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Revue de presse : Article sur www.cafepedagogique.net du 24/06/2015 : La Classe plaisir : De nouvelles graines bienvenues

Nous avons pu collecter de nouvelles graines de plaisir lors de notre rencontre avec l'association "Les amis de la Bienvenue", association avec qui nous partageons de nombreuses valeurs. Les Amis de la Bienvenue, constituée en association loi 1901 depuis 1974, est un lieu de rencontres, d'échanges et d'apprentissages situé dans la rue de la Butte aux Cailles à Paris. L’association propose une trentaine d’ateliers chaque semaine destinés à une centaine d’enfants et adultes et animés par une cinquantaine de bénévoles.

 

301- Un moment sympa à La Bienvenue. J’attache de l’importance à ce qu’on s’entende bien, c’est important pour apprendre. De temps en temps, j’amène des choses à manger, un gâteau pour un anniversaire, la galette des rois. Et là, la fois suivante, il y avait un anniversaire, et trois jeunes filles ukrainiennes qui nous ont dit : « Nous on s’occupe la semaine prochaine de nos anniversaires. »

Elles sont arrivées la fois suivante avec des ballons de toutes les couleurs, des instruments de musique, un tiramisu, des assiettes, serviettes, cuillères, et on a commencé l’atelier en fêtant l’anniversaire. On est devenu un groupe qui est content de se retrouver. Plus de frayeurs, et on apprend le français ensemble, dans la détente. Mais là, avec deux heures par semaine, on pouvait se permettre de prendre ce temps.

 

302 - Ça se passe dans un collège, je suis conseillère d’éducation. Un « cinquième » vient me voir, il fait plein de bêtises, un garçon qui est en décrochage de l’intérieur. Il est collé, je fais un peu les gros yeux, je l’envoie en salle de permanence, et puis j’oublie.

Dix minutes après, je suis amenée à aller dans cette salle de permanence, où il y a juste trois élèves, dont ce garçon en train de travailler. Il me dit : « Madame, madame, venez me voir ». On avait fait quelques semaines avant un concours d’affiches sur la lutte contre les discriminations. On voulait que les élèves réalisent la future page de garde du carnet de correspondance autour de ce thème. Il y avait de très beaux dessins. Et là, le garçon me dit : « C’est bien, Madame ? » Je lui réponds : « Bien sûr que c’est beau. » Il se trouve que ce garçon ne discutait jamais avec nous, refusant tout ce qu’on pouvait lui proposer.

Et il commence à me parler de toutes les affiches, il les avait bien regardées, bien décortiquées. Et là il me dit : « C’est bien quand même, quand on fait des choses au collège. » Et puis il regarde une fresque qu’on avait faite avant, et il me dit : « Et ça, c’est beau ! » Et il me demande : « Est-ce que ça va exister l’année prochaine, ça, et est-ce que je pourrai participer ? »

J’ai trouvé ce moment super, car il y avait quelque part une sorte de réconciliation entre lui et le collège, qu’il voyait autrement. Et ce qu’il analysait était d’une sensibilité incroyable. Là il s’exprimait bien, il analysait, il avait un vocabulaire nourri. Et les deux autres élèves qui étaient présents le regardaient, assez ébahis. Le surveillant aussi était assez ému. Là, quand il dit « C’est bien quand on fait des choses », il voulait certainement dire des choses qui participent de la vie du collège. Peut-être que la lutte contre les discriminations lui parlait aussi. Ça a débloqué quelque chose dans son rapport à nous, même s’il continue à être exclu de cours.

 

303 - J’étais professeur de français dans un lycée en zone sensible à Vitry. Je me souviens d’un beau projet, qui nous avait tous rendus heureux, c’était avec la Maison de la Poésie : on avait eu droit à la visite d’un poète qui était venu travailler avec deux classes de seconde du lycée professionnel. Le but était de faire travailler les élèves sur l’espace dans lequel ils vivaient, car c’est un grand lycée, avec un immense campus. C’était une façon de faire du français tout à fait originale. Ça consistait, un peu comme une école de plein air, à prendre son cahier et son stylo, à se balader dans le parc, à s’assoir de temps en temps pour observer et écrire ce qu’on voyait. A partir de là, en fonction de structures que le poète préconisait, il s’agissait de construire des petits textes poétiques.

Au départ, mes élèves voyaient ça comme une récréation : c’est sympa, on n’est pas en cours, on se balade. Ils étaient persuadés que leur travail allait être bien meilleur que celui des élèves du LEP, qui souffrent d’une image plutôt négative. Mais ce qui est formidable, c’est que non seulement les élèves du LEP avaient des productions souvent bien meilleures que celles du lycée général, au niveau de la créativité. Et le poète arrivait souvent avec la lecture d’extraits venant du LEP, pour stimuler mes classes de seconde générale. Et ça c’était bien, sur le plan de l’image que pouvaient avoir ces élèves sur les élèves de LEP. Mais ensuite, après, l’ensemble des textes a servi pour constituer un recueil, dont les élèves ont reçu chacun un exemplaire, un florilège qui a servi pour faire un montage poétique, et qui a été joué par les élèves du LEP, avec en face d’eux dans le public les élèves participant au projet.

C’était génial, car c’était eux qui étaient sur les planches et applaudis. Pour une fois, il se passait quelque chose, dans l’échange, entre ces deux lycées. Et ça c’est très difficile à travailler au quotidien, car souvent, ils ont une mauvaise image les uns des autres. Et là on a réussi à dépasser ces mauvaises images. Il y a des amitiés qui se sont créées aussi.

