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Revue de presse : Article dans Le Monde du 29/03/2011 : Violences à l'école : "Le manque de formation des enseignants est criant"

Georges Fotinos, ancien inspecteur général de l'éducation nationale, membre de l'Observatoire international de la violence à l'école.

M. : Peut-on constater une recrudescence réelle des violences scolaires ou, plus simplement, ces statistiques n'existaient-elles pas avant ? Si augmentation il y a, une date approximative peut-elle être donnée dans l'envolée des violences ?

Georges Fotinos : Les statistiques existaient. Simplement, sur le terrain, se passaient un certain nombre d'événements qui n'étaient pas déclarés à l'administration. Un exemple : j'avais fait une enquête sur le climat scolaire à l'école primaire en 2005 en interrogeant 1 000 directeurs d'école, qui m'avaient déclaré quatre fois plus d'événements que les événements déclarés officiellement.

Donc, pour connaître mieux la réalité, se justifiait une enquête de victimation des élèves, type d'enquête qui n'avait jamais été faite à cette échelle en France, la vérité se situant entre les deux sources d'information.

Concernant le harcèlement, c'est un phénomène, lui, qui n'avait jamais été étudié en France. Cette étude montre sa relative importance – 12 % des élèves du cycle 3 (CE2, CM1, CM2) en sont victimes. Pour préciser, cette enquête a été réalisée à l'initiative de l'Unicef, qui se préoccupe aussi du droit des enfants en France, et notamment du droit à l'éducation (épanouissement de l'élève, développement de ses potentialités, éducation citoyenne). Tous ces droits qui sont battus en brèche par la violence à l'école, qui les perturbe, parasite, détruit l'existence de ces droits pour certains élèves.

 

Michel D : Existe-t-il une corrélation entre les conditions matérielles faites aux enfants (classes surchargées, encadrement insuffisant, rythmes scolaires inappropriés, etc.) et l'augmentation des actes violents ?

Pour cette étude, les caractéristiques de l'établissement demandées étaient relativement limitées. En revanche, d'autres études menées par Eric Debarbieux et moi-même ont montré le lien causal entre le climat scolaire (caractéristiques de l'école, conditions de travail, qualité de vie) et le déclenchement des faits violents.

Une autre évaluation, réalisée il y a maintenant dix ans, a mis en évidence le lien très fort entre les rythmes scolaires et la violence à l'école. Partout où il y avait un aménagement du temps scolaire réussi, le climat scolaire était considérablement amélioré, et dans certains cas, la violence disparaissait totalement.

 

Stef : Quelle est la réelle définition de la violence à l'école ? N'avons-nous pas, nous aussi, connu une certaine violence à notre époque mais que l'on considérait comme la normale ?

On a tous connu dans notre scolarité le phénomène de harcèlement, que ce soit à notre détriment ou au détriment de petits camarades. Aujourd'hui, à travers des études précises, on s'aperçoit que les séquelles peuvent être importantes, notamment pour l'équilibre de la santé mentale, pour le fonctionnement même de la scolarité de l'élève – absentéisme, mauvais résultats scolaires, tendance à la dépression, suicides – et par la suite, installé dans un rôle de victime ou un rôle d'agresseur. Voir l'étude norvégienne sur ce propos. Cette étude montre que 60 % des élèves harcelés de façon permanente ont des problèmes avec la loi une fois à l'âge de 24 ans.

Une autre indication : le "school shooting", très présent aux Etats-Unis notamment, montre que 75 % des "school shooters" ont été victimes de maltraitances entre élèves. Attention : ce n'est pas une stigmatisation des élèves qui est faite ici, c'est un constat, et la meilleure lutte, justement, pour enrayer cette construction de victimation, c'est la prévention. Et la prévention dès l'école maternelle. Sur le principe, ne pas confondre prévention précoce et répression précoce. Donc tous les programmes de prévention sur ce sujet seront centrés sur l'apprentissage des habiletés sociales dès l'école maternelle.

L'efficacité de ces programmes est démontrée par la réussite, notamment au Québec, mais aussi par certaines expériences en France, par exemple à Roubaix.

