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Revue de presse : Article dans Le Monde du 07/12/2010 : "Notre système éducatif est devenu dichotomique : soit on réussit, soit on échoue"

Dans un chat sur Le Monde.fr, Eric Charbonnier, responsable du classement PISA-France, souligne que depuis dix ans, le nombre d'élèves en échec scolaire dans notre pays a augmenté.  

Franck : Le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA), qui classe, tous les trois ans, les compétences des élèves à l'âge de 15 ans, dans les pays de l'OCDE (et des pays partenaires), est décrié par nombre d'enseignants. Selon vous, existe-t-il un biais statistique sur le déroulement de l'enquête dans les établissements ?

Eric Charbonnier : L'enquête PISA compare tout un ensemble de compétences et de connaissances des élèves à l'âge de 15 ans. La première étude a eu lieu en 2000, et pendant les premières années, il a fallu beaucoup d'énergie à l'OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques] pour démontrer qu'il n'y avait pas de biais statistique. Toutes les questions du test sont soumises à une vérification scrupuleuse. Les pays de l'OCDE avaient proposé 500 questions ; le test final n'en comprend que 80, qui ont toutes été vérifiées et qui n'ont pas de biais culturel.

 

Dodo : Quelles sont les principales failles du système éducatif français si on le compare à ceux des pays qui obtiennent de bons résultats au classement PISA ?

Le système français est un système élitiste qui a vu les inégalités scolaires se creuser depuis une dizaine d'années. Aujourd'hui, 20 % d'élèves sont en échec scolaire ; ils n'étaient que 15 % en 2000, ce qui montre une aggravation. Les pays qui réussissent bien dans PISA sont ceux où il y a peu d'échec scolaire.

 

Joséphine : Ces mauvais résultats sont-ils imputables aux méthodes d'enseignement ou aux élèves eux-mêmes, qui semblent peut-être moins investis qu'auparavant à l'école ?

Ce ne sont pas nécessairement les méthodes d'enseignement qui sont remises en cause, c'est davantage la pratique du redoublement. Aujourd'hui, en France, le programme scolaire est très long, et les élèves qui décrochent vont automatiquement redoubler. Le problème est bien là : les pays qui réussissent, au lieu de faire redoubler leurs élèves, mettent en place des stratégies pour lutter contre l'échec scolaire. Soutien personnalisé, aide aux devoirs, allocation des meilleurs enseignants dans les écoles difficiles, voilà des mesures qui fonctionnent bien.

 

Voltaire : Le problème n'est-il pas au primaire ? Dans les pays du nord de l'Europe, les effectifs sont inférieurs à 20 élèves par classe, avec remédiation très tôt pour les élèves en difficulté. La solution n'est-elle pas là ?

Ce qui ressort de l'étude PISA 2009, c'est que, en général, augmenter le salaire des enseignants est une politique plus efficace que réduire les tailles des classes. La Corée, le Japon, réussissent très bien avec plus de trente élèves par classe dans l'enseignement primaire. Le problème en France est davantage d'arriver à détecter les élèves en difficulté scolaire dès l'enseignement primaire, et de mettre en place des moyens pour qu'ils rattrapent leur retard.

 

Petit silence : Le niveau de sciences (mathématiques, etc.) du concours de recrutement des maîtres d'école est du niveau brevet élémentaire, cela ne vous paraît-il pas un facteur d'explication parmi beaucoup d'autres ?

Non, ce n'est pas un facteur d'explication. Les compétences académiques des enseignants en France sont bien souvent supérieures à ce qui existe dans les pays de l'OCDE. En revanche, la formation sur le terrain, l'utilisation de techniques pour transmettre le savoir ne tiennent pas une place assez importante dans la formation des maîtres. C'est davantage vers ce genre de réflexion qu'il faut se tourner.

 

Florian : Quels sont donc les raisons du faible niveau des jeunes Français ?

La France aujourd'hui peut être considérée comme un élève moyen parmi les pays de l'OCDE. Sa performance, qu'elle soit en compréhension de l'écrit, en mathématiques ou en sciences, se situe au niveau de la moyenne des pays de l'OCDE. Cependant, si l'on se concentre sur les mathématiques, on constate que la France était au-dessus de la moyenne des pays de l'OCDE en 2003, alors qu'aujourd'hui, elle n'est qu'à la moyenne. On peut donc parler de recul. Pour les sciences, comme pour la compréhension de l'écrit, il n'y a pas de changement significatif entre 2006 et 2009.

 

Mathieu : Les "économies" faites par le gouvernement en supprimant des postes d'enseignant ne finiront-elles pas par aggraver le niveau scolaire des élèves en France ?

Il est certain que toutes les réformes de l'éducation sont souvent plus efficaces quand elles sont faites au moins à budget constant, s'il n'est pas possible d'investir encore plus. Vouloir faire des réformes économiques en même temps que des réformes pour améliorer la performance peut faire perdre de l'efficacité à ces réformes, car elles influencent le climat de confiance entre les acteurs de l'éducation. Notamment les enseignants.

