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Revue de presse : Article sur www.cafepedagogique.net du 07/12/2012 : Chronique n°14 : Les parents d'élèves et les apprentissages de leurs enfants à l'ère du numérique

Si lors de la précédente chronique nous avons tenté d'éclairer comment le monde scolaire et les familles "communiquent" avec le numérique, nous poursuivons nos réflexions et analyses sur ce qui se passe à la maison et en particulier sur le travail scolaire à la maison, en prenant soin d'élargir cette question à celle, plus globale des apprentissages à domicile... à l'ère du numérique...et aussi à celle plus large encore, de l'éducation familiale à l'ère du numérique.

 

L'ordinateur, la console de jeux, la tablette, sont devenus des objets de Noël, des cadeaux, qui sont, assez souvent, offerts aux enfants. Les catalogues des maisons de jouet ont intégré les tablettes numériques à leur palette d'objets numériques, électroniques qui sont devenus désormais partie intégrante des offres de ces vendeurs. Les familles n'ont pas attendu cela pour faire leurs emplettes et les ordinateurs se sont depuis longtemps retrouvés au pied du sapin avant de trôner au centre de la maison, reléguant parfois la télévision dans un coin plus discret. Mais cette concurrence est désormais dépassée. Outre que la télévision n'a pas perdu sa place (elle s'est d'ailleurs agrandie en taille), l'ordinateur s'est miniaturisé et s'est discrètement installé à proximité de chacun dans le foyer. La présence de 4 ordinateurs dans 18% des foyers était même signalée en 2010 dans l'enquête menée par Fréquence Ecole dans la région lyonnaise. Désormais avec les tablettes et les smartphone cette présence est d'autant plus efficace qu'elle est discrète. Mais suffit-il de disposer de machines pour en faire un outil éducatif ?

 

De manière explicite nombre de parents ont acquis un ordinateur à la maison en pensant à l'avenir de leurs enfants. Ils ont bien repéré l'effet séduction de ces écrans, l'habileté des jeunes, et l'intérêt (réellement perçu ou imaginairement) de l'informatique pour l'apprentissage, suivant en cela des discours médiatiques et parfois des incitations venues du système scolaire (davantage de l'ordre du discours que de celui de la prescription d'usage). Ce qui est intéressant de noter c'est que très tôt les campagnes publicitaires qui promeuvent les logiciels accompagnant ces ordinateurs, vont utiliser la rhétorique de la réussite scolaire. Nombre de jeunes enseignants se rappellent les logiciels de leur enfance basés sur des exercices et de jeux, un peu comme les cahiers de vacances...

 

Mais de manière moins explicite, l'informatique s'est installée dans la maison sous la forme d'un objet à la symbolique sociale forte mais aux usages différenciés selon les membres du foyer. Ce qui a aussi provoqué la multiplication des équipements. Cela a aussi progressivement provoqué des modifications des codes éducatifs propres aux familles. Si l'écran de télévision avait déjà permis de faire entrer le dehors (la rue) au dedans de l'intimité familial, l'ordinateur va permettre aussi d'en sortir surtout avec l'avènement des réseaux et d'Internet en particulier. Fenêtre sur le monde l'écran sert de médiateur éducatif dans la famille. Mais un médiateur bien particulier car parfois il est un substitut de personnel éducatif ou un auxiliaire d'autorité parentale. Fenêtre sur le monde l'écran est aussi un auxiliaire d'enseignement non dénué d'intérêt. En soirée, il va rentrer dans la complexité de la relation qu'entretiennent les parents avec leurs enfants à propos des devoirs à la maison. Pendant les vacances, il pourra aussi servir de base de travail pour les parents attentionnés à la réussite de leurs enfants. Si l'intention parentale peut se lire comme cela, il faut aussi la lire dans une autre direction, celle de la sécurisation éducative. Cela signifie que le médiateur que constitue l'ordinateur devient un tiers relationnel, sorte d'objet transactionnel permettant d'accompagner des configurations de la vie familiale dont certaines sont difficiles (gardes alternées, horaires et charges de travail des adultes etc...).