 

304 - C’est lors des ateliers de maths de La Bienvenue, avec des enfants de tous âges, mais tous en grande difficulté. Et là je pense à une élève, D. Elle est en grande difficulté, mais a beaucoup de volonté, très envie d’apprendre et de connaître. Elle est très consciente de ses difficultés. Un jour qu’on travaillait en mathématiques, elle a compris, elle s’est levée, et elle s’est mise à danser dans le coin, en disant : « C’est super, j’ai compris ce qu’on a fait, c’est vachement facile les maths ! » Ce qui a joué, c’est qu’on est très peu, et qu’on peut prendre tout le temps qu’on veut, et on peut répéter dix fois la même chose.

 

305 - Depuis très longtemps, je travaille la lecture et l’écriture avec des enfants d’école primaire, en moyenne de CM1-CM2. Le premier déclic, ça a été que pendant des années j’essayais de trouver des ouvrages qui correspondaient à la culture d’origine de leurs parents. Et en fait, je me suis rendu compte que c’était très éloigné de leurs centres d’intérêt, que ça ne leur parlait pas beaucoup. Et là, j’ai réfléchi à ce que je pouvais trouver pour qu’ils se sentent à l’aise, et en même temps, les faire voyager dans l’écriture et dans l’imaginaire. J’ai trouvé des ouvrages comme par exemple « Le bébé tombé du train », qui m’avait été conseillé par une libraire, une histoire magnifique d’un petit enfant qui est retrouvé par un vieil homme dans son jardin, et cet enfant va découvrir la vie, l’altérité. Il avait été laissé là par une mère juive qui partait en camp. Cette maman revient, et ils vont vivre tous les trois ensemble. Je me suis dit, là, que ce qui comptait c’était la beauté du texte, et que lorsqu’il est beau, il est universel.

Par la suite, j’ai toujours cherché des textes qui parlaient de la vie et qui étaient bien écrits. Dans les titres d’ouvrages que j’ai travaillés avec les enfants, il y avait « L’homme qui plantait des arbres », sur la question de la solitude, de l’altérité, « Mon bel oranger », « Emilio mon frère », « Les enfants de Noé ». A chaque fois, le déclic, ça a été la beauté des textes.

En revanche, j’avais beaucoup plus de mal à les faire écrire. Ce qui a débloqué hier ce problème d’écriture, c’est lorsque nous avons fait un résumé collectif de l’histoire que nous venions de lire. J’écrivais sous leur dictée, ils n’ont jamais été aussi productifs. Ils se relayaient pour réécrire. Je pense que l’écriture renvoie à une forme de solitude, et que c’est donc souvent difficile pour eux, d’où le déblocage par l’écriture collective.

 

306 - Macao est une association qui travaille beaucoup dans les médiations artistiques, et qui gère l’espace de vie sociale L’Escale, rue l’Amiral Mouchez. On fait des médiations artistiques, mais aussi de l’accompagnement scolaire. On a des enfants, notamment immigrés, de l’Afrique subsaharienne, primo-arrivants, avec toute une problématique autour de la lecture et de l’écriture. On est en recherche.

Je voudrais vous parler d’un petit garçon de 9 ans qui est un enfant malien et qu’on suit depuis septembre. C’est un enfant signifié par l’école comme un enfant en échec total. Pour nous, il est extrêmement créatif, avec des moments d’opposition et d’explosion. Hier nous sommes partis sur l’héroïc fantasy, avec les lutins de Brocéliande. L’idée de départ était de choisir un lutin ami, des personnages très fantasmagoriques, et de travailler sur le graphisme et sur ce que dirait le lutin. 

Le garçon choisit, il commence à décalquer le lutin. Et à un moment, juste quand je suis sortie de la salle, il s’est mis à insulter, à tout déchirer, un acte qu’il fait très souvent, en disant : « C’est nul ce que je fais ! » Et il y a une explosion. J’interviens en lui rappelant le cadre, d’une façon un peu plus ferme que d’habitude. Et là, il sort en bousculant tout le monde, refusant de s’excuser. Je lui ai alors proposé de revenir quand il voulait, et en lui rappelant qu’il y a des règles, qu’il faudra qu’il s’excuse. Je me suis demandé ce qu’il allait faire.

Il est sorti très peu de temps, il s’est appuyé sur la porte de L’Escale. Puis il est revenu, il ouvre la porte, il s’installe très tranquillement, il s’excuse auprès de ses deux camarades qu’il avait insultés. Il a pris un autre papier et il s’est mis à faire du graphisme avec les trois stylos qu’il avait. Il écrit son nom, et en utilisant deux lettres de son prénom, E et M, il me demande si je peux les photocopier, en en donnant un exemplaire à sa mère et un pour moi. Tout s’était calmé, il était vraiment à sa table. Et là je lui dis : « Là c’est vraiment du graphisme, et il y a des métiers pour ça. » Il s’est intéressé à ça, il a refait toutes les lettres de l’alphabet en graphisme. Et là, il me dit la phrase de son lutin, qui est : « Le ludion de Demba est devenu un loup-garou gentil ». Il va voir l’animateur, et il dit : Je crois que je vais devenir graphiste.

Le fait qu’il ait eu un espace pour se réfugier au moment de sa colère aide beaucoup.

 

Daniel Gostain

 

La classe plaisir



19/08/2015
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