Revue de presse : Article sur www.cafepedagogique.net du 19/11/2014 : Peut-on changer l'évaluation ?
Les pratiques d'évaluation sont-elles contestables ? Sans aucun doute. D'ailleurs elles sont de plus en plus souvent mises en doute par les enseignants eux-mêmes. Une véritable révolution silencieuse a eu lieu déjà au primaire et des pratiques nouvelles apparaissent au collège. La machine politique lancée par B. Hamon et reprise par N Vallaud-Belkacem est-elle capable de guider des évolutions dans l'évaluation ? On peut en douter. En faisant de l'évaluation un enjeu politique rend-on réellement service à l'éducation ? L'art d'accompagner le changement a-t-il atteint la rue de Grenelle ?
En proposant une "conférence de consensus" sur l'évaluation des élèves, Benoît Hamon savait-il qu'elle a déjà eu lieu ? En décembre 2011, déjà l'évaluation faisait l'actualité et les IUFM de la région parisienne avaient organisé une conférence de consensus sur ce sujet. Sa conclusion mérite d'arriver jusqu'au ministère : les incantations officielles ne sont rien sans effort de formation. La remarque est particulièrement valable pour une activité enseignante aussi basique et identitaire que l'évaluation.
Une activité identitaire
Parce que la correction de copies est l'activité qui identifie le mieux le métier d'enseignant. Quand on entend les enseignants on pourrait croire que c'est la part la moins appréciée du métier. En fait c'est celle où ils se retrouvent. En salle des profs on parle plus volontiers du dernier paquet de copies et des notes du petit Z que de pédagogie ou d'avenir de l'Ecole. C'est aussi l'activité la plus chronophage après les cours et leur préparation. Les enseignants lui consacrent en moyenne 3h36 par semaine dans le premier degré et 5h48 dans le second. La durée des corrections a à voir avec la hiérarchie symbolique des métiers enseignants. Le certifié corrige 6h40 par semaine, le professeur des écoles 4h09. Evidemment le professeur de français y passe plus de temps que celui de mathématiques. Mais l'essentiel c'est qu'aucun corps d'enseignant n'y échappe. Ainsi la maitresse de maternelle passe 1h43 à corriger les travaux de ses élèves. Le professeur d'EPS 1h49. Pas de correction, pas de professeur... En s'attaquant directement à l'évaluation, la ministre attaque le coeur du métier.
Quelles sont les pratiques d'évaluation des enseignants ?
Mais quelles méthodes d'évaluation sont utilisées aujourd'hui par les enseignants ? Permettent-elles de faire progresser les élèves ? L'Inspection générale a publié en juillet 2013 un rapport sur "la notation et l'évaluation des élèves" coordonné par Alain Houchot et Frédéric Thollon. Il dresse un état des lieux des pratiques d'évaluation de l'école au lycée. Son principal apport c'est de montrer un système éducatif coupé en deux par l'évaluation.
A l'école primaire l'évaluation chiffrée a pratiquement disparu même si le Livret personnel de compétences n'a pas trouvé sa place.
Par contre dans le secondaire, les notes sont toujours là et ce sont les autres modes d'évaluation qui dérogent. Le rapport souligne que toute modification de l'évaluation a des conséquences sur l'organisation des établissements et la charge de travail. Au final, les inspecteurs généraux estiment que "dans la plupart des écoles et des collèges, la réflexion sur l'évaluation n'a guère abouti... Le constat d'une absence d'objectivité est quasi constant : on ne sait pas ce qu'on évalue". Des tentatives ont eu lieu pour faire avancer les choses.
Des tentatives antérieures
Une réforme aboutie de l'évaluation a eu lieu au début des années 1970. Initiée par le terrain dans la foulée de mai 1968, elle s'est traduite par une évaluation sur 5 (ABCDE) qui a duré un certain temps avant un retour aussi tendanciel que son arrivée à la notation sur 20. En 2000, l'évaluation est revenue dans l'actualité avec une circulaire de Claude Allègre. Le texte s'aventurait sur un terrain clandestin : la fonction répressive de l'évaluation. Le ministre entendait qu'on distingue bien évaluation des travaux et sanction disciplinaire. Sa circulaire, qui est toujours en usage, a été immédiatement présentée en salle des profs comme "interdisant le zéro". En se focalisant sur le zéro, le débat a illustré que l'évaluation renvoie aussi au pouvoir du professeur et pas uniquement à sa mission. En 2008, 2009 et 2011, c'est l'évaluation au bac qui ramène le thème dans l'actualité. Là aussi rien n'est sorti de cette agitation.
