Revue de presse : Article dans Le Figaro du 27/09/2011 : Enseignants : les vraies raisons d'une grogne
C'est le premier mouvement de grève de cette année scolaire 2011-2012. Si l'événement n'a rien de nouveau dans l'Éducation nationale, il est plus rare que le privé sous contrat s'associe au public. En cette rentrée 2011, c'est donc bien l'ensemble du personnel enseignant qui fait valoir mécontentement et inquiétude. Et pas seulement en raison des suppressions de postes portant à 66.000 le nombre d'équivalents temps-plein non renouvelés depuis 2007.
Certes, l'application de la Révision générale des politiques publiques dans l'Éducation nationale reste le principal motif de protestation des enseignants. Mais en cette année électorale, les professeurs voient bien d'autres raisons de battre le pavé.
«Tout ne se résume pas à la question des postes, analyse Frédérique Rolet, porte-parole du Snes, premier syndicat du secondaire. Les enseignants ont le sentiment de ne plus pouvoir faire leur métier, parce qu'on assiste à une transformation profonde des missions qui leur sont assignées.» Au cœur des polémiques, la question du temps de travail des enseignants évoquée dans les programmes de l'UMP et du PS. Depuis 1950, ce dernier est régi par décret : un titulaire du concours du capes «doit» dix-huit heures de cours hebdomadaires quand un agrégé en effectue quinze. Car il ne venait, à l'époque, à l'esprit de personne qu'il faille comptabiliser précisément le temps de correction de copies et de préparation de cours : enseigner était une activité intellectuelle, non quantifiable.
Le rapport Pochard
Nicolas Sarkozy avait lancé une concertation globale sur le métier à son arrivée à l'Élysée. En avaient découlé les 271 pages du rapport Pochard, qui envisageait une augmentation des obligations hebdomadaires de service de 18 à 22 heures pour les titulaires d'un capes, soit deux mois de salaires supplémentaires. Il proposait aussi l'annualisation du temps de travail des enseignants pour davantage de souplesse. Différents groupes de réflexion ont fait encore valoir d'autres solutions ces derniers jours. Dominique Reynié, le directeur général de la Fondation pour l'innovation politique, propose ainsi de doubler à la fois le temps de travail et le temps de présence des enseignants. De son côté la fondation Ifrap a calculé qu'augmenter de deux heures par semaine le temps de cours des certifiés entraînerait une économie de 44.000 postes d'enseignants. En Espagne, une telle disposition vient de mettre en grève 70% du corps professoral.
«Animateurs polyvalents»
«C'est bien d'une dénaturation de nos missions qu'il s'agit, explique Claire Mazeron pour le Snalc, deuxième syndicat chez les professeurs de lycée. À droite comme à gauche, on veut nous transformer en animateurs polyvalents. Une telle politique est déjà en place dans les filières technologiques, où des professeurs de mathématiques sont sommés de donner des cours de sciences et vie de la Terre. Nous assistons à une baisse continue de l'exigence. » Pour Frédérique Rolet, la logique à l'œuvre dans la mise en place du socle commun de compétences implique la diminution des horaires disciplinaires et un temps de présence accru dans les établissements scolaires, sans que personne n'ait réellement défini ce que les professeurs devraient y faire, sinon des activités «d'orientation» ou «d'accompagnement» aux contours encore flous.
Là se joue l'avenir de l'école, plus encore que sur la question des effectifs. Et peu nombreux sont les enseignants qui croient aux promesses des candidats aux primaires socialistes de rétablir les postes supprimés ces dernières années. En 2011, 1 000 postes au capes sont restés non pourvus, faute de candidats de qualité. «Ouvrir 12.000 postes par an aux concours pendant cinq ans ne changerait rien, explique-t-on au Snalc, puisqu'on ne trouverait pas les candidats. Dans certaines universités, les préparations au capes et à l'agrégation ferment, faute d'étudiants. On embauchera des vacataires moins qualifiés.» Face à la demande croissante d'individualisation et la multiplication des tâches, les professeurs se sentent démunis, et c'est bien cela qu'ils veulent faire entendre mardi.
«Pas hostile à une réforme du temps de travail»
L'exemple de deux professeurs, au travers de leurs situations, leurs attentes, leurs difficultés.
Anne-Claire, professeur certifiée de français, 34 ans, Nogent-sur-Marne
«Je suis professeur principale d'une classe de sixième et j'enseigne aussi dans trois classes de cinquième. En moyenne, chaque semaine, entre mes dix-neuf heures de cours, les corrections de contrôles et les préparations de cours, je travaille environ quarante heures par semaine. Mais je fais partie de ceux qui travaillent le plus dans mon établissement, car c'est très variable selon les matières. Après presque dix ans d'expérience, je gagne 2200 euros par mois, parce que je suis professeur principale et parce que je donne des heures supplémentaires. Je dois vivre en colocation. Je ne suis pas hostile à une réforme du temps de travail des enseignants. Je préférerais que les grandes vacances soient raccourcies et que la charge de travail soit mieux répartie sur l'année. J'aimerais aussi faire moins d'heures magistrales et plus d'heures de soutien en petits groupes, ce serait plus profitable à mes élèves.»
Emmanuel, professeur certifié de sciences-naturelles, 28 ans, Paris
«Avec vingt heures de cours par semaine, je pense que j'ai atteint le summum de ce que je pouvais faire. Je travaille dans un collège dont la population est difficile. Près de 80% de mes élèves sont d'origine défavorisée. Mon temps de travail, c'est à peu près 30 à 35 heures par semaine, pour 1800 euros par mois. Ce n'est pas tant la préparation des cours qui me pèse mais la tension nerveuse permanente. C'est très difficile de faire régner l'ordre, beaucoup sont très agités, voire intenables. Quand je sors, je suis moralement et physiquement épuisé. Je souhaiterai un peu plus de reconnaissance dans mon entourage pour ce métier. Les blagues sur les “profs paresseux”, je n'en peux plus : passer dix heures dans un bureau, je l'ai fait dans le passé, c'est moins fatigant que quatre heures de cours à donner chaque jour à des adolescents. Je sais qu'avec la crise actuelle, il est nécessaire de couper dans les finances publiques, cela ne me choque pas, mais à condition que l'on réorganise. Les effectifs des établissements devraient être différents selon les populations. En zone d'éducation prioritaire, il faudrait descendre à vingt maximum.»
Par Natacha Polony
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