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Revue de presse : Article dans Le Monde du 27/04/2011 : "18 000 professeurs du primaire sont sans relation d'enseignement avec des enfants"

Georges Tron, secrétaire d'Etat chargé de la fonction publique

 

Dany : Pensez-vous réellement que la révision générale des politiques publiques (RGPP) et le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux est justifié ?

Georges Tron : La France a une politique en matière de ressources humaines dans la fonction publique qui a trop longtemps répondu à une approche très majoritairement quantitative.

De ce fait, nous avons trop longtemps omis de porter un regard attentif à deux facteurs : premièrement, la qualité du service public rendu avec comme objectif principal de bien évaluer les résultats des politiques publiques ; deuxièmement, le coût réel d'une augmentation des effectifs qui n'avait pas de justification en soi.

Ainsi, l'augmentation continue des effectifs de l'Etat, alors même que deux vagues de décentralisation importantes étaient mises en œuvre, atteste de cette occultation d'un désir de rendre un meilleur service à moindre coût. La politique du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux dans la seule fonction publique de l'Etat, et en réalité, pour les administrations centrales et déconcentrées, le tout sur une période correspondant à une augmentation massive du nombre de départs à la retraite, trouve sa justification dans la volonté de corriger cette situation.

 

Caro34 : Pourquoi les collectivités territoriales n'ont-elles pas participé à l'effort engagé par l'Etat dans la réduction du déficit ? Pourquoi les mairies et les régions n'ont-elles pas eu à réduire leur nombre de fonctionnaires ?

Georges Tron : C'est une très pertinente question. On n'a pas vraiment trouvé matière à rechercher et en même temps à modifier le comportement des collectivités territoriales alors même que, de fait, elles procédaient massivement à des embauches.

L'idée reçue selon laquelle ces embauches correspondaient au transfert de compétences de la part de l'Etat s'est révélée erronée. En effet, entre 1998 et 2008, les collectivités territoriales ont embauché 450 000 personnes ; or 120 000 de ces embauches seulement ont correspondu à des transferts de compétences.

On constate ainsi que les collectivités territoriales ont laissé exploser leurs effectifs. La masse salariale des collectivités territoriales a donc crû sur la même période de plus de 60 %. Il convient aujourd'hui de réfléchir, et nous le faisons, à la façon dont les collectivités territoriales devront donc s'associer à la maîtrise de nos dépenses publiques.

Je l'affirme avec d'autant plus de force que 90 milliards de fonds de concours, soit le double de la masse salariale des collectivités territoriales, sont transférés du budget de l'Etat vers elles. Cela donne le droit de réfléchir à leur association à la volonté de maîtriser la dépense publique.

 

Glenn : Qu'en est-il du secteur de l'éducation ? Les effectifs augmentent alors que des postes d'enseignants sont supprimés rentrée après rentrée. Comment pensez-vous pouvoir maintenir une qualité d'enseignement dans ces conditions ?

Georges Tron : Des effectifs qui augmentent alors que le nombre de professeurs diminue est un argument qui s'adosse à une approche démographique. C'est très précisément cette approche qui est contestée depuis des années par ceux-là mêmes qui ont réfuté des diminutions massives d'élèves – 550 000 depuis 1990 – pour diminuer en même temps le nombre de professeurs.

Au demeurant, c'est d'ailleurs l'inverse qui s'est produit, puisque les 550 000 élèves en moins ont été encadrés par 45 000 professeurs de plus sur la même période. Je ne crois pas, pour ma part, que l'on puisse aujourd'hui contester la qualité d'un service public de l'enseignement au regard de cette seule approche quantitative.

Les professeurs font un travail remarquable, je le constate moi-même dans la commune dont je suis maire. Les enfants sont l'objet de suivi personnalisé, et souvent au-delà même des heures de cours.

Je pense donc que la qualité d'un service public de l'éducation suppose bien entendu de savoir ajuster les effectifs de professeurs à ceux des élèves, mais je le redis, de ce point de vue-là, avec les évolutions des dernières années, il n'y a pas péril en la demeure.

