Revue de presse : Article sur www.cafepedagogique.net du 07/03/2013 : Notes au primaire : Qu'en est-il chez nos voisins ?
Nathalie Mons Maître de conférences en sociologie à l’Université de Paris-Est-Marne-la-Vallée et chercheur au LATTS, est spécialisée dans l’analyse internationale des politiques éducatives. Elle a notamment participé en 2008 à un rapport « Responsabilités et autonomie des enseignants », pour la Commission européenne (réseau Eurydice) qui analysait les pratiques d’évaluation des enseignants. Suite à la pétition de l’AFEV, elle analyse ici les pratiques françaises d’évaluation continue à la lumière des expériences étrangères et le débat à l’étranger sur l’évaluation numérique.
Que pensez-vous des pratiques de notation en France comparativement à ce qui se pratique dans les pays de l’OCDE ?
La France est dans une position particulière par rapport à la fois aux législations et aux pratiques des enseignants à l’étranger. Je parle de législation en ce sens où à l’étranger les pratiques de notation des enseignants sont souvent encadrées par des dispositions réglementaires voire législatives, et ce à au moins deux niveaux. Tout d’abord dans une grande partie des pays de l’OCDE, les enseignants ne sont pas totalement libres en ce qui concerne la forme que peut revêtir l’évaluation continue. En France, cette liberté les a conduit à conserver majoritairement le modèle traditionnel de l’évaluation quantitative sous forme de notes sur la base de 10 ou 20. Dans les autres pays de l’OCDE, dans le primaire, la notation sur forme numérique est souvent exclue ou fortement encadrée, c’est ce que montrait une revue des pays réalisée en 2008.
De quels pays s’agit-il ?
Longtemps les élèves suédois n’ont pas connu de notation numérique jusqu’en 8ème année, l’équivalent de notre 4ème.
Au Danemark, entre la 1ère et la 7ème année, l’évaluation prend la forme d’un rapport littéraire sur les résultats de l’élève qui peut être donné lors d’une réunion avec les parents. L’évaluation porte sur les performances académiques mais aussi sur le développement personnel et social de l’enfant.
En Italie, depuis 1977, pour le primaire, il n’y pas non plus ni notes ni de lettres, seulement un commentaire écrit de l’enseignant. Depuis 1996, une nouvelle grille d’évaluation a introduit 5 possibilités de notation : excellent, très bon, bon, passable et insuffisant.
Au Canada, en Colombie Britannique, de la maternelle jusqu’à l’année 3, il n’existe ni note ni lettres seulement un commentaire oral ou écrit des performances de l’élève. La notation par lettres est introduite de la 3ème à la 7ème année.
On pourrait ainsi multiplier les exemples de systèmes éducatifs qui à la fois encadrent la forme que peut revêtir l’évaluation continue et qui ont limité le recours à l’évaluation numérique. Ce sont des situations mouvantes car les règles dans le domaine évoluent rapidement.
Vous parliez de deux formes d’encadrement de cette évaluation continue ? Qu’en est-il ?
A l’étranger l’activité de notation est aussi souvent encadrée par la description de critères d’évaluation qui sont intégrés directement dans les curricula. Paradoxalement les programmes scolaires français sont conséquents mais donnent peu de guide aux enseignants en termes d’évaluation. Par exemple en Finlande, les curricula donnent pour le niveau d’évaluation « très bien » une description du profil scolaire de l’élève. De façon générale, l’Angleterre, l’Ecosse, le Danemark, la Belgique francophone ou les Pays-Bas par exemple ont développé des standards qui définissent clairement et précisément toutes les compétences qui doivent être acquises pour les deux niveaux primaire et secondaire et les relient à des niveaux d’évaluation le plus souvent. L’introduction du socle commun et des grilles d’évaluation vont dans ce sens, bien que sa mise en œuvre actuellement se fasse dans la douleur.
