Revue de presse : Article dans Le Monde du 07/01/2012 : Devoirs scolaires, le châtiment familial
On s'était engagé la première semaine des vacances à laisserles enfants tranquilles. Pas de travail scolaire, les neurones au repos pour tout le monde. Noël passé, on n'a pas voulu jouer les rabat-joie face à des enfants tout affairés à tester leurs nouveaux jouets. Mais le lendemain du 31 décembre, il a bien fallu les pousser à se mettreau travail. C'est à ce moment-là que les choses se sont gâtées. La séance a rapidement viré au cauchemar. Cris, pleurs, cahiers qui volent... Finie l'ambiance de Noël, retour à la vie réelle.
Dans beaucoup de familles, le temps des devoirs est synonyme de tensions. Ces moments sont même vécus par certains comme une punition collective, que l'on voit revenir chaque soir avec appréhension. Une enquête, réalisée en 2011 auprès de 598 familles par l'Association de la fondation étudiante pour la ville (Afev) et intitulée Plaidoyer contre la pression scolaire, montre que pour 59 % des parents interrogés, le temps des devoirs est vu comme un dur moment à passer. Une circulaire datant de 1956 proscrit pourtant tout travail écrit à la maison pour les élèves du primaire.
"A chaque fois, je m'en veux de m'énerver mais c'est plus fort que moi, témoigne Vincent Massena, informaticien père de deux enfants âgés de 7 et 12 ans qu'il élève en garde alternée à Fontenay-aux-Roses (Hauts-de-Seine). Je voudrais que le travail soit fait rapidement pour pouvoir passer à autre chose, faire une pause lecture ou regarder un DVD. Et finalement cela traîne parce qu'ils ne comprennent pas aussi vite que je le souhaite, ne sont pas concentrés. Pédagogiquement c'est nul et au final tout le monde est malheureux."
Pourquoi la plupart des parents ont-ils tant de mal à garder leur calme lorsqu'ils sont confrontés aux difficultés d'apprentissage de leur enfant ? Il ne leur viendrait pourtant pas à l'idée de s'énerver lorsqu'ils accompagnent les débuts à vélo de leur petit, observe la pédopsychiatre Gisèle George, auteur de La Confiance en soi de votre enfant (Odile Jacob, 2007). Au contraire !
Dans ces moments-là, les pères comme les mères se précipitent à la moindre chute pour apporter à l'apprenti cycliste réconfort et encouragements ! "Aux premières difficultés scolaires, les parents sont confrontés au décalage entre leur enfant rêvé et leur enfant réel, ce qui peut favoriser un stress au moment des devoirs", analyse Patrice Huerre, pédopsychiatre et psychanalyste, auteur de Faut-il plaindre les bons élèves ? (Hachette, 2005).
"Aberration pédagogique"
Pour Jean-Jacques Hazan, président de la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE), cet énervement est fondé. "Quel parent accepterait de rentrer après sa journée de travail avec des heures supplémentaires à faire ? Les devoirs sont une aberration pédagogique, s'insurge-t-il. L'éducation nationale fait faire aux familles de la sous-traitance pédagogique, ce qui ne fait qu'accroître les inégalités."
"Les parents qui travaillent courent après le temps et ont envie que les devoirs se fassent le plus efficacement possible, souligne Monique de Kermadec, psychologue clinicienne, auteur de Pour que mon enfant réussisse (Albin Michel, 2010). Il y a de fortes probabilités pour que la séance commence dans un état de tension, d'autant que le temps des devoirs n'est pas forcément celui où l'enfant est disponible. Par ailleurs, celui-ci a envie d'un moment paisible avec ses parents une fois rentré de l'école. Faire durer les choses permet de retenir les parents auprès de soi."
Un cercle vicieux auquel on peut échapper en établissant avec son enfant un contrat, du type : "Tu apprends tes leçons, et après on aura du temps pour faire une activité ensemble." "Les devoirs se feront plus efficacement et plus rapidement", assure la psychologue.
Contraint de se glisser dans les habits du professeur, le père ou la mère peut interpréter comme un échec personnel son incapacité à aider son enfant. "L'accompagnement des devoirs peut aussi réactiver chez l'adulte des souvenirs d'enfance douloureux, observe Patrice Huerre. Et sans en être conscient, le parent va reproduire avec son enfant le comportement qui le faisait souffrir."
"Le mieux est alors de passer le relais à un tiers", conseille Monique de Kermadec. Ce qu'il convient d'éviter, c'est que l'enfant se braque, se mette à détester l'école et se réfugie sur sa console de jeux. "Une attitude qui sera difficile à récupérer à l'adolescence", avertit la psychologue. "Les adultes doivent prendre garde à ne pas projeter sur l'enfant leurs propres angoisses d'adulte, renchérit Patrice Huerre. Et ne pas laisser croire à son fils ou à sa fille que sa valeur se résume à ses performances scolaires."
Sylvie Kerviel
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