Revue de presse : Article dans Le Figaro du 19/08/2011 : Stéphane Clerget : «Il faut sauver les garçons !»
Éduqués par des femmes, à la maison comme à l'école, les petits garçons décrochent. Auteur de Nos enfants aussi ont un sexe. Comment devient-on fille ou garçon ? (1), le pédopsychiatre Stéphane Clerget affirme qu'il faut impérativement réintroduire les hommes à l'Education nationale et généraliser la garde alternée en cas de divorce.
LE FIGARO MAGAZINE: Le débat sur les différences entre les garçons et les filles a-t-il toujours été aussi vif ?
Stéphane Clerget - On s'est toujours passionné pour les différences entre les garçons et les filles. Pendant des siècles, on a essayé de mettre en avant des différences supposées réelles pour justifier la différence de traitement entre les garçons et les filles, généralement au détriment des filles, bien sûr. Il s'agissait d'associer aux différences physiques des différences psychologiques, de caractère... Même la Révolution française, qui a voulu tout égaliser, a accordé le droit de vote aux seuls hommes, considérant que les femmes n'étaient pas assez fiables. Souvenez-vous, au XIXe, du célèbre vers d'Alfred de Musset : «Tous les hommes sont menteurs, inconstants...» (2) Beaucoup d'efforts ont été faits ces dernières années, mais c'est seulement aujourd'hui qu'on bat en brèche les stéréotypes sur les garçons et les filles.
Lesquels, par exemple ?
Jusqu'au XXe siècle, on pensait que les garçons étaient meilleurs à l'école parce que, en gros, leur cerveau étaient plus volumineux. Aujourd'hui, en France, 58% des diplômés du supérieur sont des filles. Cela montre bien que l'idée selon laquelle le cerveau des femmes est moins performant était fallacieuse.
Aujourd'hui, ce sont plutôt les garçons qui échouent à l'école. Pourquoi ?
Parce que l'école n'est plus adaptée aux garçons. Il y a plusieurs explications à cela, mais la principale est que le corps enseignant est majoritairement féminin, surtout dans le primaire et au collège, et les garçons ont du mal à s'identifier à des « sujets supposés savoir » (3) féminins. D'autant qu'à la maison, ce sont les mères qui s'occupent des devoirs la plupart du temps. Ce qui n'était pas le cas autrefois, lorsque les pères vérifiaient les notes et punissaient. On voit bien dans ce cas le rôle capital que joue l'environnement.
Pourtant, certains préjugés ont la vie dure. Ne dit-on pas aujourd'hui encore que les hommes réussissent mieux en maths et en sciences que les femmes ?
Cette idée persiste, car ces métiers-là ont longtemps été destinés aux hommes. Il n'en reste pas moins vrai que les sciences et les maths sont un domaine où les garçons sont plus performants que les filles, sachant que ces dernières ne cessent de progresser.
Pour quelles raisons ?
Il y a sans doute plusieurs explications. L'imprégnation d'hormones mâles sur le fœtus influe sur le cerveau, ce qui explique les différences - certes beaucoup moins nombreuses qu'on ne l'a longtemps cru - entre le cerveau des garçons et celui des filles. Cette imprégnation hormonale favorise l'agressivité des garçons, ce qui encouragerait leur esprit cartésien.
Quel est le rapport ?
Les garçons doivent faire plus d'efforts que les filles pour maîtriser leur agressivité, ils sont dans le contrôle permanent, obligés de se raisonner. C'est aussi la raison pour laquelle ils sont souvent plus obsessionnels.
On sait depuis le Moyen Age que le verbe est féminin et l'acte, masculin. On sait aussi que les garçons ont statistiquement plus de mal que les filles à exprimer leurs émotions, ils sont moins à l'aise dans le verbe.
L'éducation ne joue-t-elle pas un rôle crucial dans le contrôle des émotions ?
Bien sûr, plusieurs facteurs entrent en jeu, mais il ne faut pas négliger les conséquences de cette imprégnation hormonale pendant la grossesse.
Ensuite, c'est vrai, nous éduquons les garçons et les filles différemment. Nous n'agissons pas de façon identique avec eux, même lorsqu'ils sont bébés. On a fait des tests en mettant en présence de nourrissons des personnes qui n'étaient pas les parents. Selon qu'on leur disait que c'était un garçon ou une fille, elles ne leur parlaient pas de la même façon, n'avaient pas la même attitude.
Notre comportement influence l'enfant. On sait par exemple, aujourd'hui, que les garçons sont sevrés plus tard que les filles. Pourquoi ? Mystère. Est-ce parce que la mère se conduit différemment avec son garçon ? Peut-être éprouve-t-elle plus de plaisir à allaiter un garçon ?
Avez-vous aussi noté que les mères, lorsqu'elles parlent de leurs enfants, considèrent que leurs petits garçons sont plus fragiles que leurs petites filles ? A l'inverse, les pères jugent en général leurs garçons plus solides.
