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Revue de presse : Article dans L'Expansion du 17/12/2010 : L'échec scolaire se conjugue au masculin

En France, dès le plus jeune âge, les filles creusent l'écart à l'école avec les garçons. Un avantage qui se confirme au fil des années. Du coup, beaucoup s'inquiètent des conséquences de ce retard sur certaines professions, excessivement féminisées.

 

Mercredi 17 novembre.

L'amphithéâtre Cézanne, au coeur de Marseille, est plein à craquer. Ils sont venus par dizaines, des quartiers nord de la ville, d'Aix, d'Aubagne, de Digne. Ils sont enseignants dans des écoles élémentaires, professeurs du second degré et proviseurs de lycée. Loin des sempiternels débats sur la violence à l'école, ces professionnels de l'éducation sont réunis pour parler d'un sujet longtemps tabou mais auquel ils sont confrontés tous les jours : le décrochage scolaire des garçons. Alors, pendant tout l'après-midi, ils racontent leur quotidien, échangent des "trucs" de profs et commentent quelques expériences pilotes. C'est Jean-Louis Auduc, le directeur adjoint de l'Institut universitaire de formation des maîtres de Créteil, en banlieue parisienne, qui mène la discussion. Ce vieux sage de la pédagogie a publié il y a près d'un an un brûlot intitulé Sauvons les garçons ! Il y dresse un portrait sexué de l'échec scolaire. "Le constat chiffré est implacable : filles et garçons ne sont pas égaux en classe", assène-t-il.

 

La parité est atteinte dans les écoles de commerce

 

Sur les 150 000 jeunes qui sortent chaque année sans diplôme du système scolaire, plus de 100 000 sont des garçons. Et ces derniers représentent la grande majorité des effectifs des dispositifs réservés aux élèves en rupture scolaire. "La fracture sexuée a atteint de tels écarts sur certains paramètres, comme la compétence en lecture ou la compréhension d'un texte, qu'elle est presque plus déterminante que la fracture sociale", constate Jean-Louis Auduc. Par un effet de miroir inversé, la réussite des filles en apparaît presque plus éclatante. Certes, elle ne date pas d'hier. L'image de la bonne élève studieuse et appliquée éclipsant le cancre rêveur à la Doisneau fait partie du patrimoine scolaire. Mais l'écart s'est creusé au fil des années.

 

Aujourd'hui, à l'âge de 17 ans, 55 % des filles sont au lycée, contre 42 % des garçons. A 20 ans, plus de la moitié sont en licence, alors que seulement 36 % des garçons atteignent ce niveau. Résultat : ce qu'on ne peut plus qualifier de "sexe faible" a envahi les bancs des universités - les filles représentent désormais 56 % des étudiants du supérieur. Certes, l'ENA, Polytechnique, l'Ecole des mines, les Arts et Métiers, se féminisent doucement.

 

L'échec scolaire se conjugue au masculin

 

Mais la parité est largement atteinte dans les écoles de commerce, et les filles représentent 55 % des effectifs des classes préparatoires économiques. En médecine, dans les écoles vétérinaires, dans la magistrature, dans les écoles d'architecture ou de journalisme, elles fournissent jusqu'à 80 % des élèves. Surtout, le bastion masculin des mathématiques commence à être attaqué. Au bac S, 31 % des filles décrochent une mention bien ou très bien, contre 25 % des garçons. Ces deux dernières années, certains lycées qui proposent des classes préparatoires scientifiques aux grandes écoles ont même été obligés d'ouvrir en catastrophe des internats pour filles afin de faire face à la poussée de la demande.

 

"Ce mouvement de ciseau s'observe dans la plupart des grands pays, mais il est plus marqué en France qu'ailleurs, alors que le nombre d'élèves en difficulté a doublé en l'espace de dix ans", observe Eric Charpentier, spécialiste de l'éducation à l'OCDE. Le ministère de l'Education, dont les titulaires successifs n'ont cessé de déclarer la guerre à l'échec scolaire, reste muet sur le sujet. Dans l'école de la République, l'élève est asexué. "Nous en restons à l'état de constat. La réflexion sur le décrochage scolaire n'intègre pas la dimension du genre", explique dogmatiquement Anne Rebeyrol, chef de la mission prévention des discriminations et égalité filles-garçons au ministère de l'Education.

 

Huit dyslexiques sur dix sont des garçons

 

Reste que médecins, psychologues et pédagogues continuent de s'écharper sur les causes du phénomène dans des débats aussi acharnés que ceux qui opposaient les théologiens byzantins à propos du sexe des anges. Et l'on retrouve l'éternel débat entre l'inné et l'acquis. "Le cerveau n'a pas de sexe. Il n'y a aucune différence de capacité cérébrale entre les filles et les garçons", martèle Catherine Vidal, neurobiologiste et chercheuse à l'Institut Pasteur.

 

A la naissance, le cerveau compte 100 milliards de neurones, mais seulement 10 % des connexions neuronales sont finalisées. "Une plasticité du cerveau", selon l'expression de cette scientifique, qui dépend donc de l'environnement social, culturel, et des stimulations que l'enfant va recevoir de son entourage. Selon les psychologues, les petites filles, davantage stimulées pour parler que les garçons - dont on valoriserait plus l'action -, seraient donc mieux armées pour les travaux scolaires dès la petite enfance.

 

L'échec scolaire se conjugue au masculin

 

A cette thèse "extérieure", les médecins ajoutent une touche de génétique. Aujourd'hui, huit dyslexiques sur dix sont des garçons, et la proportion est presque identique concernant la dyspraxie visuo-spatiale, une pathologie encore peu connue mais qui entraîne également des troubles de l'écriture et de la lecture.

 

Une féminisation qui peut poser problème

 

Alors, doit-on remettre en cause la mixité ? "Oui, il faut que l'école revienne sur le mythe de la mixité en réservant des temps séparés dans la semaine pour des apprentissages différenciés selon les sexes", n'hésite pas à affirmer Jeanne Siaud-Facchin, psychologue et fondatrice des centres Cogito'Z, dédiés aux élèves en difficulté.

 

Dans les filières du supérieur, où les filles excellent aux concours écrits, écrasant les garçons, on commence à s'interroger sur les moyens d'attirer davantage d'étudiants mâles. "Et pourquoi ne pas rétablir des quotas ? Tout est ouvert", lance, un peu bravache, Jean-Paul Mialot, le directeur de l'Ecole nationale vétérinaire de Maisons-Alfort. Selon lui, la féminisation de cette profession poserait un problème d'organisation de la filière : "Les jeunes diplômées préfèrent exercer dans de gros cabinets de ville et délaissent les postes dans l'agroalimentaire et les abattoirs, où les besoins de vétérinaires sont importants."

 

Son collègue Jean-François Thony, le directeur de l'Ecole nationale de la magistrature (ENM), où 80 % des effectifs sont féminins, se pose, lui, des questions presque philosophiques : "La justice doit être rendue par des personnes qui représentent la diversité de la société." Il vient donc de mettre en place une mission sur la "parité" à l'ENM, qui doit rendre des propositions concrètes en juin. Comme si la féminisation de la justice mettait en péril l'harmonie de la société...

 

Par Béatrice Mathieu 



21/12/2010
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