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Revue de presse : Article dans Le Figaro du 05/01/2010 : Ces mots qui disent les maux de l'école

Ces mots qui disent les maux de l'école

Natacha Polony

«Accompagnement», «sanctuarisation» : les expressions à la mode révèlent les clivages idéologiques. Abécédaire de l'enseignement en 2010.

Comme toutes les administrations, mais sans doute plus encore que toutes les autres, l'Éducation nationale développe son langage propre. Il se décline dans les textes officiels et les déclarations des politiques comme dans les articles de presse ou les réflexions des chercheurs en sciences de l'éducation, jusqu'à parfois ressembler à la novlangue de George Orwell, ce principe de réduction du vocabulaire pour manipuler les esprits. Les mots suivent la mode et, comme elle, nous disent quelque chose de l'époque. Voici donc les mots qui racontent l'année nouvelle ; voici décryptés leur histoire, les clivages qu'ils révèlent et ce qu'il nous disent de l'avenir de l'école.

Expérimentation

«Défenseur des expérimentations», telle était la fonction que voulait créer Martin Hirsch, haut-commissaire à la Jeunesse, après que son projet de cagnotte pour lutter contre l'absentéisme eut suscité polémiques et réprobations. «La notion d'expérimentation, qui jusque-là était interdite, est maintenant autorisée, financée, médiatisée parfois trop», déclarait-il devant le congrès de l'UNETP (Union Nationale de l'Enseignement Technique Privé), à Paris, le 19 octobre 2009, avant d'ajouter : «Beaucoup d'expérimentations sont orphelines. Sans faire une structure, il faut faire quelque chose, une couveuse d'expérimentations par exemple qui puisse faire du lobbying, aller devant l'Assemblée nationale pour les défendre… Tout cela est à construire.» La notion d'expérimentation rejoint celle de «terrain». Tous les politiques qui s'intéressent aujourd'hui à l'école se réclament de ce mot déjà longtemps porté par les nouveaux pédagogues. Car dans une administration perçue comme affreusement centralisée et scandaleusement conservatrice, l'expérimentation, c'est - enfin - la mort des idéologies et l'adaptation aux «réalités». C'est ce qui vient d'une base remotivée et impliquée et non plus d'en haut. Jean-Michel Blanquer, ancien recteur de l'académie de Créteil et spécialiste des expérimentations, doit sans doute à sa soif d'innovations sa récente nomination à la direction de l'enseignement scolaire. Le co-inventeur de la cagnotte anti-absentéisme s'est toujours voulu «à l'avant-garde des réformes». Car en matière éducative comme en art, l'éternelle avant-garde dicte sa loi.

Accompagnement

C'est la grande nouveauté de la réforme du lycée : deux heures d'accompagnement personnalisé par semaine pour toutes les sections et tous les degrés. À charge pour les établissements d'orchestrer ce moment dédié à l'«orientation», au «soutien individualisé» et à l'apprentissage de «méthodes de travail». L'accompagnement s'ajoute au «soutien» mis en place à l'école primaire. Il s'agit symboliquement d'individualiser l'offre éducative en répondant aux besoins de chacun, comme peuvent le faire les officines de cours particuliers. Mais l'accompagnement signifie aussi (et c'est ce que lui reprochent ses adversaires) que l'on entérine l'arrivée au lycée d'élèves dont le niveau ne leur permet pas de suivre sans une aide spécifique. Ce qui se jouera en 2010 sera le mode d'application de cet accompagnement, censé relever du conseil pédagogique des établissements.

Mérite

La notion de mérite a servi d'arrière-fond aux débats sur l'école fin 2009. Et même avant puisque c'est elle qui justifiait l'assouplissement de la carte scolaire : il fallait donner aux élèves méritants la possibilité de poursuivre leur scolarité dans l'établissement de leur choix. En septembre 2009, deux ouvrages, de la sociologue Marie Duru-Bellat et du philosophe Yves Michaux, venaient rappeler que la notion est complexe. Pour le philosophe, le mérite récuse une double injustice : «injustice des héritages et injustice du nivellement». Équilibre complexe : le mérite se veut une façon de remplacer des inégalités injustes par des inégalités justes, au nom de la responsabilité individuelle. À l'école, la transmission des savoirs et son évaluation servaient de piliers à la méritocratie traditionnelle, mais sont depuis longtemps déjà remises en cause. Pour preuve, la polémique autour d'éventuels «quotas» de boursiers dans les grandes écoles : une façon de dire avec Pierre Bourdieu que la politique du mérite ne ferait que masquer la domination sociale.

Sanctuarisation

Depuis près de dix ans, les défenseurs d'une école comme lieu spécifique de transmission des savoirs plaidaient pour la «sanctuarisation» des établissements scolaires, c'est-à-dire le refus de leur intégration au flux du monde et de ses aléas. Au contraire, les adversaires de cette notion partent du principe que «la société rentre à l'école» à travers les problèmes sociaux des élèves, et qu'il convient d'y adapter le contenu et les méthodes d'enseignement. Le mot «sanctuarisation» employé à propos des mesures pour éradiquer la violence des établissements scolaire suggère de façon subliminale que les deux domaines ont partie liée.

Mobilisation

La FSU appelle à trois actions au mois de janvier pour «porter des propositions pour un système éducatif plus juste et plus égalitaire (…), qui refuse les déterminismes scolaires et sociaux, et relance la démocratisation de l'accès au baccalauréat». Parmi ces trois actions, une seule consistera en une grève, le 21 janvier. Le mot «mobilisation», plus flou, montre l'épuisement d'un mouvement syndical profondément divisé sur ses visions de l'école. Le reste du communiqué rappelle combien les mots d'égalité et de démocratisation sont polysémiques.



11/01/2010
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