Revue de presse : Article sur www.cafepedagogique.net du 17/12/2010 : Qui a besoin de ces évaluations nationales de CM2 ?
A quelques jours des évaluations nationales de CM2, Sylvain Grandserre, dans une tribune accordée au Café, relance le débat sur ce dispositif. "Qui a besoin de ces évaluations ?" demande-t-il. Au nom de "L'appel des 200 maîtres contre les évaluations nationales", il demande de "vrais" outils d'évaluation.
Mises en place par Xavier Darcos, ces évaluations n'en finissent pas de susciter des réactions vives.
Dès 2009, les enseignants critiquent le calendrier, le contenu même de l'évaluation et la façon de traiter les réponses. Le moment choisi, janvier, leur semble convenir pour une évaluation diagnostic mais pas pour une évaluation bilan, ce que prétend être l'évaluation nationale. Les questions posées semblent beaucoup trop difficiles, entre autres parce qu'elles couvrent les connaissances de tout le programme de CM2 au bout de trois mois de cours. L'encodage vrai-faux utilisé paraît simplet et fait perdre de son intérêt à l'exercice. Le caractère scientifique de l'évaluation est donc contestée. Et, du coup, les enseignants soupçonnent une volonté de mettre en concurrence les écoles en utilisant cette évaluation.
L'autorité publique bafouée.
Pour toutes ces raisons, alliées aussi à la politique ministérielle générale, la mise en place de ces évaluations s'est mal passée. 2009 a vu un large boycott entre des écoles qui ne faisaient pas du tout les évaluations, celles qui les faisaient à moitié et celles qui inventaient leurs évaluations. La publication par le ministère de résultats "scientifiques" où X Darcos avouait un taux de non réponse d'environ un quart des écoles a suscité une certaine ironie sur la qualité de l'exercice. 2010 a vu une fronde moins sévère, après quelques ajustements.
Après ces événements, Luc Chatel avait promis de réviser les évaluations nationales.
Et de fait il a chargé la DEPP (Division des études du ministère) d'assister la Dgesco dans la conception des futures évaluations. Une consultation des syndicats et des parents a été organisée. Mais finalement la date des évaluations 2011, janvier, arrive avant que ce processus soit arrivé au bout. Le 14 décembre, la Fcpe exigeait de nouvelles évaluations. Voilà que les instits se réveillent. Or le Café croit savoir que ce qui est prévu pour janvier 2011 sera peu différent des évaluations 2010. Le ministère n'a pas su trouver le temps pour une refonte plus globale des évaluations. Et la menace du boycotte reparait. Elle touche le minsitère mais aussi les syndicats qui se sont engagés dans le processus de négociation avec la rue de Grenelle.
De la résistance des acteurs.
Derrière les remarques sur les aspects techniques de cette évaluation, c'est bien la culture de l'évaluation du système éducatif qui est interrogée. "Si ces évaluations sont perçues par les enseignants comme la nouvelle forme prise par un État éducateur désireux d'entrer dans les classes pour mieux contrôler l'enseignement qui y est délivré, il est clair que leur réaction (des enseignants) consistera d'abord à défendre ce qui fonde leur métier à leurs yeux : la liberté pédagogique", notait en 2009, Xavier Pons, auteur d'une thèse sur l'évaluation des politiques éducatives. Or l'Etat justement s'est engagé vis à vis de l'Assemblée nationale à fournir des évaluations régulières des politiques menées. Ce sont les dispositions de la LOLF qui fixent des objectifs au système éducatif. Il y a dans l'Education nationale come un conflit d'acteurs entre des enseignants qui se sentent de plus en plus dépossédés et assujettis et des politiques qui veulent piloter le système.
Qui pilote l'éducation nationale ?
L'Etat lui-même apparaît dans une contradiction grave. Il n'est pas très clair sur la question de la mise en concurrence des écoles. La publication des résultats de chaque école a lieu chez plusieurs de nos besoins et, récemment, dans PISA, l'OCDE y voyait un effet positif pour les systèmes éducatifs. Il n'assortit ces évaluations d'aucune sanction ou d'aucune action réactive, alors que chez nos voisins les écoles jugées trop faibles font l'objet de politique de remédiation ou de sanctions financières. Le gouvernement semble indécis ou impuissant sur la question de l'évaluation du système éducatif. Il juge nécessaire d'installer un suivi chiffré des résultats de l'Ecole mais instaure une "accountability" sans actions.
