Revue de presse : Article dans Le Monde du 01/10/2013 : Une réforme des rythmes scolaires à contretemps ?
Le petit Louis et la petite Marie, qui allaient au Conservatoire le mercredi matin, puis au poney, ne sont pas contents d'avoir classe ce jour-là. Ils doivent se lever tôt, ce qui les prive de la soirée DVD de la veille. L'après-midi, ils ont maintenant musique et sport. Du coup, ils ratent le club d'anglais ! Leurs parents sont mécontents et le font savoir. D'autant que Louis a choisi de faire de la boxe, Marie de la diététique et du code de la route ! Des activités offertes par leur établissement parisien que jamais leurs parents n'auraient pu imaginer.
Kévin non plus n'est pas content. Lui regardait la télé le mercredi matin, en attendant que sa mère rentre de ses ménages. Après, il allait jouer au foot avec ses copains en bas de l'immeuble. Maintenant, il va à l'école, mange à la cantine et revient à la maison.
La maman de Kévin est ravie que son fils fasse des activités deux fois par semaine et ait école un matin de plus. Peut-être que Kévin apprendra mieux à lire que son grand frère. Mais ça, elle ne le dit pas. D'ailleurs, à qui le dirait-elle ?
La caricature est exagérée, mais la réalité est pourtant celle-là. Elle illustre le fait que la France qui crie haro sur la réforme des rythmes scolaires n'est pas celle pour qui cette réforme a le plus de sens. Comme il a été plus difficile pour les villes qui avaient une offre périscolaire riche de tout chambouler, il est plus difficile pour les familles qui offraient des activités à leurs enfants de tout réorganiser. La jonction des emplois du temps des parents avec celui des enfants est un tel casse-tête que la montée du mécontentement était inévitable. Un sondage réalisé pour le SNU-ipp, premier syndicat du primaire, par l'institut Harris Interactive, a montré qu'entre juin et la rentrée, le mécontentement sur le sujet est passé de 25 % à 47 %. La suppression de l'école du samedi matin par Nicolas Sarkozy en 2008 avait rendu le week-end intégral aux familles. C'est la raison pour laquelle personne ne s'était plaint du "moins d'école".
Et pourtant... avec 144 jours de classe par an, contre 187 en moyenne dans les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), nous donnons le moins de jours d'apprentissage aux enfants avec les journées les plus lourdes. Pour les enfants de cadres, très bien préparés à la maison, ce n'est pas préjudiciable aux apprentissages, juste à leur santé, comme le soulignait l'Académie de médecine en janvier 2010. Pour les moins favorisés, c'est autre chose. L'OCDE nous alerte à chaque nouvelle évaluation du niveau à 15 ans. C'est en France que l'écart de niveau entre les fils de cadres et d'enseignants et ceux qui ont des parents ouvriers ou chômeurs est le plus élevé. A l'évaluation de 2009, 115 points séparent en mathématiques les meilleurs et les plus mauvais (seule la Hongrie est derrière nous), 122 points en maîtrise de la langue maternelle, où la France est dernière. Et les enfants d'ouvriers ont perdu 19 points entre 2000 et 2009. Etaler la semaine sur une demi-journée ne changera rien à la scolarité de Louis et Marie ; Kévin, en revanche, peut potentiellement y gagner.
FRACTIONNEMENT DE LA SOCIÉTÉ
Mais pourquoi a-t-on une gauche incapable de communiquer sur le sens de ce qu'elle fait lorsque – pour une fois – elle mène vraiment une politique de gauche ? Simplement parce qu'elle est écartelée entre ses convictions et son électorat. Qui est l'électorat socialiste : les parents de Marie ou ceux de Kévin ? En 2012, 54 % des ouvriers ont voté Hollande, contre 57 % des cadres et professions intellectuelles supérieures. Sans doute est-ce la raison pour laquelle le sujet a été aussi mal vendu. Selon ce même sondage, personne, dans le public interrogé, ne fait de lien entre la réforme et l'opportunité de faire une école plus efficace ! Sans compter que, pour brouiller encore un peu la chose, le ministre de l'éducation a bien précisé que ce n'était qu'une mesure transitoire avant de mettre à plat – après 2015 – le calendrier de l'année avec réduction de la durée des grandes vacances. Les familles sont en droit de se demander à quoi bon investir cette organisation qui n'est qu'une étape.
Et puis, l'école a la malchance de se trouver au carrefour des intérêts individuels et collectifs. L'institution doit offrir le meilleur à tous, mais c'est aussi là que se scellent les parcours individuels. Dans une société où les places au soleil ne sont pas extensibles à l'infini, les familles du haut de l'échelle sociale n'ont plus envie de partager le gâteau. Le mauvais accueil fait à cette réforme est un vrai révélateur du fractionnement de notre société française.
Bien sûr, le discours est édulcoré et se cristallise sur les "animateurs", ces mal-aimés de l'école à qui on fait payer le fait de n'avoir jamais été traités comme des vrais professionnels. Quant aux inégalités, thème porteur, puisqu'on refuse de les voir en termes scolaires, on tape sur la différence d'une commune à l'autre ; 49 % des parents sondés estiment qu'elles vont s'aggraver... Ces inégalités territoriales ne sont pourtant pas nées avec cette dernière réforme. Le différentiel d'investissement dans l'école s'inscrit dans une fourchette de 1 à 10, selon d'anciens calculs du SNU-ipp qui n'ont pas de raisons d'avoir bougé. Ce sujet mériterait de s'installer dans la campagne des municipales. Il le pourrait bien, d'ailleurs, selon Jean-Daniel Lévy, directeur du département politique-opinion chez Harris Interactive.
Par Maryline Baumard
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