Le projet ministériel
A vrai dire tout est déjà dans la circulaire de rentrée. Elle fixe clairement comme objectif de "faire évoluer les pratiques d'évaluation des élèves". Elle explique qu'il "s'agit d'éviter que l'évaluation ne soit vécue par l'élève et sa famille comme un moyen de classement, de sanction, ou bien réduite à la seule notation... Il ne s'agit, en aucun cas, d'abaisser le niveau d'exigence requis par les prescriptions des programmes d'enseignement, mais de faire de l'évaluation une démarche, et non seulement une mesure, afin que l'élève se sente valorisé et encouragé à prendre confiance en ses capacités et puisse progresser". Elle rappelle que la loi d'orientation "appelle à faire évoluer les modalités d'évaluation des élèves vers une évaluation positive, simple et lisible, valorisant les progrès, encourageant les initiatives et compréhensible par les familles, pour mesurer le degré d'acquisition des connaissances et des compétences ainsi que la progression de l'élève." Selon le texte ministériel, les contenus évalués devront être "précisés à l'avance, les objectifs et les critères de l'évaluation sont énoncés et explicités". La communication des résultats de l'évaluation devra être "accompagnée de commentaires précis mettant en évidence non seulement les erreurs, les insuffisances, les fragilités, mais aussi et surtout les réussites et les progrès de l'élève afin de lui permettre d'en tirer le meilleur profit". A l'école comme au collège l'évaluation s'appuiera sur les compétences du socle commun. "Dans cette perspective, la notation chiffrée peut jouer tout son rôle dans la démarche d'évaluation dès lors qu'elle identifie les réussites comme les points à améliorer et indique à l'élève les moyens pour améliorer ses résultats", précise la circulaire. C'est dire qu'elle n'est plus jugée suffisante. La circulaire invite fermement les enseignants à associer note et évaluation des compétences. "Au collège, les évaluations sont restituées sous deux formes compatibles et complémentaires : notation chiffrée et renseignement des compétences".
Et puis arrive le projet Hamon qui sera repris par N. Vallaud-Belkacem. Selon un schéma peu original, une commission impartiale mais nommée par le ministre prépare des recommandations. La ministre les suit. Les corps d'inspection sont mobilisés pour faire la chasse aux contrevenants.
Ce beau scénario imaginé rue de Grenelle est il susceptible d'impulser un changement ? On peut en douter. D'abord parce que tout ce qui se passe dans la classe est pris au sérieux par les enseignants. Or il n'y a pas consensus dans la profession sur la question de l'évaluation. Pour que de réelles évolutions existent il faudrait qu'il y ait une demande sociale. Celle-ci n'existe pas d'une façon générale chez les enseignants. Il n'y a pas plus de consensus et de demande chez les parents. La prise de décision par en haut sur des sujets qui tiennent au coeur du métier c'est probablement ce qu'on peut faire de pire en terme d'accompagnement du changement.
Derrière la note la question du socle
Il y a pourtant deux bonnes raisons de changer les modes d'évaluation. La première c'est que la notation ne récompense pas le mérite mais participe au maintien des inégalités sociales à l'Ecole. Les études docimologiques le montrent. Mais la croyance dans le mérite est un des derniers ciments qui tiennent l'Ecole et son rapport avec les parents. Qui osera s'y attaquer ? Qui réussira à rendre crédible une politique éducative en faveur des plus démunis ?
La seconde c'est qu'il n'est pas possible d'installer le socle commun sans introduire l'évaluation par compétences. Or l'expérience du Livret personnel de compétences a laissé un souvenir inoubliable aux enseignants... Il faudrait de la finesse, de l'accompagnement aux équipes qui s'emparent de la question sur le terrain, de la formation continue pour que l'évaluation sur le terrain aille dans le sens du législateur. Moyens de formation, humilité, patience, soutien : l'Education nationale a-t-elle cela ?
François Jarraud
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