L'Ecole a-t-elle besoin d'évaluations ?
"C'est un vrai problème dans la mesure où l'on a commencé à décentraliser le système éducatif et où l'on compte donner plus de liberté aux acteurs locaux", estime Xavier Pons. "Comment dès lors garantir la cohérence nationale de la politique éducative ?... En France, nous ne sommes plus dans l'ancien modèle centralisé sans être totalement dans un nouveau modèle". Cette paralysie ne fait pas que mobiliser les enseignants, mettre en contradiction et en difficulté les cadres du système éducatif et fragiliser l'Etat. Elle bloque les améliorations du système éducatif. Surtout, "en ne faisant pas ces choix, on prive les élèves et leurs familles d'une politique éducative nationale" (X Pons). Sous ces angles, le temps perdu depuis janvier 2010 pour une remise à plat de ces évaluations est vraiment dommageable. Les parents justement pourraient bien dans les jours à venir le faire savoir.
La tribune de Sylvain Grandserre
Les inspecteurs de circonscription du primaire adressent aux écoles les premières informations relatives aux prochaines évaluations nationales de CM2 prévues en janvier 2011. Il s'agit du calendrier des différentes étapes : passation des épreuves, saisie des résultats, transmission des informations aux parents puis à l'administration.
Mais, ne manquerait-il pas l'essentiel ?
1/ Pourquoi s'entêter, quand ça n'a aucun sens, à faire passer des évaluations à cette période ? En effet, les élèves auront repris depuis peu, après des vacances connues pour être particulièrement fatigantes (surtout avec une reprise dès le 3 janvier !). Quant aux parents, ils auront pour beaucoup déjà reçu un bilan du 1er trimestre.
2/ Qui en a besoin ? Ces évaluations sont beaucoup trop tardives pour être un diagnostic et bien trop précoces pour établir un bilan.
3/ Un autre mode d'évaluation que le binaire "bon/faux" va-t-il enfin être retenu ? Ainsi, même des évaluations académiques de langues vivantes utilisent 4 degrés (il en faudrait certainement 5 en comptant l'absence de réponse). En attendant, ce procédé ne prend pas en compte à leur juste valeur la majorité des réponses qui sont le plus souvent dans l'entre-deux.
4/ Va-t-on encore devoir évaluer les élèves sur des notions non étudiées ? S'il nous est répondu que toutes les compétences relèvent du CM1, alors pourquoi attendre pareille période ?
5/ Quelle fiabilité accordée à ces évaluations ? En plus d'être inexploitables, on sait qu'elles ont provoqué dans les classes concernées des réactions révélatrices du malaise ambiant : bachotage, révisions très ciblées à la maison, exercices proposés une première fois à blanc, réponses au tableau en QCM, correction très avantageuse, temps imparti dépassé, etc.
De plus, l'an dernier, le ministère avait finalement avoué avoir dû procéder à une « correction statistique » des résultats (bonjour la valeur scientifique !) car les épreuves avaient été rendues difficiles pour voir jusqu'où on pouvait pousser les meilleurs (les élèves en difficulté ne lui disent pas merci...).
6/ Quelle utilisation sera faite des chiffres collectés ? On voit qu'en Angleterre, la question du boycott est également posée, avec d'autant plus d'urgence que des écoles aux performances insatisfaisantes sont menacées de fermeture.
7/ Quelles garanties a-t-on sur les risques de comparaison, de mise en concurrence, de classements d'école (mince, j'ai donné la réponse à la question précédente, désolé !) ?
8/ Enfin, si ces évaluations font partie du service obligatoire, pourquoi alors récompenser ceux qui les font passer par une prime ?
Le ministère avait prétendu vouloir laisser la porte ouverte à d'autres propositions. Dès lors, la reconduite à l'identique de ces évaluations serait d'autant plus regrettable que de nombreuses voix se sont fait entendre ces deux dernières années (enseignants, parents, formateurs, universitaires), non seulement pour condamner l'absurdité de ce dispositif, mais aussi pour réclamer des outils d'évaluation au service de la réussite des élèves. Est-ce vraiment trop demander ?
Sylvain Grandserre
Maître d'école - Porte-parole de l'appel des 200 maîtres contre les évaluations nationales
Co-auteur de "Faire travailler les enfants à l'école"
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