 

Xoff : A-t-on une possibilité d'évaluer l'impact de l'environnement familial dans cette étude ? Je suis étonné que les commentaires de cette étude ne ciblent que le système éducatif et pas l'environnement général de l'enfant (famille, société, etc.).

Il y a tout un volume de PISA qui est basé sur l'environnement familial des enfants. C'est le volume 2. Il met en avant, pour la France, que le milieu socio-économique des parents influence la performance obtenue à l'âge de 15 ans davantage que la moyenne dans les pays de l'OCDE. Certains Etats comme le Portugal ont d'ailleurs mis en place des réformes pour lutter contre l'échec scolaire, en proposant de nombreuses subventions aux familles issues de milieux défavorisés. L'équité est une caractéristique très importante qui est étudiée dans chaque étude PISA. En général, les pays qui réussissent bien dans PISA (Canada, Finlande, Corée, Japon) sont ceux qui parviennent à associer bonne performance et équité sociale.

 

Victor : Vous dites que le système français est élitiste. Quels sont donc les résultats des meilleurs élèves français par rapport aux autres très bons élèves étrangers ?

Oui, le système est élitiste car la proportion de bons élèves représente 32 % en France, contre 28 % pour la moyenne des pays de l'OCDE. Cela ne peut pas être considéré comme une critique du système d'éducation français, c'est plutôt une bonne chose d'avoir de très bons élèves. Cependant, ce qui est plus inquiétant, c'est que cette élite forte est aussi associée à une proportion de plus en plus grande d'élèves en échec scolaire. Le système français est devenu dichotomique : soit on réussit, soit on échoue.

 

Mathieu P. : L'enquête permet-elle d'observer des écarts entre régions françaises ?

L'enquête PISA a un volet sur les régions, mais la France n'y participe pas.

En revanche, les résultats par région montrent souvent de grandes disparités. C'est le cas entre l'Italie du Nord et l'Italie du Sud, entre la communauté flamande et la communauté francophone de Belgique, et même entre le Pays de Galles et l'Ecosse.

 

Franck : Le collège unique n'est-il pas une cause de l'échec scolaire des élèves ?

Non, on ne peut pas considérer que le collègue unique est un échec. Les pays où la différenciation scolaire se situe avant le collège sont souvent des pays avec de fortes inégalités sociales. La Pologne a réussi à améliorer ses performances en partie en créant un collège unique. Donc je ne crois pas qu'il faille supprimer le collège unique en France, il faut simplement améliorer son fonctionnement.

 

Franck : Y a-t-il un lien entre les mauvais résultats révélés par l'enquête PISA et la compétitivité de la France dans le monde ?

On ne peut pas forcément considérer que c'est la compétitivité qui explique les performances en France. Car au fond, ce sont les mêmes compétences qui sont analysées en 2000 et en 2009. On voit bien que c'est essentiellement l'augmentation des inégalités scolaires qui explique la performance en France. Certains pays se sont améliorés, comme l'Allemagne, la Pologne, le Portugal, et c'est en réformant leur système d'éducation. Et dans aucun de ces trois pays, la réforme n'a renforcé la compétitivité entre les établissements.

 

Florian : Pourquoi avoir choisi l'âge de 15 ans ? Est-ce un choix par défaut ou répondant à une logique quelconque ?

Il y a eu beaucoup de discussions à l'OCDE par rapport à l'âge de sélection. L'âge de 15 ans a été choisi, car c'est souvent un âge où on se retrouve au collège ou au lycée dans les différents pays, et où la sélection se fait également. A 15 ans, on peut vraiment évaluer toutes les connaissances et compétences que les élèves auront acquises durant les dix premières années de leur scolarité. C'est un bon âge pour faire ce bilan.

 

Inesil : Pourquoi les garçons sont-ils moins bons que les filles ?

C'est une question pour laquelle il est difficile de trouver une bonne explication. Cependant, les écarts entre garçons et filles en compréhension de l'écrit sont marqués dans tous les pays de l'OCDE. En moyenne, à l'âge de 15 ans, on peut considérer que les filles ont environ une année d'études d'avance sur les garçons. Il est aussi intéressant de constater que les écarts en mathématiques se sont également creusés, et que pour cette matière, ce sont les garçons qui réussissent mieux que les filles. C'est un mystère sur lequel beaucoup d'études ont été réalisées, mais pour l'instant, il n'y a pas forcément d'explication. Il y a simplement un constat qui se traduit aussi quand on regarde la représentation des filles et des garçons dans les différentes formations universitaires.

 

Levy : Dans ces études PISA, y a-t-il des comparaisons entre les résultats des écoles publiques et des écoles privées ?

Oui, il y a des comparaisons. Les performances des élèves sont meilleures dans les écoles privées que dans les écoles publiques. Cependant, si l'on retire l'effet du milieu socioéconomique, on constate qu'il n'y a pas d'écart de performances entre école publique et école privée. Cela veut dire que ce n'est pas la qualité de l'éducation qui est meilleure dans les écoles privées, c'est simplement qu'elles attirent plus de familles de milieux favorisés.

