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Revue de presse : Article dans Les Echos du 05/09/2011 : Rythmes scolaires : ce qu'il faut changer

Journées trop longues, année trop courte, l'organisation des temps scolaires ne satisfait ni les familles ni les enseignants. A l'heure où diverses études pointent le déclin de la France en matière d'enseignement, le sujet s'invitera à coup sûr dans la campagne présidentielle.

Le sujet est politiquement explosif et impose d'infinies précautions : « En matière de rythmes scolaires, c'est comme au jeu du Mikado, résume Christian Chevalier, secrétaire général de SE-Unsa. Dès qu'on touche à un élément, on provoque une réaction en chaîne sur tous les autres » : familles, enseignants, entreprises, travail des parents, transports, collectivités locales et équipements publics, pratique des religions, industrie du tourisme, tissu associatif...

 

L'organisation des temps scolaires, qui sert souvent de métronome à la vie familiale, structure en fait l'organisation de la société tout entière. Avec un curieux paradoxe : au carrefour d'autant d'intérêts croisés, les rythmes scolaires ne sont pas maîtrisés par l'Education nationale. « Si on veut les réformer, on ne peut pas faire l'économie d'une analyse systémique », conclut le responsable syndical.

 

L'emploi du temps de nos « chères têtes blondes » est donc une question d'ampleur nationale. Qu'on devrait trouver au coeur de la campagne présidentielle de 2012. L'Elysée en a voulu ainsi, privant au passage Luc Chatel - qui a hérité début juillet d'un beau rapport, fruit d'une large concertation, sur la question - de toutes mesures concrètes d'ici à... 2013.

Calendrier : l'exception française

Plus d'un ministre aura reculé face à l'obstacle sur un sujet qui passionnait, déjà en 1880, une Académie de médecine tempêtant contre la durée et la lourdeur du travail écrasant d'élèves qualifiés de « victimes scolaires ». Depuis trente ans se sont empilés études et rapports en tout genre : chrono-biologistes, psychophysiologistes, commissions parlementaires, Haut Conseil de l'éducation, l'Institut Montaigne et même la Cour des Comptes se sont tellement penchés sur la question qu'on sait assez bien « ce qui ne va pas », et quel est le fil à plomb de l'intérêt des écoliers et collégiens.

 

Tous les spécialistes pointent d'abord un problème de calendrier. Un coup d'oeil chez nos voisins européens ou de l'OCDE permet de s'apercevoir que les jeunes Français cumulent et le plus grand nombre d'heures de cours à l'année et la journée scolaire la plus longue du fait d'une semaine de travail (4 jours contre une moyenne de 5) et d'une année scolaire parmi les plus courtes (144 jours contre 200 en Italie, 190 en Finlande et au Royaume-Uni et 175 en Espagne). Une situation aggravée par la réforme Darcos de 2008. Pour faciliter la vie des nombreuses familles recomposées, elle a sanctuarisé le week-end de deux jours et a réduit la semaine d'enseignement à quatre jours - une exception française - tout en gardant les mêmes programmes et en y ajoutant un accompagnement personnalisé des élèves. Soit une véritable « densification ».

 

Le rythme de travail quotidien des élèves tient ainsi du parcours du combattant. On commence trop tôt une journée qui n'en finit pas. La pause du midi est souvent grignotée par des activités de soutien scolaire, et on quitte l'école pour continuer son travail... à la maison. On est bien loin de la journée idéale définie par le psychophysiologue Hubert Montagner, ancien directeur de l'Inserm : « Pour un réveil à 7 heures, on a deux plages de réceptibilité et de mobilisation intellectuelles : le matin de 9 heures-9 h 30 jusqu'à la fin de la matinée ; puis l'après-midi de 14 heures-14 h 30 jusqu'à 16 heures-17 heures, moment où on peut tout faire, même du français !... et qui ne se prête pas à la pratique du sport, comme on le fait en Allemagne ! A la mi-journée, on assiste à un affaissement de la vigilance cérébrale : le cerveau part en vacances et ce n'est pas le moment de le stimuler. A partir de 17 heures, on note une augmentation de la température et de la force musculaire. C'est le temps des activités physiques, pas celui de l'aide personnalisée, de l'étude, ou du travail à la maison. » Le déséquilibre entre longs tunnels de phases de classe et périodes de vacances, en partie dû au phénomène de « zonage » des congés, n'arrange pas les choses. « C'est à l'arrivée de l'épuisement et de l'énervement. Les enfants finissent par ne plus se supporter entre eux », note cette institutrice d'un village du Cantal. « Le métier d'élève comporte des contraintes et des charges qui seraient bannies par le droit du travail ! », ironise Jean-Jacques Hazan, président de la Fédération des conseils de parents d'élèves. Il y a malaise entre l'élève et son temps scolaire. Les chercheurs le savent, les écoliers, collégiens, enseignants et parents le sentent, les politiques en ont conscience. A quand l'action ?