Mais cela suppose également de faire en sorte d'ajuster le système d'enseignement pour qu'il permette aux élèves, dans un accomplissement personnel, d'être compétitifs sur un marché de l'emploi de plus en plus concurrentiel, et où il faut être parfaitement aiguisé. A cet égard, le classement de la France dans les évaluations PISA (Programme for International Student Assessment ; en français : Programme international pour le suivi des acquis des élèves) suppose une réflexion portant plus sur le fond, une réflexion qualitative, qu'une réflexion simplement quantitative.

 

Egg : M. Tron peut-il m'expliquer commment il fait pour trouver des gains de productivité dans l'enseignement ?

Georges Tron : Je ne crois pas qu'il faille rechercher des gains de productivité dans l'enseignement. Je crois même, pour être franc, que c'est un exercice de la plus haute difficulté.

Je crois, en revanche, qu'il faut rechercher des gains de productivité dans l'administration de l'éducation nationale, comme dans n'importe quelle autre administration. Il ne s'agit, à mes yeux, en aucun cas de mettre le personnel enseignant sous pression, il l'est déjà suffisamment compte tenu des conditions de plus en plus difficiles dans lesquelles il exerce.

Je suis, en revanche, convaincu que le système peut être géré de meilleure façon, de telle sorte que l'on puisse optimiser l'utilisation des ressources humaines d'enseignement en faisant par exemple en sorte que les professeurs soient réellement en situation d'enseignement, et qu'il n'y ait pas de contingent dédié à des tâches d'autre nature, au-delà, bien entendu, d'une certaine limite.

Je rappelle à nouveau que la France consacre une part de son PIB à l'éducation supérieure à celle des autres pays de l'OCDE, tout en baissant progressivement dans les classements d'évaluation des élèves. Cela justifie pleinement les réformes, qui ne doivent pas se comprendre comme étant exclusivement à la recherche de gain de productivité.

 

Charles : La France a le taux d'encadrement le plus bas des pays de l'OCDE ....

Guest :  Trente élèves par classe : cela vous semble cohérent ou scandaleux ?

Georges Tron : Je fais deux observations sur le taux d'encadrement. En premier lieu pour noter qu'il convient sans aucun doute d'accroître ce taux en réformant la mobilisation des compétences dans l'éducation nationale. A ce titre, avoir confirmation année après année que 18 000 professeurs dans le secteur primaire ne sont pas directement en relation d'enseignement avec les enfants est, reconnaissons-le, une source d'interrogation dont je n'ai trouvé des réponses appropriées dans aucun rapport ni aucune étude.

Par ailleurs, je rappelle que le budget de l'éducation nationale, supérieur à 60 milliards d'euros, est aujourd'hui, rapporté au PIB, l'un de ceux des pays de l'OCDE les plus importants. J'en déduis donc naturellement qu'il convient de mieux analyser le système pour le réformer et corriger cette situation.

J'ajoute en dernier lieu que le nombre d'enfants par classe, même s'il est préférable bien entendu de le contenir, comme c'est d'ailleurs le cas en moyenne aux alentours de 22-23 enfants, n'est pas le seul référent. Dans la génération qui est la mienne, j'ai fait toute ma scolarité avec des classes d'entre 35-40 enfants chaque année.

Le vrai sujet est que notre système d'éducation – et c'est très bien ainsi – personnalise aujourd'hui l'accompagnement scolaire des élèves, tant d'ailleurs au sein de l'école que dans les systèmes d'accompagnement périscolaire auxquels sont associés d'ailleurs les professeurs, comme celui de la réussite éducative.

De fait, l'exigence d'individualisation se conjugue dans l'esprit des parents avec des classes aux effectifs plus réduits. C'est un fait, c'est une évolution, et il faut savoir l'accompagner.

 

Egg : Les Rased (Réseaux d'aide spécialisées aux élèves en difficulté) proposaient tout ce que vous déclinez et cela dès le plus jeune âge (petite section de maternelle) et avec des enseignants spécialisés. Pourquoi le gouvernement ferme-t-il au fur et à mesure l'ensemble de ces postes ?

Georges Tron : J'ai toujours considéré que les Rased correspondaient à l'accompagnement de situations individuelles en consacrant, certes, des moyens fort importants – un enseignant pour un élève –, mais en se focalisant à mon sens de façon excessive sur le problème comportemental de certains élèves.

