Revue de presse : Article sur www.cafepedagogique.net du 10/03/2011 : Forum Retz 2011 : focus sur le premier degré
Philippe Champy : "Piloter par le contrôle ou par la réflexion collective ?"
Acteur-clé du système, le professeur d'école ? Mais aujourd'hui, introduit sans langue de bois Philippe Champy, directeur général des éditions Retz, "de nombreux observateurs déplorent un climat de suspicion dont les Cassandre anti-pédagogiques ne sont pas les seuls responsables. Comment assumer la défense des profs en les définissant comme des moutons de panurge manipulés ?"
Si les professeurs du premier degré ont désormais les mêmes titres que leurs collègues du second degré, qu'en est-il de leur réelle image ? Le modèle hexagonal postule toujours que l'érudition disciplinaire est le viatique pour l'enseignement...
Réponse des quatre intervenants, à leur manière...
Pierrette Briant : quelles évolutions chez les enseignants du premier degré ?
Première intervenante, Pierrette Briant, chef de bureau « Etudes statistiques sur les personnels » de la Direction de l´évaluation, de la prospective et de la performance du Ministère (DEPP) confirme que depuis 2004, ce sont bien 45 000 enseignants du premier degré qui ont disparu, même si le ratio prof/élèves est relativement stable sur la période observée. Comparativement aux autres pays de l'OCDE, elle concède que la France "n'est pas très bien positionnée", avec un nombre moyen d'élèves par classe parmi les plus élevés. Le rapport entre le public et le privé reste stable (12%), même si dans le privé la part de non-titulaires reste conséquente. La part des femmes est en augmentation constante (81% en 2010).
Concernant l'âge des enseignants, la génération 30-35 ans est importante dans l'enseignement public, et les quarantenaires plutôt sous-représentés. Dans le privé, c'est au contraire la tranche 45-55 qui domine.
Si son intervention "ne livre pas de scoop", convient-elle, elle a le mérite de la précision :
concernant les concours de recrutement, P. Briant confirme la baisse continue des présents au concours, qui passent de plus de 60 000 à moins de 40 000 en 8 ans, les chances de réussite étant toujours assez stables (20%) étant donné la baisse de postes offerts aux concours.
La rémunération (autour de 1600 E net en début de carrière) est plus importante que celle des personnels ATOS, mais largement moins que les corps d'inspection et de direction. L'écart hommes-femmes est de plus en plus important au fur et à mesure de la carrière, même s'il est moins important que dans le second degré. 10,6% des enseignants travaillent en éducation prioritaire.
Les mutations interdépartementales sont plus nombreuses qu'autrefois, les territoires proches de la mer ou du soleil étant plus attractifs (2,7 demandes d'entrée pour une demande de sortie). A l'inverse, le quart nord-est du territoire est plus facile à obtenir... Le travail à temps partiel concerne davantage le privé (21%) que le public, même si les taux y sont en forte augmentation. Enfin, la formation continue est en forte baisse, et en tout cas beaucoup moins développée que dans le second degré...
François Dubet : "le métier est plus dur parce que l'échec n'est plus toléré"
"Invité d'honneur" de la matinée, François Dubet ne s'est jamais fait au terme de professeur d'école, et préfère parler des "instits" : "Les instituteurs ont été conçus comme des prêtres de l'Ecole républicaine, et on attendait d'eux qu'ils incarnent la République, la Raison et le Savoir en face du religieux. Elle n'a pas été pensée comme une école de professionnels, mais comme une école de croyants combattant les croyants d'en face".
Pour lui, quand on demande à un instituteur français à qui il rend des comptes, il répond d'abord "à ma conscience et à mon inspecteur", quand ceux des pays anglo-saxons rendent des comptes à la communauté, parents ou mairie... "Les enseignants ont l'impression que l'inspecteur les protège des clients-parents, et n'est que la poursuite du clivage entre l'enfant et l'élève".
