Revue de presse : Article dans Le Figaro du 26/08/2014 : L'enfance est longue car le cerveau humain est glouton
Comme un vieux couple, notre corps et notre cerveau élaborent des compromis permanents pour répartir au mieux le budget du ménage ; en l'occurrence, la part d'énergie que chacun pourra utiliser à son profit. Et les drôles de choix que la nature a opérés pour nous feraient de nous des humains…
En combinant diverses données d'imagerie médicale, des chercheurs américains ont retracé l'évolution, durant l'enfance, de la consommation de glucose par notre cerveau et la part de l'énergie globale disponible que celui-ci s'octroie aux dépens du reste du corps.
Le cerveau, premier servi
On savait le cerveau gourmand : chez l'adulte, il mobilise près de 20 % de l'énergie disponible, quand il ne représente que 2 % du poids du corps. «Sauf stress majeur, le cerveau est toujours le premier organe servi en énergie, et heureusement, car il supporte très mal le manque de glucose», explique Pierre Gressens, professeur de neurologie fœtale et néonatale et directeur de recherches à l'Inserm. Des ratios encore plus vertigineux durant l'enfance : à la naissance, le cerveau détourne à son profit de 50 à 60 % du glucose disponible et jusqu'à plus de 66 % vers 4 ou 5 ans!
«La plupart des organes sont relativement matures à la naissance, contrairement au cerveau, qui fait des choses nouvelles. Les phénomènes les plus énergivores, notamment la production de myéline et de synapses, ont lieu entre 1 et 5 ans», précise Pierre Gressens. À 5 ans, le cerveau approche de sa taille adulte, mais la plasticité neuronale est à son maximum… Or c'est précisément à cet âge que la croissance corporelle ralentit, pour ne s'emballer qu'à la puberté.
«Fondamental pour expliquer l'évolution»
Ces résultats confirment une vieille hypothèse qui explique pourquoi le petit d'homme met si longtemps à atteindre sa taille adulte : «Notre corps ne peut pas se permettre de grandir trop vite, car une grande quantité d'énergie est requise pour alimenter le développement du cerveau humain», résume Christopher Kuzawa, anthropologue à la Northwestern University (États-Unis), premier auteur de l'étude publiée dans les Proceedings of National Academy of Science (Pnas). Or, ajoute-t-il, «en tant qu'humains, nous avons tant à apprendre et cet apprentissage demande un cerveau complexe et affamé d'énergie».
«Le fait que l'on consomme plus ou moins de glucose pourrait paraître marginal, mais c'est en fait assez fondamental pour expliquer l'évolution», avance Jean-Jacques Hublin, professeur de paléoanthropologie à l'Institut Max-Planck d'anthropologie évolutionnaire de Leipzig (Allemagne). Chaque espèce affronte le même problème : quelle part de l'énergie disponible consacrer aux trois grandes fonctions que sont la croissance, la reproduction et le maintien de la vie ? «Les tortues, par exemple, grandissent très lentement, mais produisent de nombreux œufs et vivent très longtemps, détaille Jean-Jacques Hublin. L'homme, lui, a “choisi” de naître avec un cerveau relativement petit proportionnellement à sa taille adulte, mais de lui permettre de grandir pendant très longtemps.»
«Budget glucose»
Une stratégie évolutive certes risquée et coûteuse, notamment car l'enfant reste dépendant des adultes durant de longues années. Mais qui, non contente de nous offrir une intelligence unique, nous aurait aussi permis de développer des systèmes technologiques et sociaux très complexes et performants ; lesquels, dans un cercle vertueux, ont permis à l'humanité de se payer le «luxe» de grandir si lentement.
De plus, insiste le paléoanthropologue, «le fait que notre cerveau se développe en grande partie après la naissance et sur une si longue durée est un mécanisme qui explique notre haut niveau d'intelligence». Car jusqu'aux débuts de l'âge adulte, le cerveau humain ne cesse d'être remodelé par les stimuli reçus et il se construit à mesure que l'on apprend.
Aux alentours de la puberté, ont observé les chercheurs américains, la part du «budget glucose» allouée au cerveau diminue à mesure que la croissance corporelle accélère. Or, cette soudaine poussée à un âge où le cerveau est quasi terminé serait propre à l'homme, et Homo sapiens semble avoir été le premier des mammifères à mûrir si lentement. En somme, conclut Jean-Jacques Hublin, «ce changement du mode de croissance des enfants a permis l'émergence de l'humanité».
Par Soline Roy
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