La réussite éducative est une approche globale qui prend en compte le comportement et le déroulé scolaire de l'enfant, tout en associant la famille dans son ensemble à cet exercice de suivi.

Pour l'avoir mis en place dans ma commune et avoir constaté l'explosion de la demande, je le crois plus adapté, et je tiens à préciser aussi qu'il mobilise des moyens humains et financiers bien au-delà de ceux des Rased.

Il ne s'agit donc pas, en l'occurrence, d'un souci d'économies.

 

Fred :  Pourquoi avez-vous décidé de ne pas augmenter le point d'indice cette année ?

Georges Tron : Merci de cette question, qui me permet de redire que le point d'indice ne se confond pas avec le salaire dans la fonction publique. Lorsque vous regardez la masse salariale de l'Etat en une année récente donnée, et que vous la comparez avec celle de l'année précédente, trois constats caractérisent l'évolution de cette masse salariale.

Premier constat : les augmentations individuelles liées à l'ancienneté ou aux promotions représentent dorénavant plus de 50 % de l'augmentation de cette masse salariale.

Cela nous conduit de fait à souhaiter maintenir la possibilité pour les agents de bénéficier à titre individuel d'un déroulement de carrière continuant à permettre cette progression régulière des rémunérations.

Deuxième constat : les mesures catégorielles, en très grande partie financées par les économies générées par le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, financent un quart de cette augmentation de la masse salariale d'une année sur l'autre.

Troisième constat : le point d'indice, de même que l'indexation de la rémunération minimale sur le smic et la garantie individuelle de pouvoir d'achat, compose le dernier quart. Cela signifie que le point d'indice ne représente plus aujourd'hui que 15 à 20 % de l'augmentation de la masse salariale d'une année sur l'autre.

Nous avons donc fait le choix de privilégier les autres outils que je viens de citer. Je souligne d'ailleurs, concernant par exemple les mesures catégorielles, que cela se fait bien au-delà des promesses que nous avions faites de restituer 50 % des économies réalisées en politique salariale. A titre d'exemple, en 2010, ce sont plus de 65 % des économies réalisées qui ont été reversés aux agents.

 

Poissauge : A Draveil (Essonne) – dont vous êtes maire –, combien de fonctionnaires avez-vous supprimés ?

Georges Tron : A Draveil, nous avons aujourd'hui à peu près 650 agents, fonctionnaires et non-fonctionnaires, c'est-à-dire contractuels. C'est une légère diminution dans les dernières années. Cela dit, une partie des effectifs a été transférée vers la communauté d'agglomérations à laquelle la commune appartient.

En ce qui me concerne, j'ai surtout souhaité m'en tenir à une stricte maîtrise de la masse salariale rapportée aux dépenses de fonctionnement. Je crois d'ailleurs, et je plaide en ce sens, que c'est un excellent critère. Pour donner des chiffres précis, la masse salariale représente approximativement 50 % des dépenses de fonctionnement, ce qui permet de ne pas subir une diminution des marges de manœuvre budgétaires dont on a besoin pour gérer l'ensemble du budget de fonctionnement.

 

Sylvie : Qu'en est-il des effectifs dans la police et dans la justice (juges, greffiers, éducateurs, conseillers d'insertion et de probation, etc.) ?

Georges Tron : Les effectifs dans la police sont aujourd'hui de l'ordre de 250 000 policiers et gendarmes, soit environ 5 000 de plus qu'au début des années 2000. La vraie réforme, comme je viens de le signaler pour l'enseignement, consiste actuellement à réaffecter le maximum d'agents sur les missions centrales de sécurité qui sont les leurs en économisant sur les fonctions secondes qui leur absorbent trop de temps.

Quant à la magistrature, malgré la RGPP, c'est le seul ministère, avec la recherche, dont les effectifs aient augmenté de façon constante ces dernières années. A titre d'exemple, 450 ou 500 magistrats ont été embauchés dans le budget de cette année.

