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Revue de presse : Article sur www.cafepedagogique.net du 17/10/2011 : Cerveau : Les secrets de l'apprentissage

Comment font-ils pour apprendre ? se demande l'Inserm qui consacre un gros dossier téléchargeable aux découvertes des neurosciences. La revue s'intéresse à la mémorisation, un domaine où les neurosciences ont incontestablement fait avancer la connaissance et, dans une certaine mesure, les pratiques des enseignants. Le reste du dossier posera davantage de questions. Ainsi sur la focalisation sur les méthodes d'apprentissage de la lecture laissent dans l'ombre le principal critère de l'illettrisme qui est social. La revue est remarquablement bien mise en forme et vulgarise de façon efficace les travaux des chercheurs. On ne peut que la conseiller.

 

C’est la rentrée. Chaque jour, pendant 10 mois, les élèves vont apprendre. Des théorèmes

de géométrie, des règles de grammaire, et pour les plus jeunes, l’écriture et la lecture.

Comment font-ils ? Quels mécanismes permettent d’engranger tant d’informations

et surtout de pouvoir y accéder lorsqu’on en a besoin ? La mémoire joue ici un rôle essentiel. Mais d’autres fonctions cognitives entrent également en jeu. Quelles sont-elles ? Peut-on les améliorer et apprendre plus facilement ?

 

Les arcanes de la mémoire

 

 

Tout au long de notre vie, nous apprenons. Lors de la scolarité, l’apprentissage est

 

encore plus présent. Or, pour apprendre, il faut mémoriser. Comment cette mémoire fonctionne-t-elle ?

 

« C’est la mémoire qui fait toute la profondeur de l’Homme», disait Charles Péguy. Mais comment est organisée cette fonction qui nous permet de faire revenir à l’esprit un savoir, une expérience acquise antérieurement ? La mémoire n’est pas une entité unique. « On parle plutôt de systèmes de mémoires, définies en fonction de leur rôle », fait remarquer Francis Eustache, neuropsychologue au Laboratoire de Neuropsychologie cognitive et neuroanatomie fonctionnelle de la mémoire humaine, à Caen. Ainsi, la mémoire de travail, autrefois appelée « à court terme », permet de mémoriser un numéro de téléphone le temps de le composer. En parallèle, quatre autres systèmes interviennent dans le stockage des informations à long terme. La mémoire procédurale, elle, consigne tous nos savoir-faire : conduire une voiture, passer la tondeuse, faire du vélo… Quant à la mémoire déclarative, celle qu’on peut exprimer par le langage, elle regroupe deux autres systèmes. D’abord la mémoire épisodique qui renferme les souvenirs personnellement vécus : « Ma première leçon de piano, j’avais 10 ans et aucune envie d’y aller, mais j’y ai fait la connaissance d’une autre élève, devenue ma meilleure amie. » C’est cette mémoire qui est sollicitée quand on revit des expériences du passé… ou que l’on se projette dans le futur. Ensuite, la mémoire sémantique, qui compile les connaissances générales sur le monde : la France est en Europe, les roses ont des épines, l’eau mouille… « On se souvient rarement du contexte d’apprentissage de ce type d’informations », souligne Francis Eustache. En parallèle, la mémoire perceptive permet, par exemple, de reconnaître une forme plus rapidement si on l’a déjà vue auparavant.

 

 

Encoder, stocker… et récupérer

Trois étapes permettent de mémoriser des informations et surtout, de s’en rappeler : l’encodage, le stockage et la récupération. « Surtout, la mémoire se construit, insiste Francis Eustache. Et pour que la construction s’opère, pour que la mémoire soit fluide, il faut que l’on oublie beaucoup. »

Imaginons que vous venez d’assister à une réunion. Immédiatement après, vous vous souvenez que le dernier orateur n’avait pas de cravate, mais vous avez déjà oublié son nom. De plus, bien que vous n’ayez pas trouvé un intérêt particulier à son discours, et que vous soyez incapable d’en citer une phrase, celui-ci vous a changé. Vous avez appris des informations sans en avoir vraiment conscience. C’est alors qu’intervient la phase de stockage, celle qui vous permet de consolider les souvenirs. Allez-vous enregistrer de façon permanente toutes les informations entendues ? Non. « Plus ou moins volontairement, chacun va agréger d’une façon ou d’une autre ce qu’il a appris en fonction de ce qu’il connaît. Processus d’oubli, d’une part, et de sémantisation, d’autre part, sont alors à l’oeuvre : nous gardons en mémoire les éléments-clés, ceux qui renforcent nos croyances ou au contraire ceux qui les remettent en cause », précise Francis Eustache. Mais ces systèmes de mémoire ne sont pas étanches et la mémoire est loin d’être figée. Ainsi, des souvenirs très précis d’une ville, enregistrés suite à une visite, vont devenir au fil du temps des connaissances générales sur cette même ville, indépendamment du contexte qui a permis de les apprendre.

