L’autre blocage à l’approvisionnement français est réglementaire. Pour répondre aux règles européennes, le code des marchés publics interdit toute mention de provenance, qu’elle soit nationale ou locale, lors des appels d’offres. Impossible pour une cantine de demander noir sur blanc du porc ou du bœuf français. Le décret a été modifié en 2011 pour introduire la notion de « circuit court », avec un seul intermédiaire… mais pas encore de notion géographique. A l’automne 2014, le ministère de l’agriculture a publié un guide pratique pour permettre d’atteindre l’objectif de 40 % de produits de proximité dans la restauration collective en 2017. Plus de 90 pages qui détaillent comment identifier les producteurs locaux et rédiger des appels d’offres sur mesure pour qu’ils y répondent. « On peut réduire l’offre par des subterfuges, en exigeant certaines races, certaines chartes, en demandant que les animaux soient nés, élevés et abattus dans le même pays, ou que les enfants puissent visiter les fermes, détaille Eric Le Pêcheur, de Restau’co. On a l’impression d’être sur le fil du rasoir, au niveau juridique, mais tout le monde le fait. » Pour l’Association des maires de France (AMF), le décret de 2011 « est trop méconnu et complexe à mettre en œuvre notamment par les petites communes ». Dans une lettre ouverte adressée en juillet au président de la République, François Hollande, l’AMF appelle à « des solutions juridiques durables ».
Les règles complexes des appels d’offres posent aussi problème aux producteurs. Pour Christelle Lefevre, de la Ferme des peupliers, à Flipou (Eure) qui fournit la ville de Rouen en yaourts locaux et bios, développer les circuits courts « nécessite des investissements importants, et la capacité d’avoir quatre métiers, cultivateur, éleveur, transformateur et commercial. Répondre aux appels d’offres, c’est presque un cinquième métier ». Elle passe donc par une association de producteurs, Local et facile, pour répondre aux appels d’offres. Arnold Puech d’Alissac, président de la FDSEA de Seine-Maritime, a lancé cette structure pour « qu’on retrouve les bons produits des marchés dans les cantines » et pour que « les choix politiques bénéficient à l’emploi local ».
Débouché marginal
Pour faciliter cette mise en relation entre producteurs et cantines, les conseils départementaux de la Drôme et du Puy-de-Dôme ont créé un outil sur Internet, Agrilocal. « Notre plateforme est en conformité avec le code des marchés publics, adaptée aujourd’hui pour des commandes jusqu’à 90 000 euros, détaille Nicolas Portas, coanimateur de l’association. Elle permet aux intendants des cantines de faire des appels d’offres dématérialisés sans lourdes procédures administratives. Les producteurs peuvent répondre en deux clics de souris. » Les agriculteurs sont aussi incités à transformer leurs produits sur place et aidés pour obtenir les agréments sanitaires. « L’objectif n’est pas d’écouler toute la production à la restauration collective, mais de leur assurer un fonds de roulement régulier de 20 à 30 % du chiffre d’affaires ». Créée en 2011, l’association Agrilocal existe aujourd’hui dans une trentaine de départements français. En parallèle, de plus en plus de villes se lancent dans le local : Amiens, Gaillac, Cannes, Nice, certains arrondissements de Paris…
Le marché des cantines scolaires reste un débouché marginal pour l’agriculture française, mais l’enjeu est surtout symbolique. « L’Etat exige des garanties sanitaires, environnementales, sociales. C’est absolument choquant qu’il ne donne pas aux jeunes des produits qui ne relèvent pas de la même réglementation », estime Guillaume Roué, président de l’interprofession nationale porcine. Pour Yoan Robin, sur le plan économique, se concentrer sur la restauration collective risque de segmenter le marché entre ceux qui pourront valoriser leur viande et bénéficieront « un mini-monopole protégé », et les autres éleveurs qui resteront dans une logique d’exportation « et auront toujours le même problème » de compétitivité. « L’écotaxe, qui sanctionne le nombre de kilomètres parcourus, serait un meilleur moyen pour sanctionner davantage les Allemands que les Bretons ».