Revue de presse : Article dans l'Express du 12/03/2010 : Enseignants - le bizutage permanent
On les dit déprimés, jamais contents, grévistes, rétifs au changement. A force de les entendre râler, on ne les écoute plus. Et pourtant: si les profs avaient, vraiment, de bonnes raisons de se plaindre?
Murielle enseigne le français. Elle a commencé sa carrière dans les années 1980, puis s'est mise en disponibilité pour suivre son mari à l'étranger. En septembre 2008, elle reprend le chemin de l'Education nationale. Le choc est rude.
"Dans mon collège, certains élèves consomment du haschich et de l'alcool. Prendre des notes les fatigue. Ils bavardent sans cesse. Ils refusent d'appliquer le pluriel pour les noms et les verbes, car ils ne voient pas "à quoi ça sert".
Dans une de mes classes de troisième, j'ai un gamin caractériel, capable de se lever brusquement de sa chaise, de se mettre à beugler, et l'instant d'après de se jeter sur moi pour me dire qu'il m'aime... Les parents me demandent de cesser de leur écrire dans le cahier de correspondance car "ils n'ont pas besoin de ça" quand ils rentrent le soir du travail. Mon métier? Accompagner la décadence...", soupire cette femme énergique.
Précision: Murielle est professeure dans la très chic banlieue parisienne de Saint-Cloud, pas au fin fond du 9-3...
Les abandons en début de carrière augmentent
Les enseignants souffrent. Ce 12 mars, une intersyndicale réunissant huit organisations du second degré, dont le Snes-FSU, premier syndicat des collèges et lycées, appelle à une journée d'action nationale. La grogne se focalise sur les suppressions de postes (16 000 supplémentaires à la rentrée 2010) et la réforme du lycée, dont les modalités ne sont pas encore toutes connues. A ces revendications classiques s'ajoutent des préoccupations nouvelles, liées aux mutations de leur travail.
La principale concerne les premiers pas dans le métier des "néotitulaires". La réforme de la formation des maîtres, dite "masterisation", sera effective dès septembre 2010. Mais les syndicats jugent encore "floues" les conditions de son application. Jusqu'alors, après le concours, les stagiaires partageaient leur temps entre les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), dans lesquels ils suivaient des cours, et les établissements, où ils n'enseignaient que huit heures par semaine.
Dorénavant, les bleus de l'Education seront recrutés à bac + 5, et auront la responsabilité d'une classe à temps plein dès la rentrée. La première année d'exercice, pourtant très périlleuse, ne sera pas organisée par le ministère, mais par les recteurs et les chefs d'établissement. Un prof expérimenté jouera les tuteurs, sur le principe du compagnonnage. Mais, dès la Toussaint, il devrait se retirer.
L'idée effraie. "En envoyant les profs stagiaires devant des classes sans aucune préparation, le gouvernement institutionnalise le bizutage des futurs enseignants", attaque le Sgen-CFDT, plutôt modéré. "Certains profs de lycée et collège vont se retrouver face à une classe sans avoir jamais vu un élève de leur vie, puisque les stages ne sont pas obligatoires pour être recruté, souligne Gilles Baillat, président de la Conférence des directeurs d'instituts universitaires de formation des maîtres (CDIUFM). Le choc de la pratique va être particulièrement violent, surtout en banlieue. Beaucoup risquent de démissionner."
Le statut séduisant de la fonction publique attire toujours autant, mais le nombre d'abandons en début de carrière augmente. Mickaël Fonton, 31 ans, a jeté l'éponge au bout de deux mois...
En septembre 2009, le concours obtenu, il entame sa formation à l'IUFM, tout en enseignant les sciences physiques à cinq classes de quatrième, dans un collège de zone sensible de Vitry-sur-Seine. Il déchante vite. "J'avais la vocation pour instruire, pas pour être gardien de zoo, raconte-t-il. Les élèves étaient d'un niveau consternant, mais pas méchants, juste pénibles.
Sans doute pour me rassurer, une de mes jeunes collègues m'a raconté que, la première année, elle pleurait tout le temps, en classe, chez elle, dans sa voiture, dans le bureau du principal. Et qu'après quelques rentrées, tout est allé beaucoup mieux. Mais quel est le métier dans lequel on subit cela ? Nageur de combat ? J'ai compris que, si je restais, j'allais déraper..."
Et ce ne sont pas les salaires qui offrent une compensation. Avec 1 350 euros net par mois environ, beaucoup de néotitulaires, surtout en région parisienne, vivotent. Ou même pire, comme le démontre le cas de Sarah, enseignante à Montreuil et SDF.
Conscients du risque de paupérisation de certaines de leurs jeunes recrues, les rectorats de Versailles et de Créteil ont même créé des chèques-alimentation et hébergement. D'un montant global de 200 euros (10 chèques de 20 euros), ces bons sont distribués aux nouveaux arrivants en Ile-de- France qui n'ont pas encore trouvé où et comment se loger. Dans certaines des communes les plus difficiles de Seine-Saint-Denis, une aide au logement de 6 000 euros (2 000 euros par an) est versée à ceux qui acceptent d'habiter sur place durant au moins trois ans.
"Le burn out" des enseignants
La fin de parcours n'est guère plus rose. La souffrance au travail frappe de plein fouet les enseignants. Une enquête menée par le SE-Unsa auprès de 5 000 d'entre eux établit que 41 % indiquent avoir eu des problèmes de santé au cours de leur carrière dus, pour 70,5 % d'entre eux, à l'exercice de leur métier. En tête des troubles subis viennent le stress (28,2 %) et la dépression (18,2 %). "Les profs sont particulièrement touchés par ce que l'on nomme le "burn out", que l'on peut traduire par "brûlure intérieure", souligne José-Mario Horenstein, psychiatre à la MGEN. Il s'agit d'un état d'épuisement émotionnel, qui se traduit par une attitude défensive, voire cynique, par rapport à son travail et à ses collègues, assorti d'une forte irritabilité et d'un désinvestissement.
Ce genre de comportement fait vite tache d'huile dans un établissement et déteint sur les élèves, eux-mêmes victimes de nouvelles pathologies mentales et émotionnelles." Hier, l'élève difficile était souvent renfermé, isolé au fond de la classe. Aujourd'hui, il est bruyant, extériorise tous ses sentiments et passe à l'acte. Combinés, les deux mal-être créent un cocktail explosif.
Face à ces difficultés, l'Education nationale tente de réagir. La lutte contre la violence a été érigée en priorité, avec la tenue, dès le 15 mars, d'états généraux menés par le spécialiste du sujet, Eric Debarbieux.
Des négociations sur les revalorisations salariales, annoncées pour fin janvier et retardées, devraient être menées par Luc Chatel. Le ministre de l'Education nationale, ancien directeur des ressources humaines de L'Oréal, se dit particulièrement sensible à l'amélioration de la qualité de vie au travail. Les profs attendent ses prescriptions. Avec anxiété.
Par Laurence Debril
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