 

Julie Coquart

 

Comment notre cerveau apprend ?

 


Renfermant une centaine de milliards de neurones, notre cerveau est le centre de contrôle de notre organisme et le siège de toutes les fonctions cognitives. Il permet, entre autres, d’acquérir

de nouvelles connaissances et de les réutiliser.

Mais comment fait-il ?

 

Notre cerveau est constitué de la substance blanche, composée d’une multitude de fibres nerveuses, les axones, reliant les différentes régions cérébrales, et de la substance grise, composée des corps cellulaires des neurones qui communiquent grâce aux synapses. Toutes deux présentent une certaine plasticité : les circuits cérébraux sont donc capables de se remodeler sous l’effet de l’expérience. Plus on apprend, plus il y a de connexions synaptiques qui s’établissent entre les neurones et plus ces synapses se renforcent. Les signaux sont ainsi transmis encore plus rapidement et plus efficacement. La substance grise se développe quant à elle avec la création de nouvelles synapses et même de nouveaux neurones dans certaines régions du cerveau comme l’hippocampe. Ces synapses utilisent comme neurotransmetteur le glutamate, qui se fixe sur des récepteurs spécifiques au niveau du neurone post-synaptique, les récepteurs AMPA. Mais, lorsque la stimulation est forte ou répétée et que la concentration de glutamate libéré est importante, d’autres récepteurs du glutamate entrent en action, les récepteurs NMDA. L’activation de ces derniers déclenche l’entrée d’ions calcium dans le neurone post-synaptique. S’en suit une cascade de réactions chimiques aboutissant à l’expression de certains gènes qui permettent la synthèse de protéines nécessaires à la modification des connexions entre les cellules nerveuses. Serge Laroche et son équipe du Centre de neurosciences Paris-Sud à Orsay ont identifié certains de ces gènes, dont zif268. En inactivant

celui-ci chez des souris, ils ont constaté que les petits rongeurs ne pouvaient pas retenir les informations apprises plus de quelques heures. En réalité, zif268 permettrait de stabiliser les modifications synaptiques et serait essentiel à la consolidation mnésique, c’est-à-dire

à la mémorisation à long terme.

 

 

Récemment, de nombreux travaux se sont accumulés en faveur d’un rôle actif d’un autre acteur de la plasticité cérébrale : les cellules gliales, et notamment des astrocytes, en forme d’étoiles.

 

Des modifications durables

Stéphane Oliet et son équipe du Neurocentre Magendie à Bordeaux ont découvert qu’un acide aminé libéré par les astrocytes, la d-sérine, était nécessaire à l’activation des récepteurs NMDA, eux-mêmes indispensables au phénomène de plasticité synaptique et au maintien à long terme de ces modifications. À un niveau plus structurel, l’hippocampe jouerait lui aussi un rôle dans cette « consolidation mnésique » qui se déroule au cours de phases de repos ou de sommeil. L’hippocampe trie les informations pertinentes, pour les mémoriser.

Ensuite, celles-ci sont stockées de façon durable dans différentes zones du néocortex. Édith Lesburguères et Bruno Bontempi, à l’Institut de maladies neurodégénératives à Bordeaux, ont précisé comment s’instaurait ce « dialogue ». Selon eux, l’hippocampe relèverait les « adresses » des réseaux de neurones impliqués dans la formation d’un souvenir. Il les utiliserait ensuite pour réactiver de façon répétée ces réseaux, permettant ainsi le renforcement des connexions neuronales et la formation d’un souvenir durable et stable.

Cette « plasticité synaptique » est donc essentielle à l’apprentissage car elle permet de conserver, dans un réseau de neurones, la trace d’un chemin spécifique à un souvenir ou à une information apprise. Ainsi, apprendre modifie la structure de notre cerveau, et ces modifications conduisent à l’amélioration de nos performances.

Un phénomène qui s’opère tout au long de notre vie.