 

Béatrice : Que faire quand la directrice minimise les événements (moqueries, harcèlement, bousculades, coups), que les enfants ne sont pas punis, qu'elle dit que "ça va continuer, [que] c'est comme ça, la vie entre enfants" ?

La directrice, ici, est victime de sa non-formation, notamment à ces sujets. En effet, dans la formation des enseignants, il n'y a aucun module concernant, par exemple, la reconnaissance du phénomène harcèlement, aucun module concernant la gestion des conflits. Il faut être formé pour reconnaître ce phénomène, mais aussi pour mettre en place un dispositif de prévention.

Le dispositif de prévention est fondé sur le développement des habiletés sociales dès la maternelle. Et pour tout le monde. Là aussi, pour mettre en place ce type de programmes, il faut être bien formé. Pourquoi ? Parce que ce type de programmes libère la parole, et aussi l'affectivité des élèves. Et quelquefois des enseignants. Donc savoir maîtriser son affectivité, mais surtout celle des élèves dans certaines circonstances, est fondamental pour pouvoir appliquer ce type de programmes.

 

Béatrice : A partir de quand doit-on contacter la police et porter plainte ? N'est-ce pas pire après ? Est-ce efficace ?

Je ne pense pas que ce soit la meilleure des solutions, notamment pour l'enfant qui en ressortira sûrement encore plus traumatisé. Toutefois, cela ne veut pas dire qu'il ne faut rien faire. Le premier contact dans ces circonstances, c'est, bien sûr, la directrice d'école, mais aussi les enseignants.

Et si cela échoue, il faut prendre langue avec le personnel en charge des problèmes psycho-affectifs des élèves, ce qu'on appelle dans notre langage le personnel Rased. Et aussi, bien sûr,

avec l'inspecteur de l'éducation nationale responsable de cette école.

 

Marie : La mixité (garçons-filles) et la meilleure adaptation des filles au système scolaire est-elle un facteur de violence, notament au collège ?

Non. Une des preuves apportées par cette étude sur l'école primaire : par exemple, le voyeurisme sexuel est équitablement réparti. Au contraire, la mixité de genre est un élément d'équilibre relationnel dans une petite communauté éducative comme l'école.

Certains exemples, cette fois-ci au niveau des collèges, nous montrent que les filles sont des éléments modérateurs par rapport aux comportements violents de certains garçons. Mais il ne faut pas nier qu'actuellement, on assiste à un développement des comportements violents de certaines filles. Plus, en règle générale, en groupe qu'en individuel.

Revenir à une école de genre – écoles de filles, écoles de garçons – serait une régression importante.

 

Myriam : Pensez-vous que la mise en place des policiers référents puisse être un moyen de lutter contre la violence à l'école ? A défaut, quels moyens peut-on mettre en place aujourd'hui pour minimiser les actes de plus en plus violents au sein de l'école ?

Là, on quitte le domaine de l'enquête, qui est sur l'école primaire. Mais pour répondre à votre question, le policier référent, après avoir été largement refusé et critiqué par notamment les chefs d'établissement mais aussi les enseignants, est actuellement un élément apprécié, plus particulièrement au collège et au lycée, pour participer à l'amélioration du climat scolaire.

 

Alexandre : La violence à l'école est-elle due à un manque de repères de l'enfant ?

Koniek : Ne pensez-vous pas fondamentalement que la violence à l'école – d'origine sociétale et culturelle avant tout, selon moi – oblige l'institution éducation nationale à repenser à la fois le rôle des professeurs qui deviennent éducateurs et celui des parents qui devraient être co-éducateurs ?

Pour répondre à la première question, oui, la violence à l'école est due en grande partie à un manque de repères. Pas uniquement un manque de repères de valeurs, mais aussi et très souvent un manque de repères quasiment géographiques. On note que chez un certain nombre d'élèves violents, la latéralisation est mal installée.

