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Revue de presse : Article sur www.cafepedagogique.net du 08/10/2012 : Chronique n° 6 : Le travail personnel des enseignants à l'ère du numérique

Parmi les boites noires de monde de l'enseignement et quel qu'en soit le niveau, il y a le travail personnel des enseignants. Revenons d'abord à la définition du travail de l'enseignant. Entre le primaire, le secondaire et le supérieur, et à l'intérieur de ces catégories, entre les différents grades et types d'établissement, la définition du travail et du temps à y consacrer est très différent. Mais un élément reste encore un objet de discussion, le travail personnel. La plupart des établissements d'enseignement ne fournissant pas d'espace personnel de travail (bureau, openspace etc...) il est courant que ce soit au domicile que se déroule une grande partie de ce travail dit personnel. Par le fait, le temps qui y est consacré semble être un mystère, tant les enquêtes, basées sur les déclarations des uns et des autres, laissent rêveur.

 

Qu'appelle-t-on travail personnel de l'enseignant ? Tenter de le définir risque de nous exposer aux plus vives critiques, dès lors qu'on aura oublié tel ou tel aspect. On peut simplement penser que le contenu et le temps que chaque enseignant nomme "travail personnel" demande à être explicité sur un plan qualitatif et ne pas se contenter de demander, comme trop souvent le font les enquêtes, le temps passé à telle ou telle activité considérée comme telle par l'enquêteur...

 

Pour cette chronique j'ai choisi d'entrer dans cette question par l'outil numérique en me posant la question de savoir comment un enseignant utilise le numérique dans la globalité de son activité ? Ensuite je tenterai de séparer, si cela est encore possible, la notion de "travail personnel" de l'ensemble que l'on nomme travail de l'enseignant. On l'aura compris, notre parti-pris est de considérer que la frontière qui sépare le travail personnel du travail professionnel est en train de changer, voire de s'estomper en particulier grâce ou à cause du numérique.

 

L'achat d'ordinateur à titre personnel est la manière dont la plupart des enseignants sont entrés jusqu'à très récemment dans les usages. Certains, et ils sont plus nombreux qu'on ne le pense, ont même amené leurs ordinateurs personnels dans la classe, en particulier en primaire. Aujourd'hui, si certaines dotations de collectivités territoriales ont permis un équipement des enseignants, la proposition ancienne d'un ministre de l'éducation de doter tous les nouveaux enseignants d'un ordinateur est restée dans les tiroirs, ils arrivent tous (ou presque) en master déjà équipés. Au delà de l'équipement personnel, il y a l'ensemble des pratiques qui se sont développées au cours des trente dernières années (la démocratisation des ordinateurs individuels remonte au début des années 80). En premier lieu cela a été destiné à la production de support de cours. Lors de mes débuts d'enseignant en 1979, j'avais acheté une petite machine a écrire mécanique, dès que j'ai eu un ordinateur, celui-ci a été mis à contribution pour produire mes textes et de plus en plus de documents qui ainsi sont devenus "lisibles" par les élèves. Les enseignants de matière professionnelles intégrant l'ordinateur se sont trouvés très tôt dans la contrainte de devoir disposer d'un ordinateur à domicile pour préparer leurs cours, il est facile d'imaginer les réactions des uns et des autres, et de l'institution.

 

Outil de production de documents, l'ordinateur a progressivement été utilisé à des tâches complémentaires, toujours à titre personnel, carnet de note, agenda etc... Malheureusement le coût des ordinateurs portables a été longtemps trop élevé pour favoriser une pratique en mobilité. C'est la connexion à Internet qui a le plus transformé les manières de faire. C'est d'abord dans l'accès à des sources d'information jusqu'alors difficilement accessible que ces usages se sont développés. A partir de ces documents, l'enseignant a pu enrichir ses supports, varier ses sources et même s'autoformer. Très tôt, dès le milieu des années 1990 - 2000, les listes de diffusion se sont développées. Elles ont tout de suite été adoptées par les enseignants "branchés". Espace de partage d'expérience, ces listes, qui continuent de bien vivre encore aujourd'hui, ont été de puissants outils d'aide à la mise en réseau au delà des limites géographique. Pour certains c'était une bouffée d'air pur. Sur ces bases de pratiques personnelles et à domicile, l'institution a vite été curieuse de ces pratiques et s'en est souvent emparé pour ses propres besoins. En effet si les services académiques ont progressivement informatisés leurs activités, cela a amené à développer les contacts en tout temps entre l'administration et les enseignants. Le projet national ENT qui a vu le jour en 2003, mais qui était déjà expérimenté dès 1999 en Savoie, entre autres, s'est inscrit dans cette dynamique de décloisonnement progressif des espaces et temps de travail. Plus récemment de nombreux établissements ont mis en place outre la gestion des notes et les livrets de compétences en ligne, le cahier de texte numérique, en lien ou pas avec l'ENT. Dans le même temps certains enseignants se sont emparés des outils de communication pour engager de nouvelles formes d'échanges avec les élèves. Messagerie bien sûr, espace de FOAD, mais aussi et plus récemment les outils numériques de réseautage grand public, sont désormais monnaie courante en particulier à domicile.

 

Car l'enjeu de ces évolutions est la définition du périmètre de l'activité professionnelle. Dans le temps comme dans l'espace, le numérique transforme les pratiques personnelles en dehors du temps en établissement. Comme dans l'ensemble des métiers, les frontières sont devenues poreuses. La particularité du métier d'enseignant c'est que dans la définition du temps de l'activité, le travail personnel n'est pas défini, en particulier dans la durée (seule la durée en classe est définie, sauf en primaire et en lycée professionnel où cela a un peu évolué), le lieu (très peut d'établissement ont la possibilité de fournir de véritables lieux de travail personnel) et les moyens (la plupart du temps c'est encore l'ordinateur personnel qui sert pour l'activité professionnelle). Le vide ainsi constitué dans la définition de l'activité amène les enseignants à faire des choix. Les débats sur ce thème au sein de conseils pédagogiques et autre lieux de concertations ont, à propos du numérique, soulevé de nombreuses questions qui vont de la propriété intellectuelle à l'autorité, en passant par la formation et l'actualisation des connaissances et informations.

 

Le Café Pédagogique, fondé il y a 11 ans déjà, a été et continue d'être, à l'instar d'autres sites créés depuis, un de ces soutiens à l'activité personnelle des enseignants. Le développement d'Internet, bien plus que l'informatique des années 1980, transforme de plus en plus la relation au travail personnel et aussi au travail professionnel. Certains enseignants de lycée qui ont essayé l'enseignement asynchrone à distance ont pu mesurer les enjeux de cette évolution. Petit à petit, la généralisation des pratiques personnelles est en train de modifier la perception du métier, mais aussi les manières de faire. La boite noire n'est pas pour autant ouverte, et d'ailleurs il n'est pas sûr qu'il faille l'ouvrir, cependant nombreux sont ceux qui, au travers de ces dispositifs, s'exposent de plus en plus, au delà de leur temps de face à face, aussi bien auprès des élèves que de leurs parents. La dernière monnaie d'échange de cette évolution est en train de grossir : le cahier de texte en ligne avec ses extensions multiples n'est-il pas un moyen nouveau de faire le lien entre travail personnel de l'enseignant et travail personnel de l'élève ?

 

Bruno Devauchelle



11/10/2012
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