 

Jean-Marc : Dans beaucoup de cités scolaires, les grands perturbent les cours et font physiquement pression sur les élèves qui essayent de travailler. Qu'en pensez-vous ?

L'étude PISA n'analyse pas la violence à l'école. Elle observe juste l'existence ou la non-existence d'un climat de discipline à l'intérieur des classes. Il en ressort que ce climat de discipline s'est dégradé en France entre 2000 et 2009. Cela n'est pas surprenant, car durant la même période, la proportion d'élèves en échec scolaire a elle aussi augmenté. Là est bien le problème : les élèves qui savent qu'ils vont redoubler, comme les élèves qui n'arrivent pas à suivre durant les cours, deviennent indisciplinés.

 

Pi : Est-il possible de relier ces résultats aux tests 2009 à l'une des précédentes réformes ou modifications du système éducatif français (suppression de la carte scolaire, mise en place du socle commun...) ?

On peut dire que certaines réformes peuvent aller dans le sens des préconisations de l'OCDE : raccourcissement de l'année scolaire, aide personnalisée... Ce sont des réformes qui peuvent être efficaces pour lutter contre cet échec scolaire. Cependant, ces réformes sont souvent associées à des économies budgétaires, ce qui leur fait perdre leur efficacité. Prenons l'exemple du primaire : la semaine est passée de 26 à 24 heures, mais en la faisant passer de 4,5 jours à 4 jours, on n'a pas réglé le problème de la journée trop longue et trop fatigante pour les élèves. Et le soutien scolaire perd de son efficacité.

 

Mélanie : Quelles réformes de son système éducatif l'Allemagne a-t-elle engagées pour connaître une progression aussi importante dans le classement PISA ?

L'Allemagne a vécu en 2000 un véritable "PISA-choc" : sa performance était mauvaise et les inégalités sociales, colossales. Elle a donc mis en place différentes mesures pour permettre de diminuer cet effet du milieu socio-économique sur la performance. L'apprentissage de la langue allemande commence maintenant dès l'école maternelle et, dans l'enseignement primaire, des cantines scolaires ont été créées pour permettre aux enfants d'être scolarisés plus longtemps et pour que le système d'éducation prenne en compte leurs difficultés scolaires. Ces deux réformes ont permis à l'Allemagne de se situer aujourd'hui au même niveau que la France, c'est-à-dire au niveau de la moyenne des pays de l'OCDE.

 

Toto : Ne pensez-vous pas que certains pays, comme les pays d'Asie, ont de bons résultats grâce notamment à la mentalité respectueuse envers la hiérarchie ? Les résultats n'étaient-ils pas meilleurs en France lorsque la sévérité était de rigueur, chose qui s'est totalement perdue ?

Il est certain que le climat de discipline peut avoir une importance sur la performance. Cependant, ce n'est pas le facteur le plus important. En Corée, ce sont les continuelles évaluations et remises en question de la qualité du système d'éducation qui l'aident à évoluer. Dans les pays asiatiques, on a aussi beaucoup plus souvent recours aux cours privés, et ceci quel que soit le niveau économique des familles. Ce facteur explique que ces pays-là réussissent bien, mais cela ne signifie pas pour autant que ces méthodes pourraient être exportées en France.

 

Gérard : Les méthodes d'évaluation utilisées dans les écoles et les collèges français sont-elles réellement efficaces ?

On peut dire que certains pays de l'OCDE réussissent très bien sans avoir recours à la notation. Mais vous avez aussi des pays qui vont réussir avec des systèmes de notation. Ce qui compte, c'est que la notation soit aussi vécue par les élèves comme quelque chose qui peut les aider à être meilleurs. En France, la notation est souvent vécue comme une sanction. Il est important, si l'on veut développer de l'aide personnalisée, que le soutien qui sera apporté aux élèves ne soit pas vécu par ceux-ci comme une deuxième sanction. Le soutien scolaire doit encourager les élèves et les remotiver par rapport aux difficultés qu'ils ont.

 

Jeanne : Vous évoquez de nombreuses réformes possibles pour aller dans le sens de l'amélioration. Pourraient-elles être mises en place par un gouvernement (quel qu'il soit) dans une période de crise économique et sociale ?

Je crois que le sujet de l'éducation est un sujet de société important, et que les solutions, pour ce qui est du primaire et du secondaire, pourraient être les mêmes quel que soit le gouvernement en place. Il existe de nombreux rapports (le rapport Apparu, le rapport Descoings, le rapport Thélot, le rapport du Haut Conseil de l'éducation) proposant un ensemble de réformes qui pourraient améliorer le système d'éducation, et peut-être arriver à diminuer l'échec scolaire. Le diagnostic du système d'éducation français est bien connu depuis des années, il semble maintenant nécessaire non pas de le changer complètement mais de le faire évoluer. Et je crois qu'il y a tout un ensemble de mesures qui pourraient porter leurs fruits rapidement. L'exemple de l'Allemagne, de la Pologne, du Portugal, pour les pays proches de la France géographiquement, montre qu'il est possible d'améliorer les choses quand on décide d'agir sur les problèmes.

 

Chat modéré par Maryline Baumard

 



07/12/2010
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