Mais l'essentiel n'est pas uniquement, comme vous le dites, des causes socio-économiques. Je m'explique. Prenez deux établissements, ou deux écoles, situés dans un même quartier, avec le même recrutement scolaire – population défavorisée (père au chômage, conditions d'hébergement précaires, manque d'installations sportives et culturelles, éducation familiale inexistante...). Dans l'une, nous trouvons un climat scolaire bon ou très bon, et dans l'autre, des dizaines et des dizaines de conseils de discipline. Ce qui signifie tout simplement que le déclenchement d'événements dans un établissement a pour origine des causes en grande partie

internes.

 

Claire : Comment les parents doivent-ils s'y prendre avec leurs enfants pour prévenir de tels faits ? En parler librement ?

Bien sûr, en parler librement avec ses enfants. Mais des échanges adaptés à l'âge des enfants. Et aussi établir un dialogue permanent avec les enseignants, car ce sont eux qui sont à même de percevoir les changements de comportement scolaire, qui sont révélateurs de ce type d'agressions.

Certains programmes de prévention associent étroitement les parents avec les enseignants. Par exemple, les "exercices" et les activités de type développement des habiletés sociales réalisés en classe sont connus et transmis aux parents. A charge pour eux, au niveau familial, de continuer cette éducation au sens et aux valeurs du vivre-ensemble.

 

Valérie : Que faire quand c'est l'enseignante elle-même qui ridiculise l'enfant (en l'appelant "madame-sauve-qui-peut", ou "Cendrillon" si la petite fille veut porter des talons, etc. ), réflexions ensuite reprises par les autres élèves ?

Je me répète, mais on constate un manque criant de formation sur ce sujet. La solution pourrait passer tout simplement par un travail en groupe des enseignants, ce qui est très rarement le cas, et c'est dommage. Pas uniquement pour lutter contre ce phénomène, mais aussi pour faire progresser les élèves et l'école.

 

Lulu : Est-il raisonnable que ce soit les chefs d'établissement qui aient à déclarer eux-mêmes les problèmes ? Avec pour mot d'ordre "pas de vague" et tentés d'étouffer ce qui risque de porter préjudice à leur avancement, ils risquent de fausser le regard que la société doit avoir sur ce phénomène. Comment enrayer ce problème d'ordre purement administratif ?

Ce que vous dites était vrai il y a une vingtaine d'années. De nos jours, les dispositifs mis en place – recueil des signalements transmis aux autorités hiérarchiques, mais aussi participation des parents à tous les niveaux de fonctionnement d'un établissement (en conseil de classe, conseil d'administration, conseil d'école) – font que la transparence, bien qu'elle ne soit pas totale, est importante.

 

Francine : Les enseignants ne sont pas formés pour être des éducateurs mais pour transmettre un savoir. Quels pourraient être les intervenants capables de prendre en charge ces problèmes ?

Vous posez le problème à l'envers. Nous avons un ministère de l'éducation nationale depuis quasiment un siècle, et non un ministère de l'instruction publique. Donc la responsabilité éducative est partagée entre l'école et les parents. Dans toutes les expériences réussies d'amélioration du climat de l'école, on voit que l'enseignant se considère aussi comme un éducateur.

Enseigner une discipline, c'est aussi créer les conditions favorables pour que l'élève apprenne. Un certain nombre d'élèves ne réussissent pas parce que la méthode pédagogique est verticale. La transmission des connaissances pour certains, ça fonctionne, mais pour d'autres, non.

 

Tony : Pourquoi ne parlez-vous pas des violences faites aux instituteurs et aux professeurs ? La situation est très difficile pour un professeur qui pense être autoritaire quand il constate qu'il n'est pas respecté par ses élèves, et que la grande majorité de la classe soutient l'élève perturbateur.

Détrompez-vous : dans moins d'un mois, Eric Debarbieux et moi-même, sous l'égide de l'Observatoire international de la violence à l'école, allons lancer une grande enquête auprès des enseignants du premier degré et des directeurs d'école sur : climat à l'école et victimation des personnels.

