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Revue de presse : Article sur www.cafepedagogique.net du 12/10/2012 : Le travail personnel des élèves à l'ère du numérique

Alors que la concertation pour la refondation de l'Ecole envisage de faire faire les devoirs sur le temps périscolaire, que sait-on des changements apportés par le développement du numérique au travail personnel de l'élève ? Bruno Devauchelle explore les études existantes sur la présence des écrans qui empêchent les devoirs, le développement du copié collé mais aussi le recours aux plate formes à distance pour encadrer ce travail. C'est bien l'évolution de ce qui est demandé comme travail à la maison qui est en jeu.

 

Après les débats récents sur les devoirs à la maison (cf. café pédagogique expresso du 2 octobre dernier) on est surpris de voir si peu souvent posée la question des évolutions du travail personnel des élèves du fait des outils numériques disponibles. Devant le fait de l'incapacité du système scolaire à répondre aux 140 000 jeunes qui sortent par an sans reconnaissance de leurs apprentissages, le monde scolaire a été soumis aux critiques. Afin de ne pas subir de plein fouet le choc des critiques, des personnes ont été voir du coté de l'amont, de "l'en-dehors", autrement dit de ce qui est le plus souvent invisible pour l'enseignant. D'une part les premières années de la vie, d'autre part les temps non scolaires ont été désignés comme potentiellement générateurs des réussites et échecs des élèves. Du coup le "travail personnel des jeunes" a été un objet d'observation privilégié pour alimenter ce questionnement. Comme dans la même dynamique de développement le numérique s'est invité dans le paysage global, ce nouvel objet est devenu le troisième coupable présumé.

 

Les devoirs concurrencés par les écrans

 

Cette analyse sommaire et un peu radicale est le reflet de ce que l'on peut entendre ici ou là, parfois au cœur même des salles des profs. Concernant le numérique, les faits semblent là : arrivée des écrans dans les lieux les plus personnels de la vie (télévision, puis ordinateur dans la chambre de l'enfant), usage très avancé, voir immodéré des téléphones portables, habileté étonnante, voire inquiétante, devant les ordinateurs, médiatisation d'une forme d'usage de type personnel-addictif qui a entraîné des discours de méfiance importants. Tout pousse à penser que les temps personnels des jeunes les détournent du travail scolaire à domicile. Soit en amont de la scolarité pour les plus petits dont certains regardent la télévision dès leurs premiers mois de vie, soit au cours du préscolaire avec l'arrivée des chaînes télévisées et jeux vidéos pour enfants, soit le soir à la maison quand les parents les retrouvent et peinent avec les devoirs à faire concurrencés par des activités d'écrans qui les attirent plus, soit en dehors des heures de cours, quand le téléphone portable devenu cordon ombilical de la sociabilité...

 

Usages clandestins du numérique

 

C'est bien parce que l'on a repéré le poids des différences intrafamiliales dans les réussites scolaires que l'on cherche des solutions. Le rapport sur la refondation pousse à faire faire le travail personnel dans l'établissement surtout pour les plus jeunes. Travail personnel ne signifierait plus forcément travail à la maison ! Et pourtant, beaucoup de parents voient d'un mauvais oeil un enseignant qui ne donne pas de travail à la maison. On conçoit alors que ce type de travail peut très bien être considéré comme une sorte de "médiateur" familial, donnant approbation à l'enfant et réassurance aux parents, rétablis dans leurs responsabilités. Mais quand on parle de travail à la maison, on ne parle que rarement de "travail numérique". En fait les jeunes utilisent abondamment les ressources numériques, mais selon les "commandes" des enseignants, ils tentent de repérer si cela peut se dire, se montrer ou pas, et encore mieux, si cela se repère. L'exemple des dossiers plagiés, jusque dans l'université, montre bien que certains essaient... comme dans une sorte de jeu avec l'institution. Il y a donc bien des usages "clandestins du numériques" qui se développent.

 

Et usages visibles

 

Mais il y a aussi la montée lente, mais semble-t-il inexorable d'usages visibles du numérique pour le travail à la maison. C'est d'abord ce qui est lié à l'accès à distance aussi bien aux résultats des évaluations (bulletins de notes) que du cahier de texte numérique. Ainsi il est acté qu'un élève et sa famille sont amenés à se connecter à domicile, voire obligés. Ceci n'est pas sans poser problème au monde scolaire qui doit remédier à ce genre de difficulté. Au delà de la communication institutionnelle, il y a la communication pédagogique et didactique. De plus en plus d'enseignants invitent leurs élèves à aller plus loin en explorant des informations, soit en amont soit en aval du cours, afin d'approfondir ou d'explorer des univers que le temps scolaire insuffisant oblige à ne pas aborder. De plus on remarque que les communications pédagogiques personnalisées se sont multipliées entre élèves et enseignants. Par mail, par réseau social et même par ENT. Par le fait, le temps scolaire devient plus élastique et la communication enseignant/élèves prend de nouvelles colorations et surtout pose des questions plus fondamentales d'organisation de la vie quotidienne de chacun.

 

Et problèmes de compétences

 

Autour de ces usages du numérique pour le travail hors temps scolaire se développe une problématique qui n'est pas nouvelle mais qui mérite d'être soulevée avec le numérique : quid des compétences des élèves/jeunes et de leur entourage à accompagner les apprentissages scolaires. On se rappelle la mémorable pratique du travail à la maison rapportée dans le film "Etre et Avoir" de Nicolas Philibert qui montrait une famille en train d'essayer d'aider l'enfant à résoudre un problème de mathématiques. Si l'on sait que les familles sont rapidement dépassées par les contenus des apprentissages scolaires, par contre on sait trop peu de choses sur les méthodes employées par les élèves. Certes l'on donne bien souvent des cours de méthodologie du travail personnel. Malheureusement les effets sont peu perceptibles. Avec le numérique, l'environnement s'est enrichi et le risque est encore plus grand. Les méthodes de travail sont peu efficaces et il semble qu'il vaille mieux promouvoir l'entraide entre élèves comme premier moyen de développer des méthodes efficaces. Parmi les compétences les plus délicates, on retrouve la classique recherche et veille dans le domaine de l'information, mais il y a aussi la capacité à s'autodiriger dans l'apprentissage. Si tous les enfants naissent en ayant envie d'apprendre à maîtriser le monde qui les entoure, les différences apparaissent bien vite, liées à de nombreux phénomènes contextuels. On l'avait observé avec le livre, on l'observe encore davantage avec les TIC, apprendre sans un cadre formel contraignant, dans nos sociétés hyperscolarisées n'est pas simple.

 

En fait tout indique que le monde scolaire ne peut laisser se développer des pratiques clandestines. Aussi le travail en dehors du temps scolaire est-il contraint par la commande des enseignants. C'est pourquoi le numérique reste pour l'instant en dehors du jeu, du moins officiellement. Les jeunes commencent à inventer leurs méthodes personnelles de travail en se passant de l'école qui ne sait pas encore enseigner à se passer d'elle-même pour laisser la place à l'auto-formation, l'auto apprentissage. Le numérique, aussi porteur d'espoir, voire d'illusions, dans ce domaine, renforce actuellement le poids du travail scolaire à la maison alors qu'au contraire il devrait le stimuler. Mais pour cela il faudrait peut-être que le travail demandé à la maison soit moins scolaire.

 

Bruno Devauchelle

 

Référence : Le travail des élèves en dehors de la classe, État des lieux et conditions d’efficacité, Rapport IGEN - n° 2008-086, octobre 2008 



12/10/2012
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