Remarque complémentaire : la judiciarisation de la société, que tous les élus locaux constatent d'ailleurs lors des entretiens dans leurs permanences, aboutit à une multiplication invraisemblable des litiges à traiter. Notre système judiciaire concentre toutes les procédures vers les magistrats des tribunaux, alors même que les systèmes de médiation ou d'arbitrage, comme il en existe à l'étranger, pourraient permettre de les désengorger.

Des juges de paix pourraient ainsi permettre aux magistrats professionnels de se consacrer à un nombre d'affaires réduit et, de fait, à la France de rejoindre les pays en bon rang dans le classement du rapport entre nombre de magistrats et nombre d'affaires traitées.

 

V : Comment expliquez-vous et justifiez-vous la progression constante du nombre d'agents non titulaires à la place de fonctionnaires titulaires, y compris dans la fonction publique de l'Etat ?

Georges Tron : C'est un constat inattaquable. Je ne cherche pas à le justifier, je cherche à l'expliquer et à le corriger.

L'expliquer : les trois versants de la fonction publique continuent et continueront à privilégier l'emploi titulaire sur des emplois permanents. C'est une règle à laquelle les syndicats comme le gouvernement sont attachés avec la même force.

Il n'en demeure pas moins que la diversité des missions du service public aboutit à faire appel à des compétences de plus en plus variées. Par ailleurs, certaines missions dévolues aux agents non titulaires le sont précisément parce qu'elles sont limitées dans la durée.

En bref, la diversité à tous les sens du terme des missions explique, me semble-t-il, celle des recrutements.

Le corriger : cela a généré de la précarité dans les trois versants de la fonction publique. L'accord que je viens de signer avec François Baroin, avec les organisations syndicales, fin mars va précisément permettre de transformer des contrats à durée déterminée en contrats à durée indéterminée de la fonction publique.

 

Paul : Pensez-vous que Dominique de Villepin a sa place dans la course présidentielle ?

Georges Tron : L'élection présidentielle n'est pas une course, dans la mesure où les enjeux du résultat supposent une organisation et une préparation parfaitement coordonnées et avec le seul souci, totalement légitime, d'emporter l'adhésion d'une majorité des Français.

Dominique de Villepin a une expérience, une compétence et une vision qui sont indispensables au débat présidentiel. Ma conviction est qu'il doit les mettre au service de la majorité parce que c'est son camp naturel. Ce qui n'est en aucun cas contradictoire avec une capacité de préserver une très grande liberté d'expression.

Aujourd'hui, le seul candidat qui soit en mesure de faire gagner la majorité est le président de la République. Qui, d'ailleurs, pourrait contester que si Nicolas Sarkozy ne portait pas le bilan et le projet, cela serait considéré comme un signe d'aveu de faiblesse de la part de la majorité ? Les dernières années ont été marquées par des événements que nul n'avait pu anticiper.

La France a traversé ces crises mieux que la quasi-totalité de ses partenaires. L'effort qui est engagé doit être évidemment poursuivi. C'est au président de le faire, et à chacun – Dominique de Villepin au premier rang – d'y contribuer. Je tiens en dernier lieu à souligner que cette analyse, celle de maintenir un discours critique au sein de son camp, je l'ai toujours développée auprès de Dominique de Villepin.

 

Dashgami :  Un mot sur le drame d'Orange-France Télécom...

Georges Tron : Immense tristesse, parce que la détresse d'un salarié exprimée de façon aussi atroce nous interpelle tous, avant tout, comme des hommes et des femmes d'un pays dans lequel le travail, malgré ses contraintes, devrait être synonyme d'un épanouissement personnel, ce qui est, de façon générale, de moins en moins le cas.

Stéphane Richard, que j'ai rencontré il y a quelques mois, était profondément conscient de la nécessité d'analyser dans le détail les causes de cette vague de suicides dans son entreprise. Sans aucun doute y a-t-il des méthodes de management à corriger et, je le crois personnellement, une réflexion plus approfondie à conduire pour tenter de comprendre quelles sont les limites qu'une femme ou un homme désireux d'accomplir sa mission normalement ne peut plus franchir sans être affecté(e) très profondément à titre personnel.

Cela dépasse France Télécom, et doit nous conduire à une réflexion beaucoup plus large.

 

Chat modéré par Eric Nunès et Thomas Wieder



27/04/2011
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