C'est un sujet totalement méconnu. Nous espérons que cette enquête obtiendra un grand succès, non seulement pour connaître la situation réelle, mais aussi pour faire des propositions de changement et d'amélioration.

 

Rémi : Désolé, mais je ne suis ni formé ni préparé ni motivé pour assurer une éducation à 30 enfants dont 15 ont des parents qui n'éduquent plus (pour de bonnes ou de mauvaises raisons, selon les cas, mais le résultat est le même). Ce n'est plus de la co-éducation ! et ce n'est pas mon métier...

Il est absolument exact que vous n'avez pas été formé à ce rôle et cette fonction d'"éducateur". Et pourtant, vous vous dites enseignant. Et tous les exemples nous le démontrent : il paraît indispensable que la mission de l'enseignant soit revue dans ce sens. Plusieurs organisations syndicales, fédérations de parents d'élèves, mouvements pédagogiques, vont dans ce sens.

 

François :  Vous parlez beaucoup de former les enseignants. Mais la quasi-suppression des sanctions jugées humiliantes (le coin, tirer l'oreille, etc.) n'a-t-elle pas désarmé l'enseignant face à ces comportements ? L'image de l'enseignant type IIIe République est peut-être magnifiée mais, au fond, ne fonctionnait-elle pas mieux ?

Rappel : l'école de la République était une école élitiste. Qui allait en sixième ? Les classes bourgeoises. Dans les petits lycées, pour les gens du peuple, c'était le cours primaire supérieur. Par certains côtés, on peut dire sur ce sujet qu'elle fonctionnait mieux, mais pour une raison essentielle : les parents étaient en parfait accord avec l'enseignant, même sur les sanctions, et toute la société morale et spirituelle – partis politiques, religions – allait dans le même sens. La plupart de ces lieux "éducatifs" n'existent plus.

 

Anna : Je viens de lire la remarque sur les chefs d'établissements : moi-même enseignante, j'en ai souffert l'an dernier avec un chef d'établissement qui ne voulait pas faire de conseil de discipline pour un élève qui avait frappé un professeur. N'aboutissons-nous pas à un système où les profs nagent dans le discrédit ?

A ma connaissance, c'est plutôt le contraire, vu le nombre de conseils de discipline actuellement réalisés en France. De mémoire, une trentaine de mille par an. Il ne faut pas oublier non plus que dans certains cas, le recours au conseil de discipline est systématique, même pour des peccadilles.

C'est en grande partie pour ce constat que j'ai recensé à travers une étude récente les exclusions temporaires et définitives et les conseils de discipline réalisés en France avec des moyennes par type d'établissement, afin que les chefs d'établissements et les équipes d'enseignants puissent situer leur politique disciplinaire par rapport aux autres et échanger entre eux.

 

Patrick : Je ne suis pas certain que les parents aient eux-mêmes reçu une formation d'"éducateur"... Pourtant, tout semble peser sur leurs épaules. Que ce soit au niveau de la réussite scolaire ("votre fils est mauvais, donc vous l'êtes") que pénalement ("votre fils/fille a fait ceci ou cela, c'est vous qui allez en subir les conséquences"). Est-ce réellement le parent le grand responsable ou alors l'enfant qui n'est plus assez responsabilisé ?

Bien sûr, certains parents se sentent complètement dépassés. En 1998, suite à ce constat, ont été mis en place les réseaux d'aide à la parentalité, pour aider les parents à assumer leurs responsabilités. Ces réseaux semblent actuellement bien fonctionner, puisque l'on en trouve quasiment dans chaque grande commune. Donc ce réseau est déjà une aide.

L'autre aide peut provenir réellement d'une collaboration étroite des parents au fonctionnement de l'école. Ce qui signifie ne pas voir les parents uniquement lors d'événements négatifs, ne pas voir uniquement les parents lors de réunions annuelles, mais les associer réellement au fonctionnement de la classe. Bien sûr, ne pas confondre la responsabilité de l'enseignant et celle des parents, mais les associer aux activités éducatives régulières de l'école.

 

Chat modéré par Emmanuelle Chevallereau et Benoît Floc'h



04/04/2011
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