Ce modèle a pu fonctionner tant que seuls les seuls enfants "très bons" du peuple accédaient à la catégorie supérieure. Aujourd'hui, la massification fait que l'Ecole primaire n'est plus sa propre fin, mais prépare à l'étage suivant, le collège, organisé lui-même comme preupédeutique au lycée... Aujourd'hui, la grande section prépare au CP, et les élèves en "difficulté" sont "dépistés précocément". Pour Dubet, la réforme Haby, qui n'a pas voulu reformer le collège, en a fait un endroit impossible qui va déverser vers l'enseignement professionel tous les élèves "qui ne s'en sortent pas".
Dans une société qui change, où le cadre d'autorité du maître s'est désacralisé, où la coupure entre l'élève et l'enfant n'est plus tenable, "le métier est incontestablement plus difficile, plus dur, plus exigeant, parce que l'échec n'est plus toléré là où il y a quelques décennies, on pouvait entrer dans la vie avec une carrière scolaire médiocre". Le fait que les parents demandent des comptes est toujours considéré comme suspect. "Nous n'arrivons pas à décoller de l'idée que l'Ecole a connu un âge d'or rêvé, et les IUFM ont parfois contribué à renforcer l'idée que le niveau baisse et que tout est foutu". Il faut donc, selon F. Dubet, en tirer des conséquences : "Les écoles qui marchent bien aujourd'hui sont celles qui ont été réformées, pas celles qui travaillent sur les représentations du siècle précédent".
Pour traiter les problèmes dans l'ordre, il lui semble que les questions du statut sont prioritaires : le fait de rester à 16h30 ou de partir est-il un choix personnel ? La formation professionnelle peut-elle être du ressort du volontariat ? Peut-on ne faire classe que 140 jours par an ? La négociation sur le temps scolaire se fera-t-elle un jour en fonction des besoins de l'enfant ?
Dans la plupart des pays, on apprend à être enseignant comme on devient ingénieur : sélection préalable, formation, diplôme, concours, recrutement. Ce modèle ne lui paraîtrait donc pas choquant. "Mais nous continuons à former les enseignants sur le modèle du prêtre, avec des affectations sur des critères peu admissibles".
Enfin, il ne lui semble pas incongru que les enseignants ne soient plus inspectés : "je ne veux pas supprimer les missions de pilotage des inspecteurs, mais la note actuelle d'un enseignant correspond à un mode de jugement étonnant. On peut trouver des modalités d'évaluations de la valeur ajoutée des écoles qui soit plus efficace."
Il est aussi dubitatif sur la capacité des universitaires à former les enseignants : "pourquoi voulez-vous que des professeurs d'université sachent former à la pédagogie ? Il ne faut pas confondre les métiers".
"Le chemin semble encore long pour que les enseignants deviennent une véritable profession, conclut-il, surtout sans changement de structure du système. Tant qu'on ne dira pas que tous les petits français vont dans une école commune de 6 à 16 ans, on ne construira pas la professionnalité qui en découle nécessairement. Une école accueillante, dont on ne sort pas avec une image dégradée de soi-même, est pour moi une urgence. Fabriquer des citoyens épanouis, moraux et ouverts me semblerait un formidable progrès, plutôt que de poursuivre des chimères. Même si dans l'avenir l'Ecole retrouvait des moyens, il faudrait avoir le courage de rompre avec ce qu'on fait depuis 30 ans. Ne cédons pas au réflexe conservateur et ayons du courage politique.."
Paul Robert, principal de collège auteur de plusieurs articles et ouvrages sur ce pays, centre son propos sur les enseignants finlandais. Quand on constate que le système finlandais semble plus "égalitaire" que les autres pays, parce que l'impact de la catégorie sociale d'appartenance est moins important qu'en France, les enseignants y sont-ils pour quelque chose ?