 

Par ailleurs, les médias s'empareront surtout des cas extrêmes (addiction, génies...) plutôt que des cas ordinaires (curiosité, passion). Mais ce que les médias mettent en avant c'est un discours sur les risques d'usage à mettre en écho voire en opposition avec les enquêtes qui montrent que les parents ne suivent que très peu ce que leurs enfants font avec les outils numériques connectés. Or ce discours des risques vient alimenter un espace très peu investi dans les actes mais beaucoup plus dans l'imaginaire. Face à une machine pour laquelle l'attirance et l'habileté des jeunes surprend les parents mêmes les plus aguerris, ces discours médiatiques n'aident pas vraiment, au contraire même, la mise en place d'une relation éducative que l'on pourrait qualifier de saine ou d'apaisée.

 

Si un enfant qui se développe joue avec ce qui l'entoure, il n'y a pas de raison que l'ordinateur, la tablette, le smartphone soient laissés de coté. Cette approche par le jeu, qui est une approche spontanée de découverte, est en fait un processus particulier qui ne doit pas être confondu avec les jeux sur ordinateurs. La notion de jeu est ici liée à l'activité d'investigation et de recherche d'emprise sur le monde qui entoure, propre à l'enfance. Autrement dit les objets numériques ont un potentiel de stimulation réel. D'autant plus que ses possibilités ne se limitent pas à la dimension physique de l'objet, mais bien plutôt à ce qu'il contient et ce à quoi il donne accès. Aborder l'usage du numérique par l'idée que pour l'enfant c'est une "sorte de jeu" c'est proposer qu'à la maison ce soit un objet positif (partie prenante de la vie commune) et non pas un objet otage (monnaie d'échange pour le reste des activités familiales).

 

Etre parent en 2012, c'est très probablement accepter la rencontre avec les écrans dans la vie quotidienne. Le monde scolaire parle beaucoup du numérique depuis le début des années 1980, mais est finalement peu actif en regard des discours tenus. Par contre dans nombre de foyers le numérique a pris une importance telle qu'il génère de nouvelles configurations relationnelles et éducatives. L'accès aux savoirs que permettent les écrans est très séduisant mais il nécessite des compétences et des stratégies peu répandues dans la société. Les livres se sont bien moins démocratisés en 500 ans que les écrans en 30 ans. Les compétences d'accès aux savoirs ont été surtout, de ce fait, contenues dans l'univers scolaire. Avec les écrans, ces limites ont rapidement explosées, mais les compétences des parents n'ont pas été travaillées dans ce domaine alors que les sollicitations se multiplient venues aussi bien du monde scolaire que de l'environnement de la société. Si acheter un équipement est une entrée, l'utiliser est évidemment la suite logique... encore faut-il la penser. Comment apprendre aux parents qui en perçoivent le besoin, à favoriser les usages d'apprentissage par leurs enfants ? Si, enseignant, je donne du travail à la maison qui nécessite le numérique, quels effets cela produit-il sur la relation éducative au sein de la famille ? Quel retentissement sur l'angoisse scolaire des parents ?

 

Beaucoup de jeunes se sont autonomisés de leurs proches dans l'usage du numérique à la maison. Ils ont pu construire un territoire nouveau dont on ne sait pas toujours (en tout cas pas la majorité des parents) ce qu'il recouvre. Les parents ont su vite faire le premier pas, celui de l'acquisition, mais beaucoup aimeraient pouvoir engager d'autres possibilités d'usage, mais ils se sentent démunis. L'école et les liens numériques avec la maison (ENT, cahier de texte,  site web, blogs, etc...) pourraient bien être des vecteurs d'un nouveau partenariat. Il ne devrait évidemment pas être basé sur la tentation de scolariser l'espace privé de la famille, mais bien de permettre aux familles de mieux vivre, mieux comprendre l'articulation entre apprentissage en classe et apprentissage dans la vie. Il est fort probable que des échanges et des réflexions en commun entre les deux milieux devraient permettre de faire avancer les choses... si chacun le veut bien...

 

Bruno Devauchelle



10/12/2012
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