 

Yann Cornillier

 

Apprendre à apprendre

 

 

Comment perfectionner notre capacité à améliorer nos connaissances ? En s’appuyant sur les trois piliers de l’apprentissage, répondent les chercheurs : attention, inhibition, motivation. Démonstration.

 

De quelle façon peut-on ancrer de nouvelles informations dans sa mémoire ? Premier élément de réponse : on se souvient d’autant plus d’une information que l’on retrouve au moment où on en a besoin des indices similaires aux conditions dans laquelle on l’a apprise. « Savoir de quelle manière on va être interrogé peut conditionner la façon dont on apprend une leçon », détaille Francis Eustache. Ainsi, dans le cadre des examens par exemple, si un étudiant sait qu’il va être interrogé sous forme de questionnaire à choix multiples, il aura tout intérêt à ordonner ses cours sous la même forme. « Mais un traitement profond, c’est-à-dire sémantique, permet d’ancrer l’info de façon plus pérenne », précise le chercheur. En effet, la vitesse à laquelle les informations sont oubliées est fonction de la façon dont elles ont été encodées. Premiers à disparaître, les souvenirs sensoriels, comme les odeurs. Pour s’en convaincre, il suffit de penser à une halte dans une parfumerie, où l’on veut tester plusieurs parfums. Généralement, il faut humer plusieurs fois une essence pour pouvoir la

comparer aux autres. Il est donc très difficile de retenir une nouvelle odeur. « À l’inverse, nuance Béatrice Desgranges, neuropsychologue dans le même laboratoire que Francis Eustache, les odeurs que l’on connaît très bien ont un fort pouvoir évocateur. » Marcel Proust,

avec ses madeleines, ne dira pas le contraire.

Viennent ensuite les souvenirs passés par le filtre du codage lexical. Dans une expérience où des participants doivent apprendre un texte, on vérifie leur mémoire en leur faisant comparer des phrases exactes du texte à des phrases transformées, dans lesquelles certains termes ont été remplacés par leurs synonymes, comme « bateau » par « voilier ». « Au-delà d’une semaine, la mémoire lexicale, celle des mots, n’est plus fiable, rapporte Alain Lieury, ancien directeur du laboratoire de psychologie expérimentale de Rennes. Mais les idées ont cependant été retenues. » Les images mettent plus de temps à être oubliées. Quant aux informations sémantiques, porteuses du sens donc, elles résistent plus longtemps aux charmes de Léthé, la déesse grecque de l’oubli.

De plus, si l’on est amené à retenir une grande quantité d’informations, il est essentiel d’étaler les périodes de mémorisation dans le temps. Ménager des temps de repos entre les phases d’apprentissage permet aux informations nouvelles d’être consolidées. Les séances de bachotage intensif jusqu’à des heures tardives ne sont donc pas efficaces sur le long terme.

 

Attention

Pour Jean-Philippe Lachaux, neurobiologiste au Centre de recherche en neurosciences de Lyon, la condition principale d’un bon apprentissage reste l’attention. Mais comment faire attention à son attention ? Il est en effet bien difficile de la définir, sauf par exclusion : tout le monde sait ce que cela signifie de ne pas faire attention ! Le chercheur invite ainsi chacun à mener sa propre introspection et à identifier les facteurs distrayants, ceux qui justement détournent notre attention. Dans son livre, Le cerveau attentif, Jean-Philippe Lachaux raconte ainsi une expérience menée dans son laboratoire. Des volontaires avaient pour mission de retenir les mots qui s’inscrivaient sur un écran d’ordinateur, mais seulement s’ils étaient en vert. Dans l’expérience, des mots rouges s’intercalaient entre les mots verts, apparaissant suffisamment longtemps pour que les participants puissent les lire. Ces derniers devaient ensuite raconter l’histoire énoncée par les mots verts. En général, aucun problème. Mais lorsqu’il s’agissait de raconter celle décrite par les mots rouges, ils en étaient incapables. L’expérience montre ainsi à quel point l’attention ne peut être focalisée que sur un seul objet, et qu’elle inhibe ainsi la prise en compte de tout autre stimulus. « L’attention est un bien rare et précieux, elle ne peut

être partout à la fois », explique le chercheur. C’est d’ailleurs bien ainsi que Jean-Philippe Lachaux la définit : par la mise de côté des autres objectifs qui pourraient parasiter la tâche du moment. Un exercice difficile à mettre en oeuvre, car cela demande « de se faire confiance, de passer une sorte de contrat avec soi-même ».