Ce qu'on observe aujourd'hui est le résultat d'une réforme initiée dans les années 70, à partir de l'analyse du retard économique et culturel du pays. La règle de sélection précoce à la fin du primaire a été remplacée par un projet de filière commune, en associant les enseignants et leurs organisations : élevation de la formation initiale (recrutement au Master depuis les années 70, sur un programme qui donne une grande place aux théories sur l'apprentissage, des stages progressifs permettant de passer de l'observation à la prise en charge des élèves, un lien fort avec la recherche pour les familiariser aux problèmes complexes...
Les syndicats du premier et du second degré ont fusionné, signe du rapprochement des deux corps du premier et du second degré, même si les enseignants des écoles sont toujours polyvalents, avec l'apport de professeurs spécialisés à hauteur de 1 pour 100 élèves environ. Il est fréquent qu'ils suivent leurs élèves pendant plusieurs années. Ils enseignent 24 séquences de 45 minutes, plus la surveillance des interclasses, la participation aux réunions pédagogiques et trois journées de formation par an, sur le temps libre. La progression salariale se fait au même rythme pour tous, même si elle n'est pas particulièrement avantageuse par rapport aux autres pays.
Pourtant, le métier est considéré par la population : "les enseignants sont des experts auxquels on peut faire confiance". Dans ce contexte, les candidats sont nombreux (quinze candidats pour une place). La sélection se fait à l'entrée en formation, avec une prime pour ceux qui ont déjà une expérience d'assistant d'éducation.
Une fois le diplôme en poche, il n'y a pas de concours : les débutants sont embauchés en contrat à durée déterminée par le conseil d'école, et il leur est demandé de s'adapter au fonctionnement local. Ce n'est qu'au bout de quelques années qu'ils sont titularisés comme fonctionnaires de collectivité locale.
Au sein des écoles, la liberté pédagogique est très grande, et les effectifs sont variables, de 15 à la campagne à 25 en ville. Les mairies sont responsables de l'ouverture des classes, puisqu'elles recrutent leur personnel.
"Le plus frappant, c'est la liberté professionnelle, le fait qu'ils soient tout à fait libres d'utiliser les méthodes d'enseignement de la lecture de leur choix..." ironise P. Robert. "Aucune inspection ne vient vérifier la conformité à une norme nationale : les inspecteurs ont été supprimés". C'est l'école, "véritable communauté éducative" qui définit la rédaction des programmes locaux qui fixent les progressions dans chaque matière...
"Pour nous, c'est déroutant, nous qui ne sommes pas tous toujours convaincus qu'instruire et éduquer se mènent ensemble. Mais notre tradition visant à dépersonnaliser les compétences du professeur ne serait pas comprise en Finlande : on attend du professeur qu'il soit une "personne complète", pas une réalité désincarnée n'existant que dans l'imaginaire administratif... L'aide et l'empathie sont en Finlande au coeur du métier, comme la dimension interpersonnelle de l'éducation..." Conséquence : "on doit nombre de professeurs attendre que l'élève soit prêt à apprendre, et y consacre alors le temps nécessaire... On accepte les différents rythmes des élèves..."
"Je n'ai pas rencontré en Finlande de professeurs amers, désobéisseurs, ou qui ne croient plus en leur métier..." conclut avec optimisme l'orateur...
Gilles Baillat : un master pour former les enseignants ?
Président de la Conférence des Directeurs d'IUFM, Gilles Baillat creuse la difficile question de la formation des enseignants, notamment du premier degré, qui doivent enseigner toutes les disciplines...
"Les primaires, ces incapables prétentieux" écrivait il y a quelques décennies Viviane Isambert-Jamati pour expliquer la défiance qu'on avait envers eux... Aujourd'hui, il est vrai que la réforme de la masterisation n'a sans doute pas été construite pour les enseignants, mais le passage au recrutement à Bac+5 avec un Master inscrit la formation de tous les enseignants dans un cursus de formation reconnu.