Il y a d'autres différences. Quand on parle à un bébé fille, on va davantage parler de soi, de ses émotions, de son intimité. Avec un bébé garçon, on va plus parler de l'environnement, de l'extérieur... Nous sommes tous porteurs d'a priori qui vont influencer la manière de penser des enfants.
Ils deviennent ce qu'on attend d'eux...
Dès 3 ans, 95% des enfants savent s'ils sont fille ou garçon. Ils ne savent pas forcément ce que cela signifie mais les rôles sont figés. Ils vont alors essayer de se conformer aux discours qu'on leur tient sur leur sexe et à ce que leurs parents et la société attendent d'eux.
Mais il y a d'autres explications. Selon moi, l'enfant pense aussi en fonction de son corps et de sa génitalité. Les filles perçoivent très vite que leur génitalité est à l'intérieur d'elles, c'est-à-dire qu'elle auront plus tard un bébé dans le ventre. Cela ne favorise-t-il pas les activités introspectives, l'imaginaire ? Les garçons, eux, réalisent que leur génitalité est extérieure. Ils sont plus dans la projection : ils lancent des projectiles, tirent au pistolet ; tandis que les filles, elles, tirent davantage pour ramener à elles : elles tirent les cheveux, par exemple. Pour moi, c'est la métaphore de leur corps sexué.
Et pourquoi les garçons jouent-ils à la guerre et pas les filles ? Lorsqu'ils réalisent, vers 4 ans, qu'ils ne pourront jamais avoir un bébé dans leur ventre, qu'il ne pourront pas donner la vie, c'est un drame. Ils décident alors de donner la mort, qui est un pouvoir équivalent à celui de donner la vie.
Voilà des explications psychologiques qui ne sont pas liées à l'éducation mais bien à la réalité biologique. Les différences anatomiques influent sur la psychologie.
Est-on suffisamment attentifs aux stéréotypes aujourd'hui, lorsqu'on éduque les enfants ?
L'école est pleine de stéréotypes ! Les garçons sont plus sévèrement notés que les filles, ils sont plus souvent punis que les filles. L'école est aujourd'hui un vrai problème pour les garçons, parce qu'ils sont un peu plus agités, plus kinesthésiques et qu'il leur est difficile de rester assis pendant huit heures à faire des travaux d'écriture. Au collège, il y a même des garçons qui jouent à être moins bons pour ne pas se faire traiter d'intello ou de fille !
Il faut absolument adapter l'école et masculiniser le corps enseignant, surtout au primaire et au collège, où quasiment tout le personnel d'encadrement est féminin. Il y a davantage de mixité dans le corps enseignant au lycée, mais, à ce moment-là, malheureusement pour les garçons, la sélection est déjà faite. Personnellement, je plaide pour une véritable parité du personnel de l'Education nationale, et pas seulement les enseignants. Si nous ne faisons pas cette révolution, si nous ne réintroduisons pas les hommes à l'école, nous courons à la catastrophe.
Faut-il remettre en cause la mixité ?
Ce serait une mauvaise solution, car la mixité a d'énormes avantages : elle favorise les liens entre les hommes et les femmes. Mais ce serait mieux que la situation actuelle.
Les parents d'aujourd'hui ne sont-ils pas plus attentifs à ces stéréotypes ?
Les pères commencent de nouveau à s'intéresser à la réussite scolaire de leurs enfants, mais c'est généralement à partir du collège. La maternelle et le primaire restent gérés par les mamans. Et compte tenu du nombre de divorces, beaucoup de pères voient leurs enfants seulement le week-end, et ce n'est généralement pas pour les faire travailler. Du coup, dans la tête du petit garçon, la masculinité est associée aux loisirs, tandis que la dimension contraignante de la vie est associée au féminin. Il faut à tout prix développer la garde alternée, malheureusement insuffisamment accordée aujourd'hui, pour que les pères soient associés plus étroitement, et le plus tôt possible, à la scolarité de leurs enfants. Aujourd'hui, les garçons sont en danger.
(1) Publié en 2001 chez Robert Laffont. Il est l'auteur de nombreux autres ouvrages sur les relations parents/enfants, dont Elever un garçon aujourd'hui (Albin Michel, 2005)
(2) «Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées; (...) mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c'est l'union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux.»
(3) Expression lacanienne : désigne qui sait et qui transmet le savoir
Par Sophie Roquelle
A découvrir aussi
- Revue de presse : Article dans Les Echos du 19/10/2011 : Evaluation à la maternelle : les termes « maladroits » vont être retirés
- Représentants des parents d'élèves pour 2011-2012
- Revue de presse : Article sur www.cafepedagogique.net du 09/02/2012 : Musique : Activités durant les vacances
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 103 autres membres