On accepte de focaliser son attention sur un seul but, à l’exclusion de tout autre, comme penser à une liste de courses, aux mails en attente, à ce bourdonnement de mouche dans la pièce. Mais cet état attentif ne peut durer très longtemps. Un conseil ? Relever la tête de la tâche du moment, sortir de sa bulle, comme pour respirer et vérifier que rien d’autre ne mérite notre attention, puis… s’y replonger.

 

Inhibition

Quant à Olivier Houdé, professeur de psychologie à l’Université Paris-Descartes et titulaire de la chaire de Sciences des apprentissages à l’Institut universitaire de France, il va encore plus loin. Au-delà de la simple focalisation de l’attention, l’inhibition doit aussi être mise en oeuvre lors d’apprentissage. S’inspirant des travaux de Piaget, le psychologue, l'ancien instituteur,

a développé une nouvelle théorie sur le développement cognitif des enfants. Contrairement à Piaget qui énonçait que ce développement passait par différents stades, Olivier Houdé considère que les enfants possèdent, à chaque âge, différentes stratégies cognitives. Et selon

leur âge, ils en utilisent une préférentiellement. Ce qui peut les conduire à donner des réponses erronées. Il s’agit alors de leur apprendre à inhiber la stratégie inadéquate pour utiliser

celle qui est la plus propice à la situation. Grâce à ses recherches, Olivier Houdé a réussi à mettre en évidence ce qui se passe dans le cerveau lorsqu’une stratégie est inhibée. L’expérience consistait, par exemple, à présenter deux rangées d’objets placés en correspondance un à un, en nombre identique et à demander à des enfants s’il y en avait le même nombre. À cette étape de l’expérience, la plupart des enfants répondent correctement oui. Ensuite, les objets de la rangée du dessous sont espacés, mais sans que leur nombre soit changé. Lorsqu’on demande à nouveau aux enfants d’indiquer s’il y a ou non le même nombre d’objets, ceux de moins de 7 ans répondent généralement « non ». Ils se fondent, pour

répondre, sur la stratégie « longueur égale nombre ». Les plus âgés, eux, parviennent à inhiber cette réponse automatique, et à choisir l’algorithme de quantification exacte. Grâce à l’IRMf, Olivier Houdé a mis en évidence la reconfiguration cérébrale qui s’opère chez les enfants selon la situation : « Lorsqu’ils inhibent la stratégie " longueur égale nombre ", on observe l’émergence d’un nouveau réseau pariétal et préfrontal, siège des fonctions exécutives. »

 

Motivation

Et si le plus important pour mieux apprendre, ce n’était pas tout simplement la motivation ? Dans ces derniers travaux, Mathias Pessiglione, neuropsychologue au Centre de recherche en neurosciences de la Pitié-Salpêtrière, a  ainsi montré le rôle des récompenses financières dans l’apprentissage moteur. Dans l’expérience mise en oeuvre, les participants devaient appuyer sur trois des cinq touches à leur disposition de façon simultanée. Le choix des trois touches était indiqué par une image sur un écran d’ordinateur. Pour chaque combinaison

de touches, une motivation financière de 10 euros ou 10 centimes, était associée. Et le résultat est sans appel : plus la récompense associée était élevée, plus les participants apprenaient rapidement à exécuter la tâche. Le plus surprenant dans cette expérience ? Les volontaires

n’étaient pas conscients de la somme associée à chaque tâche : ils voyaient juste leur cagnotte augmenter progressivement.

Comment transposer ces constatations à l’apprentissage scolaire ? « Les bons points, les félicitations ou les encouragements obtenus après un effort pourraient faciliter l’apprentissage à l’école, comme dans notre expérience », suggère Mathias Pessiglione.

Et le sport alors ? Ne recommande-t-on pas de pratiquer une activité sportive régulière pour améliorer ses performances ? Et c’est avec raison. En effet, au cours d’une activité physique, la sécrétion d’une molécule, la brain-derived neutrophic factor (BDNF), augmente. Or, elle joue un rôle dans la plasticité synaptique, dans la croissance neuritique et la synaptogenèse, dans la maturation et la survie des nouveaux neurones, en particulier dans l’hippocampe. « Bien que ces résultats aient été observés chez l’animal, la communauté scientifique a tendance à les considérer comme applicables à l’homme », confirme Serge Laroche.

