Revue de presse : Article dans Le Monde du 02/01/2012 : Développer une politique de prévention du suicide chez les enfants les plus jeunes
La publication du rapport de Boris Cyrulnik (Quand un enfant se donne la mort. Ed O. Jacob, 2011) a attiré l'attention sur un phénomène choquant et méconnu : le suicide des enfants (Le Monde du 29 septembre 2011). Malgré l'émoi que suscitent les cas rapportés de suicide d'enfants, Boris Cyrulnik souligne l'apparente indifférence des pouvoirs publics à ce phénomène de société. Les décès par suicide chez les enfants sont difficiles à comptabiliser et les données épidémiologiques en minorent le nombre.
Bien qu'il n'existe pas en France d'observatoire permettant de connaître la fréquence du suicide chez les enfants, le suicide chez les 5-14 ans représenterait 3,8% des causes de décès en 2008. Les tentatives de suicide réalisées par les enfants, corollaires malheureux des suicides, sont, elles aussi, très mal connues. En France et dans le monde, la prévalence et les caractéristiques des tentatives de suicide chez les enfants sont peu étudiées. L'absence de travaux de recherche est dramatique lorsque l'on sait que, depuis de nombreuses années, les politiques de prévention du suicide chez les adolescents ou les adultes, se sont appuyées sur des efforts considérables pour comprendre les facteurs de risque suicidaire.
Pourtant, la fréquence des tentatives de suicide chez les enfants semble non négligeable. Aux Urgences Pédiatriques de notre hôpital, parmi les plus grandes de France et d'Europe, près de 10% des tentatives de suicide accueillies entre 2007 et fin 2010, étaient réalisées par des enfants âgés de 8 à 11 ans. Si 5-7% des adolescents français ont fait une tentative de suicide (INPES), alors on peut, par extrapolation, estimer que 0,5-0,7% des enfants ont réalisé un même geste.
Ces chiffres, bien qu'approximatifs, soulignent l'importance des enjeux. La politique de prévention du suicide chez les enfants nécessite également le développement d'unités de soins spécialisés. Si de nombreuses structures d'accueil spécialisées destinées aux adolescents ou aux adultes ayant réalisé une tentative de suicide ont été créées ces dernières années, il n'existe pas à notre connaissance en France, de telles structures permettant d'accueillir de jeunes enfants.
Cela est d'autant plus dommageable que les modalités suicidaires chez les enfants semblent assez distinctes de celles des adolescents et des adultes. Comparant les caractéristiques des tentatives de suicide des enfants et des adolescents (249 entre 2007 et 2011), nous avons constaté que les enfants emploient des moyens suicidaires violents (pendaison, strangulation, défenestration) contrastant avec un désir suicidaire, souvent peu intense. Chez les adolescents, la volonté de mourir est souvent plus marquée, mais conduit à des gestes suicidaires moins violents. Rien ne nous permet d'expliquer ces différences, et toute affirmation paraît spéculative.
Notons également que, dans la majorité des cas, la tentative de suicide de l'enfant était déclenchée par un simple conflit. Ainsi, l'association entre la violence des passages à l'acte, leur soudaineté et la faible mentalisation rapportée par les patients, souligne la gravité des gestes suicidaires chez les enfants. Les délais de prise en charge en pédopsychiatrie se sont considérément allongés ces dernières années – souvent plusieurs mois - constituant un obstacle supplémentaire. Pour atténuer cela, des consultations d'accueil et d'orientation sans rendez-vous ont été créées (c'est le cas dans notre hôpital) mais elles ne permettent ni d'assurer le suivi de ces patients ni de développer des programmes thérapeutiques spécifiques.
Enfin, le développement d'une politique d'information systématique constitue une des étapes importantes de la prévention du suicide. La mauvaise compréhension des facteurs qui sous-tendent les passages à l'acte suicidaire ne doit pas être un frein à l'information. En France, des campagnes de communication destinées aux adolescents et jeunes adultes ainsi qu'aux professionnels qui les encadrent tentent de faire diminuer la prévalence du suicide. Cependant, rien ne semble destiné aux enfants, ni aux enseignants des classes primaires, le plus souvent démunis devant les souffrances morales de leurs élèves. Pouvoir parler du suicide aux plus jeunes, c'est aussi leur permettre d'évoquer leurs difficultés, de sortir de leur isolement et d'envisager différemment l'avenir. Il existe un terrible tabou laissant à penser que seuls les adolescents et les adultes pourraient avoir un désir de mort.
Finalement, le développement d'une véritable politique de prévention du risque suicidaire chez l'enfant est indispensable. Elle devra pour cela s'appuyer sur la mise en place de programmes de recherche, de soin et d'information, spécifiquement dédiés aux enfants.
Dr. Stordeur, Service de Pédopsychiatrie ; Pr. Mercier, Chef du Service des Urgences ; Pr. Mouren, Chef du service de Pédopsychiatrie; Dr. Delorme, Responsable des Consultations d'Orientation et d'Accueil, Service de Pédopsychiatrie ; Hôpital R. Debré, APHP, Paris
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