Revue de presse : Article sur www.cafepedagogique.net du 22/10/2014 : Université d'automne du Snuipp : Jacques Bernardin : Changer le rapport à la culture écrite
"Il faut élargir les usages du langage en les diversifiant, multiplier les situations qui visent à permettre le langage d’évocation mais aussi une forme particulière en classe qui est le langage de formalisation". Président du GFEN, Jacques Brenardin intervient lors de l'Université d'automne du Snuipp pour montrer le chemin du redressement du niveau en maitrise de la langue.
Des constats inquiétants
Loin de disparaître, la difficulté scolaire s’est même creusée durant la dernière période. Les constats sont inquiétants, notamment en compréhension de l’écrit. Si les élèves en réussite sont encore plus en réussite, l’écart augmente avec les plus faibles qui sont, de plus, encore plus nombreux. Les enfants d’ouvriers et de chômeurs représentent 84 % des élèves en difficulté. Les méthodes d’apprentissage de la lecture sont encore une fois mises en cause par certains, mais les dernières enquêtes de la DEPP méritent d’être regardées avec attention. L’amélioration des résultats des élèves de CP, quelque soit leur origine sociale s’effondre par la suite. On peut faire l’hypothèse que l’accent mis sur le code au cycle 2 permet un entraînement des compétences de bas niveau (décodage, capacité à faire des inférences simples) mais les performances restent ensuite moindres lorsque interprétation et sens critique sont sollicités.
Pourquoi de telles difficultés pour certains élèves ?
Il faut se pencher sur ce qu’est la culture écrite : des supports, une diversité de textes, un code graphique, des pratiques langagières particulières, et enfin un mode de pensée spécifique. Ce dernier est sans doute responsable des écarts dans l’accès à l’écrit. Les manques de vocabulaire, de syntaxe ne sont pas à proprement parler lié à un « handicap » socioculturel, mais relèvent d’usages du langage différents. L’étrangeté de l’usage scolaire de la langue persiste pour des enfants familiarisés à un rapport pragmatique au langage, dans des logiques de langage accompagnant l’action en train de se faire, ici et maintenant, quant à l’école il s’agit de mettre la langue à distance pour l’étudier.
En lecture, le renforcement de travail sur le code pour les déchiffreurs malhabiles s’opère au détriment du temps passé par les autres à s’entraîner à comprendre (1,5 fois plus que les faibles). Restant sur un malentendu sur les buts de la lecture, gênés par la lenteur du mot à mot pour accéder au sens, ces élèves ont du mal à coordonner déchiffrage et compréhension et pensent que bien lire, c’est bien lire oralement. Ils ont une conception étapiste de la lecture en pensant qu’il s’agit de lire tous les mots puis de chercher à comprendre. Ils ont une faible conscience des procédures de lecture et des modalités de contrôle de la compréhension à mettre en œuvre. La situation langagière écrite (composer malgré l’absence de l’autre) leur reste étrangère, alors que les enfants familiarisés aux lectures, vont être attentifs aux intentions des personnages, à la dynamique narrative du récit, etc… L’aide invisiblement présente de cette culture déjà inscrite par les pratiques familiales leur permet d’être autonomes en classe. Un travail « clandestin », opéré dans l’intimité de la vie des familles, a posé les bases sur lesquelles ils vont construire à l’école.
En production d’écrit, les élèves plus fragiles vont écrire « comme ils parlent », sans perception du destinataire ni de ce qu’ils laisseront comme image de soi. Pour eux, écrire c’est d’abord calligraphier et les difficultés qu’ils perçoivent sont du côté de l’orthographe et des normes linguistiques, peu sur la nécessité de sélectionner des idées, de les organiser… La grammaire est une sorte de zone d’étrangeté maximale pour ceux qui ont des difficultés à s’extirper du pragmatisme. « Il ne pleut pas », c’est plutôt positif, non ? Quant à dire que la phrase « Les petits cochons tournent dans le ciel » est correcte, c’est quand même extraordinaire, parce que « ça se peut pas ! », sauf, encore une fois, pour l’enfant qui sait déjà que « si, ça se peut si c’est une histoire ».
Les pistes pédagogiques
Il faut élargir les usages du langage en les diversifiant, multiplier les situations qui visent à permettre le langage d’évocation mais aussi une forme particulière en classe qui est le langage de formalisation, passer du faire au comprendre en faisant la part aux stratégies pertinentes. Les jeux de langage, la poésie permettent de déplacer le rapport à la langue et de développer la conscience de la langue (segmentation permanence de l’écrit), « être dans l’attention volontaire » comme disait Vitgotsky.
La classe doit aussi être le lieu où se dévoile le secret des stratégies de l’apprendre, où sont levés les implicites du travail intellectuel. Il faut être attentif moins à la réponse qu’à l’argumentation, décomposer les protocoles, s’inspirer aussi des pratiques sociales comme faire relire un écrit par un proche (mise à distance, médiation par un pair). En lecture, construire des compétences textuelles implique de travailler sur les trois niveaux (recherche d’une inférence simple, interpréter, donner son point de vue), ce qui demande de repenser nombre de questionnaires pour favoriser le débat interprétatif avec retour au texte… Le travail est historiquement inédit : il faut s’adresser à TOUS, et pas seulement aux élèves connivents, et les doter de compétences expertes afin de les émanciper intellectuellement.
Marion Katak
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