 

Julie Coquart

 

Le cerveau n’est pas un muscle, mais peut-on quand même l’entraîner ?

Surfant sur la peur que provoque la maladie d’Alzheimer, de nombreux programmes proposent d’entraîner son cerveau, voire de faire rajeunir son âge cérébral. Info ou intox ?

Pour Alain Lieury, il s’agit de supercherie. En effet, une expérience menée avec des enfants d’âge scolaire n’a pas montré d’amélioration dans les matières scolaires chez les jeunes ayant suivi ce type d’entraînement par rapport à ceux qui s’étaient adonnés aux jeux du style Journal de Mickey. Si l’on constate une amélioration des scores à ce type de jeux sur console, elle serait uniquement due à un effet d’habituation. Francis Eustache n’est pas aussi catégorique. «

 

Les mots fléchés, également mis en avant pour entretenir son cerveau existaient avant l’arrivée de ces programmes. » Sa critique porte plus sur le marketing à outrance qui peut aller jusqu’à la tromperie. « Il ne faut pas y jouer trois heures par jour, en espérant améliorer sa mémoire ou sa capacité de raisonnement au détriment des relations sociales. Ces dernières, par leur complexité, et la nécessité qu’elles impliquent de se mettre à la place de l’autre, sont tout autant importantes dans le maintien des fonctions cognitives. »

 

Dormir pour mieux apprendre

Mémoriser, c’est sélectionner des informations à enregistrer et en oublier d’autres. Les travaux menés par Géraldine Rauchs et Pierre Maquet de l’université de Liège (Belgique) ont montré

l’importance du sommeil dans ce processus de sélection. Les participants de l’expérience devaient retenir ou, au contraire, oublier certains mots qui leur étaient présentés. La moitié du groupe était ensuite privée de sommeil la première nuit après l’apprentissage.

Trois jours plus tard, des tests montraient que les sujets n’ayant pas pu dormir avaient retenu autant de mots à mémoriser que les sujets ayant dormi, mais avaient aussi mémorisé plus de mots qu’ils avaient pour consigne d’oublier. Sans sommeil, le tri entre les informations

pertinentes et celles qui ne le sont pas ne s’est pas fait correctement.

Cette expérience confirme l’importance du sommeil dans la consolidation des souvenirs. De plus, l’IRMf a montré que l’activation de l’hippocampe lors de l’apprentissage différencie les mots qui

seront retenus de ceux qui seront oubliés au cours du sommeil.

Un résultat qui concorde avec ceux d’Edith Lesburgères.

 

Lire et écrire : Rien que du plaisir ?

 

Lire et écrire nous semblent des activités automatiques. Pourtant, les principes et les

mécanismes qui les sous-tendent sont loin d’être simples. Comment les enfants parviennent-ils à les maîtriser ? Et peut-on leur simplifier la tâche ?

 

 

Vous ne vous en rendez pas compte, mais à l’instant même, vous faites quelque chose d’extraordinaire. Si, si. Vous lisez. Or, cette opération n’a rien de simple. Elle implique en effet de faire correspondre des symboles écrits avec du sens. Mais pour cela, il faut passer par le « son », car les lettres représentent les sons de la parole. C’est en effet le principe des systèmes d’écriture alphabétique, comme le français. Apprendre à lire signifie que l’on comprend cette règle. Une première étape se caractérise donc par une procédure de lecture phonologique : autrement dit, traduire la séquence de lettres d’un mot lu en une séquence de sons correspondants. Pour Johannes Ziegler, du laboratoire de Psychologie cognitive d’Aix-Marseille, « ce décodage phonologique est le mécanisme essentiel de l’apprentissage de la lecture, permettant de récupérer en mémoire la forme sonore des mots dont l’enfant connaît déjà la signification. » Et point besoin de lire à haute voix : même lors de la lecture silencieuse, cette « musique des mots » est activée.

La preuve ? Lors d’une expérience, des pseudomots - une suite de caractères ressemblant à un mot réel mais n’ayant pas de signification - sont présentés sur un écran aux enfants. Ils doivent alors préciser si le mot existe en français ou pas. Or, ils mettent plus de temps à rejeter un pseudo-mot produisant le même son qu’un mot réel, comme « balaine », qu’un pseudo-mot comme « baloine ». Ce délai indique que la forme phonologique de « baleine » a été repérée, mais qu’il faut ensuite réaliser que l’orthographe n’est pas la bonne. La présence de cette petite voix qui résonne lors de la lecture rejoint les résultats des recherches de Stanislas Dehaene, qui dirige l’unité de Neuroimagerie cognitive du centre Neurospin à Gif-sur-Yvette. Le chercheur s’intéresse en effet aux bases neurologiques de la lecture dont l’apparition est très récente au regard de l’âge de l’humanité. Sur quels réseaux de neurones s’appuie cette capacité ?

