Revue de presse : Article dans Le Monde du 22/11/2010 : Avant le collège, il y a l'école élémentaire
Point de vue de Jean-Christophe Garde, professeur de physique-chimie au lycée Michelet de Vanves
Dans un article paru dans Le Monde du 15 novembre, Nathalie Mons a, avec raison, attiré l'attention sur le collège. Sans nier les difficultés rencontrées par ce maillon de notre système éducatif, la hiérarchie des priorités n'impose-t-elle pas de se préoccuper d'abord et surtout de l'école élémentaire ?
Fin août 2007, le Haut conseil de l'éducation alerta l'opinion sur certaines faiblesses de l'école élémentaire, dans son "Bilan des résultats de l'école". Perçue comme le pilier le plus solide de notre système éducatif (pour des raisons historiques notamment), l'école élémentaire n'apparaissait pas aussi performante qu'on le croyait. Or, le curriculum scolaire est conçu comme une fusée à plusieurs étages : qu'un étage intermédiaire dysfonctionne et c'est tout l'édifice qui s'en trouve menacé.
Il n'est pas rare, par exemple, d'entendre les professeurs du lycée se plaindre du manque de maîtrise des bases par leurs élèves. Remarquons que leurs collègues du collège comme du supérieur font de même. Doit-on voir là une éternelle rengaine enseignante ou bien la racine d'un mal plus profond ? En fait, un peu des deux vraisemblablement, avec, c'est à craindre, un penchant de plus en plus prononcé pour le second. Une étude comparative de la Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) au ministère de l'éducation nationale, a ainsi récemment montré qu'en vingt ans, la maîtrise de l'orthographe, de la lecture et du calcul par les élèves du CM2 avait reculé.
Claude Allègre avait eu en 2004, devant la commission Thélot, une formule très parlante : "(…) Il faut transformer l'enseignement mou en enseignement dur. Ça veut dire savoir moins, mais le savoir. J'ai l'expérience de ce qui arrive dans l'enseignement supérieur ; les élèves savent à peu près, des tas de trucs, mais rien de sûr. (…) On est dans le règne de l'enseignement mou. Et forcément, les programmes étant immenses, c'est impossible de les maîtriser. Ce qui fait qu'aujourd'hui, un certain nombre de choses élémentaires ne sont pas sues".
Pourtant, chaque nouveau ministre de l'éducation a prôné, à sa façon, le "retour aux fondamentaux", à l'école élémentaire en particulier. Depuis le temps, ce recentrage devrait être opéré ! Quels sont, d'ailleurs, ces fameux "fondamentaux" ? Qui les définit ? L'école élémentaire ne serait-elle pas devenue l'école de "l'enseignement mou" ? En touchant à plein de sujets, elle propose aux enfants une ouverture et une curiosité certaines. Mais, à trop vouloir toucher à tout, on risque la dispersion.
L'enseignement à l'école élémentaire manque de continuité et de temps pour faire acquérir les choses. Deux raisons principales à cela : une conception encyclopédiste et universitaire des programmes qu'avait, en son temps, dénoncé Luc Ferry dans un ouvrage collectif, et un "saucissonnage" des notions abordées et des thèmes. L'emploi du temps d'un écolier (particulièrement dans les écoles parisiennes) ressemble de plus en plus à celui d'un collégien. Or, la maturité d'esprit n'est pas la même !
LE TEMPS DE LA RÉFLEXION
Dans cette course effrénée sans boussole, s'en sortent ceux qui peuvent véritablement soutenir ce rythme, disposent d'une capacité d'acquisition suffisamment élevée et ceux qui auront papa, maman ou un répétiteur, le soir, pour reprendre le travail et faire le tri.
Est-ce à dire qu'il faille revenir à "l'école de grand-papa" ? Certainement pas ! Tout est une question de dosage : maintenons l'ouverture culturelle mais ne cherchons pas non plus à tout faire découvrir ! Il est fort regrettable que la récente réforme de l'école élémentaire n'ait pas donné lieu à une véritable réflexion sur ce qu'il est nécessaire de maîtriser à ce stade de la scolarité ni sur les rythmes pour le faire acquérir (et plus généralement sur l'organisation du temps scolaire). Continuité et temps sont deux conditions que l'école élémentaire ne remplit pas ou mal. Le "retour aux fondamentaux", c'est peut-être cela…
Prenons le temps nécessaire pour réfléchir à ce qu'il faudrait faire et, plus encore, à comment il faut le faire ? En amont de la décision politique, élaborons un diagnostic de la situation ; fixons des axes de travail ; évaluons la faisabilité, les moyens à mettre en œuvre et les coûts de la politique à mener. En aval, cela implique aussi d'expliquer cette politique, de former les acteurs concernés et d'évaluer son efficience et son efficacité. Il ne s'agit pas essentiellement de moyens financiers à mettre à la disposition de l'éducation nationale mais d'une stratégie qualitative et d'une implication de toute la société dans l'œuvre éducative. Finalement, ne reste-t-il pas, comme le dit Maurice Niveau, "(…) seulement à inventer une nouvelle stratégie pour l'action si l'on veut libérer l'école des combats politiques, de ses leurres et de ses artifices" ? Seulement…
Jean-Christophe Garde, professeur de physique-chimie au lycée Michelet de Vanves
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