Mais pour G. Baillat, ces diplômes sont soumis à cinq contraintes qui leur sont spécifiques : préparer un diplôme universitaire avec ses contenus académiques, comporter une préparation professionnelle, préparer aux épreuves du concours en prenant en compte les exigences de l'employeur Education Nationale, former à la recherche et offrir des débouchés professionnels pour tous ceux qui n'auront pas le concours...
Du coup, ils sont en tension entre la logique universitaire et la logique professionnelle. Comment "former à la polyvalence" dans un monde universitaire centré sur les disciplines, qui va considérer que les savoirs nécessaires pour enseigner en maternelle sont "de bas niveau" ? La place de la recherche est elle-même un objet conflictuel : entre les sciences humaines et les sciences "exactes", le rapport à la recherche n'est pas le même et les incertitudes epistémologiques sont fortes : qui peut encadrer les mémoires de recherche des stagiaires ? sur quels contenus ? quelle est la base de connaissance requise pour le métier de professeur des écoles ?
Aujourd'hui, environ 730 mentions, spécialités ou parcours préparent à un master et au concours de professeur des écoles, la plupart construites en relation étroites avec les IUFM. Avec des débats sans fin sur les contenus : combien d'heures de formation, dans chaque discipline du master, pour permettre l'exercice de la polyvalence ? Mais on ne peut pas imaginer créer un "polymaster"... La nature de l'école primaire est bien de faire entrer les élèves dans les savoirs : il faut donc que les enseignants maîtrisent l'épistémologie des disciplines qu'ils vont avoir à transmettre, ce qui n'est évidemment pas assez le cas aujourd'hui. "Pour moi, l'articulation entre la licence et le master doit être plus forte : on sait que nombre d'étudiants ont le projet de devenir enseignant dès leur entrée à l'université. Nous avons besoin d'un modèle intégré de formation, plutôt qu'un modèle consécutif". Mais pour reprendre ce travail sur la formation des enseignants, il est nécessaire de travailler à un consensus sur la question. "Sans quoi nous allons être confrontés à une crise : nous voyons venir la pénurie dans certaines filières, ou dans l'enseignement professionnel".
Aujourd'hui, les étudiants se disent "assommés" par les contraintes évaluatives. Les master doivent-ils préparer à la professionnalisation ou cette dimension doit-elle être confiée à l'employeur ? C'est une question en débat, car il en découle de nombreuses contraintes sur la mise en stage, groupés ou massés, filés sur tout le master ou groupés au quatrième semestre comme c'est souvent le cas dans les masters ?... "Aujourd'hui, la loi n'empêche pas un étudiant qui aurait fait un master de droit et un stage dans un cabinet d'avocats de se retrouver en plein exercice en maternelle quelques mois après, s'il a eu le concours...On n'admettrait pas qu'un médecin puisse exercer sans jamais avoir vu un patient avant de s'installer. Il n'est pas raisonnable que la formation professionnelle ne soit pas travaillée par l'employeur, sous des modalités diverses". La coupure entre la formation et le terrain concerne au premier chef les maîtres-formateurs, cheville-ouvrière importante de la formation, qui se sentent aujourd'hui en situation très instable.
Mais il aborde aussi dans la discussion un problème essentiel : "on demande trop souvent à la formation d'être différents de ce que sont leurs prédécesseurs, parce qu'on veut faire changer l'Ecole, les pratiques, les résultats... Mais dans quelle profession demande-t-on aux débutants de faire mieux que les chevronnés ?"
A découvrir aussi
- CEL : Interlocuteur privilégié de l'ALPE
- Revue de presse : Article dans Les Echos du 13/01/2011 : Le dispositif de l'éducation dans les zones difficiles revu à la rentrée
- Revue de presse : Article sur www.cafepedagogique.net du 14/01/2011 : Quel bilan pour les résidences d'artistes en maternelle ?
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 103 autres membres