 

Recyclage cérébral

Stanislas Dehaene et Laurent Cohen, neuropsychologue au Centre de recherche en neurosciences de la Pitié-Salpêtrière à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM), ont regardé directement dans notre cerveau. Ou presque. Grâce à l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) qui permet de visualiser, quasiment en temps réel, quelles zones du cerveau sont activées, les chercheurs ont montré que celui-ci est un adepte du recyclage. Hé oui, dans la zone occipitale gauche, les réseaux de neurones spécialement dédiés à la reconnaissance des visages et des objets se convertissent à la reconnaissance des mots ! Le cortex visuel se réorganise donc, par compétition entre une nouvelle activité - la lecture - et les activités plus anciennes de reconnaissance des visages et des objets. Cette zone spécialisée du traitement des lettres projette ensuite vers les zones dédiées au langage parlé…

Encore du recyclage ! Le nouveau lien entre lecture et parole devient si fort que l’apprentissage de la lecture modifiera même le traitement de la parole dans le cortex auditif (hémisphère gauche). La lecture agit comme un virus : une fois attrapé, le langage n’est plus le même !

 

Apprendre à lire autrement

L’apprentissage de la lecture repose donc sur la mise en relation de la graphie et de la phonie : ceci passe par un couplage entre des unités visuelles et leurs correspondants phonologiques. « Que ce soit de façon explicite ou implicite, l’enfant doit apprendre que les groupes de lettres correspondent aux sons de la langue parlée », explique Johannes Ziegler. La vitesse

d’apprentissage dépend ainsi de l’efficacité et de l’automatisation de ce couplage. Pour le chercheur, « la conscience phonologique est le meilleur prédicteur de la facilité à apprendre à lire ». Or, chez les enfants dyslexiques, c’est justement ce qui pose souvent problème. Julie Chobert, doctorante dans l’équipe Langage, musique et motricité de l’Institut de neurosciences cognitives de Méditerrannée, a fait l’hypothèse que l’apprentissage de la musique pourrait remédier aux difficultés rencontrées par les dyslexiques, en développant leurs capacités à traiter les sons. Ainsi, 70 élèves de CE2 ont participé au programme MusapDys. Au bout de deux

ans, les résultats sont là : les enfants dyslexiques ayant bénéficié d’un apprentissage musical ont amélioré leur capacité à traiter les sons. Tout comme les normo-lecteurs !

Et si l’apprentissage de l’écriture se faisait à l’aide d’un clavier ? Quelles seraient les conséquences sur la lecture ? Une question d’actualité puisque l’usage des nouvelles technologies se répand et se démocratise. Jean-Luc Velay, chercheur dans le même institut à Marseille, a donc comparé l’apprentissage traditionnel de la lecture/écriture et celui avec un clavier. Le chercheur et son équipe ont fait apprendre à des enfants, âgés de 33 à 57 mois, 12 lettres écrites en majuscules dont l’image en miroir est différente de la lettre elle-même.

Un premier groupe se voyait présenter les lettres sur une feuille de papier et devait les reproduire à la main. Pour le second, les lettres apparaissaient sur un écran et ils devaient les reproduire à l’aide des touches d’un clavier. Après trois semaines d’apprentissage, les enfants devaient reconnaître ces mêmes lettres parmi des distracteurs (autres lettres, image miroir des lettres). Et le résultat est sans appel : ceux qui avaient suivi l’enseignement manuscrit étaient meilleurs. Ils se trompaient moins dans la distinction entre une lettre et son image en miroir. L’écriture manuscrite semble donc contribuer à une meilleure mémorisation des caractères. Mais le chercheur ne rejette pas pour autant l’usage du clavier : « Si l’écriture manuscrite enrichit la représentation des caractères et facilite leur reconnaissance chez la majorité des enfants, elle pourrait produire l’effet inverse chez ceux qui, pour des raisons diverses, ont des difficultés à effectuer les mouvements fins et précis imposés par l’écriture. Dans ce cas, l’usage du clavier, beaucoup plus simple au plan moteur, associé à l’ordinateur pour lequel les enfants manifestent un engouement prononcé, pourrait constituer une étape pour préparer le passage à l’écriture manuscrite. »

 

Lire, écouter… toucher

Ces résultats rejoignent les recherches menées par Édouard Gentaz, au Laboratoire de psychologie et neurocognition de Grenoble. Le chercheur explore en effet l’avantage d’un apprentissage faisant intervenir plusieurs modalités sensorielles, permettant d’associer plus facilement la forme d’une lettre au son correspondant.

