué hyperactif avec de gros troubles du comportement, connaît bien le problème de la scolarisation des enfants handicapés. Après une scolarité avec une auxilaire de vie scolaire (AVS), son fils Maxime a dû rejoindre un hôpital de jour à plein temps en 2010. «Alors qu'il avait 20 heures de cours par semaine, Maxime s'est retrouvé avec 30 minutes de classe par semaine», s'agace cette chef d'entreprise de 48 ans. «Résultat, il est déscolarisé et a un niveau CE2 à l'âge de 12 ans». Pour rattraper ce retard, elle a tenté de l'inscrire au cours du Cned, en vain.
Dernière déception en date: «Mon fils devait intégrer en janvier 2015 un Ulis (Unité localisé pour l'inclusion scolaire. NDLR) couplé avec un hôpital de jour, mais je viens d'apprendre que la directrice de l'hôpital ne voulait pas le prendre sous pretexte qu'il était trop difficile à gérer». Excédée, elle a décidé de déposer un référé liberté «pour que l'Etat puisse prendre son fils en charge». A-t-elle déjà pensé à la Belgique? «Non, soupire cette maman. On habite à Bordeaux et je n'ai pas du tout envie de me séparer de mon petit. Je comprends que les gens aillent en Belgique mais je trouve ça anormal, c'est inadmissible qu'on ne puisse pas prendre en charge nos enfants en France».
Par Caroline Piquet
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