Est-ce que l’autonomie scolaire donne plus de latitude aux enseignants en matière d’évaluation continue ?
Oui et non. L’autonomie scolaire donne plus de marge de manœuvre aux collectifs d’enseignants et moins de liberté à chacun d’entre eux. En particulier, comme nous l’avions montré dans un rapport rendu à la Commission Européenne, les pratiques d’évaluation sont très encadrées dans le cadre de l’autonomie des établissements. Il est demandé aux collectifs d’enseignants dans des pays ou régions comme la Finlande, la Suède ou l’Angleterre, de se réunir pour discuter d’une harmonisation des évaluations au sein des établissements. Tout ceci concourt à fortement encadrer les pratiques individuelles d’évaluation des enseignants. En France l’acte d’évaluation continue demeure un acte solitaire.
Certains pays préconisent aussi des formes variées d’évaluation ?
Oui, la France utilise principalement l’évaluation individuelle sur travaux écrits et l’interrogation orale à la marge. A l’opposé, certains pays sont caractérisés par le développement de méthodes plus actives qui utilisent différentes formes d’évaluation. Au Canada, les portfolio ou l’évaluation de projets de classes… L’enseignant peut aussi évaluer un collectif d’élèves, son évaluation passe aussi par une observation du travail du groupe. Dans la scolarité obligatoire, les enseignants japonais ont recours souvent à l’auto-évaluation et aux évaluations par les pairs. L’auto-évaluation est aussi très importante en Finlande.
Au total, la France est caractérisée par un faible encadrement des pratiques de notation des enseignants tant au niveau national que local dans l’établissement, ce qui s’est traduit par une perpétuation du modèle classique d’évaluation, fortement axé sur l’évaluation numérique, individuelle des élèves et un faible recours à l’auto-évaluation comme pratique formative. Un accompagnement des enseignants en termes de formation continue pourrait certainement leur ouvrir de nouvelles perspectives, certains s’étant déjà lancé dans des pratiques plus novatrices. L’existence des dispositifs trans-disciplinaires a aussi conduit à une nouvelle réflexion sur l’évaluation au sein des établissements. Il faut certainement poursuivre ces réflexions qui permettent de renouveler le rôle de l’évaluation et de ne plus associer évaluation, note et jugement/sanction.
A l’étranger, va-t-on dans le sens d’un renoncement aux notes ?
Non, il s’agit surtout de politiques menées dans les années 1970 et 1980. Aujourd’hui, on observe, dans les pays qui furent les plus progressistes un retour aux notes ou de fortes pressions dans ce sens appuyées par des partis situés clairement à droite des échiquiers politiques. Le cas suédois est emblématique de cette nouvelle réflexion avec la très récente réintroduction de notes dès l’équivalent de notre cours préparatoire dans les écoles qui le souhaitent. En Suisse, dans les cantons de Genève et de Vaud de tels débats ont aussi eu lieu récemment, portés par des partis qui entendent ramener dans l’école la pédagogie traditionnelle de la transmission. D’ailleurs, dans le canton de Vaud, ces initiatives populaires proposaient non seulement le rétablissement des notes en primaire mais aussi la suppression des cycles d’enseignement, le redoublement et le maintien de trois filières secondaires. Le retour des notes est aussi lié au développement des dispositifs d’évaluation standardisées qui se sont mis en place désormais dans la quasi-totalité des pays de l’OCDE. Il se crée dès lors une tension difficilement tenable sur la distance entre des pratiques de formation continue interne non numérique et une évaluation externe quantitative qui devient la référence dans l’institution. Dans le cadre de mouvements comme le New public management, l’école est de plus en plus soumise à une mesure quantitative de performances strictement cognitives. La fonction de socialisation tend à être oubliée et peu évaluée. Ce terreau idéologique ne milite pas pour la suppression des notes à l’école, bien au contraire.
Nathalie Mons
Texte publié en 2010
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