Revue de presse : Article dans Le Figaro du 28/10/2010 : L'évaluation des profs, chantier de Luc Chatel
Par le biais de la «gestion des carrières», l'Éducation nationale lance une discussion avec les syndicats.
Qui n'a pas en tête cette image d'Épinal d'un système éducatif où régneraient la progression à l'ancienneté et la promotion automatique, où le pire professeur continuerait à sévir pendant des années devant des élèves sacrifiés ? Un professeur du secondaire est soumis, dans sa carrière, à une double hiérarchie, celle de l'inspection, d'ordre pédagogique, et celle de son chef d'établissement, d'ordre administratif. Le professeur des écoles, quant à lui, se voit attribuer une note sur proposition de l'inspecteur qui a visité sa classe. Mais dans les faits, les enseignants sont inspectés en moyenne tous les huit ans, souvent à leur propre demande, dans l'espoir d'une progression de carrière. D'où l'impression d'une machine qui nierait la valeur individuelle.
Alors que certains pays se sont engagés dans la rémunération des enseignants au «mérite», que d'autres mesurent les «performances» des établissements scolaires et les rendent publiques, le prochain grand chantier du ministère de l'Éducation nationale sera celui de l'évaluation des enseignants, si chère à un ministre, Luc Chatel, spécialisé dans les ressources humaines. Mais la perspective fait frémir, du côté des professeurs, et pas seulement ceux qu'un égalitarisme niveleur pousserait à refuser la notion même de mérite.
Autorité mise en cause
Les enseignants du secondaire, soumis à l'autorité administrative du chef d'établissement, contestent tout regard pédagogique de ces derniers. «C'est une question de légitimité, résume un inspecteur. Beaucoup de principaux de collège sont d'anciens conseillers principaux d'éducation. Vous imaginez un agrégé se faisant donner des leçons sur le contenu de ses cours ?» C'est pourtant dans cette direction que le ministère oriente ses réflexions, en cherchant à mettre l'accent sur la valorisation de l'implication et du travail en équipe. Pour le Snes, principal syndicat du secondaire, la chose est inenvisageable. La crainte du «pouvoir discrétionnaire du chef d'établissement» le dispute à un plaidoyer pour une «évaluation formative» qui «aille vers le conseil». Même position pour le SNUipp, principal syndicat du primaire, qui pense que «les 40% d'élèves en difficulté à l'entrée au collège existent depuis quarante ans» et que «le phénomène n'empire pas».
Pour Marc Le Bris, instituteur et auteur de Bonheur d'école (Gawsevitch, 2009), c'est justement parce qu'il empire qu'une évaluation est nécessaire. «Il y a quarante ans, explique-t-il, le système des inspections était efficace. L'inspecteur était un vieil instituteur chevronné qui savait parfaitement ce que doit savoir un élève au mois de février du CE1, et qui vérifiait donc le niveau des élèves pour juger le professeur. Vous n'avez qu'à relire Le Petit Nicolas, il y a un récit d'inspection…»
Ajoutons à cela que les examens nationaux sanctionnaient le niveau réel des élèves, et donc l'efficacité du système. Mais aujourd'hui, beaucoup se plaignent du côté loterie de cette procédure. «L'évaluation des enseignants pose un vrai problème, analyse Françoise Guichard, présidente de Reconstruire l'école, celui de l'inspection, qui a trop souvent sanctionné l'adhésion de l'enseignant aux dogmes en vigueur.»
«Comment évaluer les soldats quand c'est l'état-major qui est en crise ?» interroge Marc le Bris, dont la note administrative (qui détermine la rémunération) a longtemps été très mauvaise alors que ses élèves obtenaient d'excellents résultats aux évaluations nationales. Pour Claire Mazeron, vice-présidente du Snalc, deuxième syndicat chez les professeurs de lycée, «le brouillage des cartes opéré pendant longtemps par le ministère pour masquer l'échec conduit aujourd'hui à faire porter la responsabilité sur les enseignants. Certains sont responsables, qui font des “ateliers yoga” sur les heures de soutien personnalisé. Mais c'est le système dans son ensemble qui dysfonctionne». Et l'évaluation collective, fondée sur l'adhésion des professeurs aux «projets pédagogiques», a peu de chances de faire émerger les bonnes pratiques.
Par Natacha Polony
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