Une des difficultés de l’apprentissage de la lecture réside en effet dans le travail d’élaboration des connexions entre les représentations orthographiques des lettres et les représentations phonologiques. Le lien entre la lettre traitée visuellement et le son traité auditivement serait difficile à établir. Lors de l’apprentissage multimodal, les élèves de grande section de maternelle sont invités à suivre des doigts le contour d’une lettre en relief (graphème) qu’ils apprennent, afin de bien identifier sa forme et le son (phonème) correspondant. Tandis qu’un autre groupe suit un apprentissage classique associant seulement la vision d’une lettre et le son qui lui correspond. Au bout de plusieurs semaines, les enfants ayant suivi l’entraînement visuo-haptique (qui concerne à la fois la vision et le toucher) lisent deux fois plus de pseudo-mots que ceux ayant suivi l’entraînement classique. « Les enfants ne peuvent les lire que s’ils ont

compris le principe de la représentation des sons par les lettres », explique Édouard Gentaz. Le toucher agirait ainsi comme un ciment pour renforcer l’association audition (son de lettre)-vision (forme de la lettre).

 

Julie Coquart

 

Dyslexie : quand la lecture ne se laisse pas apprivoiser

 

La dyslexie se caractérise par des difficultés spécifiques d’apprentissage de la lecture : son diagnostic ne peut être posé que si on constate un retard de 18 mois entre l’âge réel et l’âge de

lecture. Touchant 10 % de la population, la dyslexie aurait des bases génétiques : un enfant aura plus de risques de souffrir de dyslexie si des membres de sa famille en sont déjà atteints. Elle se traduit par une lecture lente, hésitante, des inversions de lettres comme « b » et « p », des difficultés de compréhension…

Alors que plusieurs formes cliniques sont décelées, mettant en cause soit la conscience phonologique, soit le mécanisme visuo-attentionnel, cette capacité à appréhender les lettres qui entourent celle sur laquelle le regard est posé, la communauté scientifique a mis en évidence deux types d’anomalies cérébrales. D’une part, une atteinte des aires du langage de l’hémisphère gauche, la plus fréquente. Et d’autre part, un dysfonctionnement au niveau du cervelet, cette petite zone du cerveau impliquée dans le contrôle des mouvements. Aux

troubles d’apprentissage de la lecture s’ajoutent en effet parfois des troubles de coordination motrice. Très active, la recherche sur la dyslexie explore différentes pistes, avec comme objectif

d’améliorer les techniques de remédiation qui existent déjà.

 

Les nouvelles technologies modifient-elles la lecture ?

 

De plus en plus, les nouvelles technologies permettent de lire sur d’autres supports que le papier. La lecture sur écran, et notamment sur Internet, modifie-t-elle notre façon de lire ?

« Assurément », d’après Thierry Baccino, professeur de psychologie cognitive et ergonomique et directeur scientifique du laboratoire des usages en technologies d’information numérique. Le chercheur va même jusqu’à comparer la révolution actuelle à celle qui s’est produite lorsqu’au VIIIe siècle, ont été introduits les espaces dans l’écriture jusqu’alors continue.

L’une des caractéristiques de la lecture sur écran est de pouvoir faire défiler le texte grâce à la barre de défilement. Or, au cours de la lecture classique, un codage spatial intervient, qui permet de mémoriser où se trouve un terme : cela permet de le retrouver et d’y revenir si

besoin. Or, avec le défilement du texte, cette tâche devient plus difficile. De plus,

la profusion des liens hypertextes et la multiplicité des médias peuvent conduire

le lecteur à une situation de désorientation cognitive. En cliquant à chaque fois sur

un nouveau lien, le lecteur s’égare dans l’architecture globale du document jusqu’à

perdre l’objectif de sa lecture !

 



17/10/2011
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