Alléger et étaler

La machine semble s'être mise en marche. Le thème est au coeur des réflexions à l'UMP et au PS. « Le choc est venu du classement Pisa de l'OCDE, qui témoigne d'une stagnation, puis d'un déclin relatif de la France en matière d'enseignement. Et comme nos rythmes scolaires sont une spécificité française, ils sont perçus comme étant à la fois une des causes et un des leviers possibles du changement du système », explique Ismaïl Fehrat, chercheur à Sciences Po et au think tank Terra Nova. Le « comité de pilotage » présidé par Christian Forestier, administrateur du CNAM, a donc planché sur le sujet à la demande de Luc Chatel, et ses conclusions sont sur la table depuis le début de l'été. Elles tournent toutes autour de l'idée d'« allègement » et d'« étalement » : « une journée moins lourde » en enseignement fondamental, mais « pas forcément moins longue » ; une pause de midi de 90 minutes absolument préservée ; un accompagnement scolaire de 2 heures du CP à la 5e et de 1 heure jusqu'en 3e qui évite le travail à la maison ; retour à 4 journées et demie hebdomadaires au minimum ; maintien des 864 heures d'enseignement fondamental annuelles mais étalées sur 190 jours (contre 144) ; institution de 5 périodes de 7 semaines d'enseignement dans l'année, entrecoupées à chaque fois de 2 semaines pleines de repos (7-2) ; réduction de deux semaines des vacances d'été.

« Aucun consensus n'apparaît sur l'équilibre de la journée, de la semaine, de l'année », a toutefois constaté Christian Forestier. « Le thème parle à tout le monde, mais sa clarté n'est qu'apparente », souligne un chercheur, et chaque proposition soulève un problème et autant de « oui-mais ». Effet Mikado, toujours...

 

Les familles et les syndicats de parents d'élèves se disent partants, mais se montrent plus réticents sur le terrain : « Revenir à 4,5 demi-journées est une question lourde pour des familles séparées qui avaient trouvé un équilibre », explique un expert. A l'inverse, l'Union nationale des associations familiales ou le Parti Socialiste sont même favorables à une semaine de 5 jours... Les enseignants, eux, ne sont pas braqués, même sur la réduction des vacances. « Mais va-t-on changer les obligations de service du fait de journées et de semaines d'enseignement plus légères, mais d'une année plus longue ? », s'interrogent les syndicats. La semaine, passée le Snes-FSU s'est déjà dit opposé au raccourcissement des vacances d'été.

 

Pionnières en aménagement du périscolaire, puisqu'elles financent la garderie du matin, le déjeuner et la pause du midi, ainsi que l'aide aux devoirs de 16 à 18 heures, les collectivités locales n'y sont pas non plus hostiles. « La semaine de quatre jours ne convient pas aux enfants, et les objectifs sont positifs, reconnaît Jacques Pelissard, président de l'Association des maires de France, mais deux heures de soutien éducatif quotidien et une demi-journée en plus, cela perturbe les cantines, les transports et l'accompagnement des élèves ! Il faudra des mesures d'accompagnement financier, et des partenariats avec les associations culturelles et sportives ! » « Des cours le mercredi, cela représente pour les communes un surcroît de coût d'environ 25 %. Les plus petites ne le pourront pas et c'est un facteur d'inégalités entre elles », explique Valérie Marty, présidente de la fédération de parents PEEP. Un sujet délicat à l'approche des sénatoriales du 25 septembre...

Une culture très élitiste

« Oui-mais », encore, de la part des professionnels du tourisme, un secteur qui pèse... 42 milliards d'euros de chiffre d'affaires et représente environ 12 % du PIB. « Nous sommes d'accord pour la semaine rallongée, mais du lundi au vendredi, et pour les vacances d'été, à condition qu'elles soient découpées en zones, comme les vacances d'hiver », précise Thierry Grégoire, de l'UMIH, première organisation professionnelle du secteur. « Le zonage interdit le système du 7-2, ou alors il faut tout zoner ! » et « on ne peut zoner les vacances d'été : comment se retrouveront les familles et amis de régions différentes ? », répondent familles et syndicats.

 

Si on a toujours autant « tourné autour du pot » en la matière, c'est qu'à l'arrivée se dessine surtout le risque de devoir toucher au coeur des choses : à savoir l'enseignement lui-même. « Si on touche aux rythmes scolaires, on doit changer l'école ! », résume Jean-Jacques Hazan. « C'est un chantier très lourd, une refondation », ajoute Bruno Julliard, en charge de ces questions au PS. On entre de fait dans une autre dimension : celle des missions de l'école et du rôle des enseignants. En filigrane ou explicitement, la plupart des experts critiquent une culture française très élitiste de l'éducation, qui commence souvent... par les familles. « Les enseignants répondent souvent, en amont, aux injonctions des parents en matière de travail des enfants. Pour eux, l'école est perçue comme une ‘‘préparation'' : au CM2, à la 6e, au bac... C'est une culture d'objectif, comme dans une entreprise ! » explique Pascal Bressoux, professeur de sciences de l'éducation à l'université Grenoble-II. Du coup, les sacro-saints programmes règnent en maîtres, inamovibles et trop lourds. Les élèves sont alors condamnés à « délocaliser » leur travail à la maison. Or « le travail perso dans la sphère privée est une cause majeure d'inégalité », souligne Bruno Suchaut, directeur de l'Iredu (Institut de recherche sur l'éducation). Seules les familles aisées peuvent avoir recours à Acadomia et autres Cours Legendre. « En France, les élèves qui suivent, c'est bon ; ceux qui ont un peu de difficultés, on s'en occupe ; les autres, on les lâche », ironise-t-on à l'OCDE. « Comment faire pour que les ‘‘mauvais'' deviennent ‘‘moyens'' ? C'est un enjeu fondamental, même s'il n'est pas sexy », résume Laurent Bigorgne, directeur de l'Institut Montaigne. « Il faut sortir de la compétition pour former un socle assurant à une génération un niveau homogène d'éducation », affirme, comme beaucoup d'autres, Philippe Tournier, secrétaire général du SNPDEN, le syndicat des personnels de direction de l'Education nationale. Ce changement-là s'appellerait une révolution.

DANIEL BASTIEN, Les Echos


06/09/2011
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