Revue de presse : Article dans Le Monde du 17/05/2010 : Ne laissons pas les inégalités numériques s'installer dans nos écoles !, par Anna Angeli et Florence Durand-Tornare
Le récent rapport du député Jean-Michel Fourgous – Réussir l'école numérique – parle de retard français et met en cause le sous-équipement du système éducatif français. Quand la France compte huit ordinateurs pour cent élèves au primaire, le Royaume-Uni, comme la Finlande, en recense dix-sept.
Avec un sous-équipement en postes de travail et en connexions haut débit, le système éducatif français est plus inégalitaire que jamais. L'appropriation des outils et des usages d'Internet, par nos élèves et encore plus par ceux du 1er degré, est donc très lente et très inégale selon les territoires. Malgré cela, il serait trompeur de croire que ce n'est qu'un problème d'équipement.
Les raisons de ce retard sont partagées par l'ensemble de la communauté éducative : inégalités de moyens et d'expertise des élus, multiplicité des producteurs de contenus sans charte éditoriale précise, faiblesse de la volonté politique nationale, absence de feuille de route globale, défaut de formation des enseignants à la pédagogie numérique.
Et pourtant les usages dans les écoles sont en augmentation constante, mais lente, désordonnée et disparate. Le fossé numérique se creuse entre les villes qui équipent leurs écoles et celles qui ne le font pas. Il génère des inégalités inacceptables au sein de notre système éducatif républicain.
QUELLE ÉCOLE INTERNET ?
Le gouvernement a montré son inquiétude face à cette situation en commandant un rapport au député J.M. Fourgous, remis au premier ministre en février et dont l'ensemble de la communauté éducative attend les arbitrages ministériels. Des propositions concrètes émergent avec, comme fil rouge, la volonté d'un grand plan national d'investissement concernant l'équipement et l'accès pour tous.
Dans ce rapport, les analyses montrent que les outils numériques en réseau dynamisent les apprentissages, augmentent les capacités de lecture et la compréhension des mathématiques, et activent l'acquisition des langues étrangères tout en réduisant l'échec scolaire grâce à une meilleure motivation des élèves.
Les pratiques des enseignants sont également facilitées par les technologies de l'information et de la communication (TIC). Les professeurs ne travaillent plus de manière isolée, mais mutualisent leurs ressources et collaborent pour la préparation de leur cours. Ils sont plus enclins à favoriser l'apprentissage individualisé, actif et collaboratif. Plus généralement, les enseignants reconnaissent que c'est un outil organisationnel (en logistique et en communication) qui leur fait gagner temps et efficacité.
Bien qu'il puisse y avoir encore des doutes sur l'impact véritable des TIC sur les performances pédagogiques, il est primordial que notre service public d'éducation ne laisse plus une génération entière s'approprier seule ces outils.
UNE GÉNÉRATION D'ÉLÈVES À ACCOMPAGNER
L'enjeu est bien au-delà du combat contre l'échec scolaire. Il s'agit de permettre l'émancipation des individus dans une société en transformation dont les codes changent si vite. Cela passe par l'égalité d'accès aux opportunités d'apprentissage, d'acquisition de connaissances et de compétences.
Si nous disposons d'informations sur les pratiques collectives, en revanche, nous ignorons encore beaucoup les pratiques individuelles des jeunes. Les parents, les sociologues et les enseignants s'interrogent sur ces pratiques, sur ce qu'ils font, ce qu'ils apprennent… Comment cela modifie-t-il leur approche cognitive de la vie, leur langage, leur représentation du monde ? On sait qu'ils accumulent de nombreux savoirs "non scolaires", qu'ils créent des réseaux pour échanger, se soutenir, faire les devoirs, et qu'ils inventent des groupes d'affinités sur les thèmes qui les rassemblent. De fait, ce que les jeunes apprennent à l'école leur semble de plus en plus déconnecté à la fois de ce qu'ils vivent et de ce qui les attend dans leur vie d'adulte. La notion du "prof qui sait", face à un élève "page blanche" est désormais révolue ! Les élèves trouveront ou ont déjà trouvé plus intéressant ce qu'ils découvrent sur leur ordinateur que ce qu'ils étudient en cours.
Il s'agit de s'assurer que les enseignants ne jugent pas cet outil comme concurrent, mais que l'on éduque, transmet et forme nos enfants de manière égalitaire pour forger leur esprit critique et leur autonomie de pensée, de s'informer et de choisir. Bref, quelque chose du registre de la citoyenneté active et du vivre ensemble.
Le ministère de l'éducation nationale agit en ce sens depuis de nombreuses années, souvent de manière volontaire, mettant à la disposition de ses enseignants de nombreux outils d'accompagnement tels que les sites Educnet, Primtice, Agence des usages… Mais faute de coordination de l'ensemble des acteurs, l'Etat ne peut que constater lui aussi les inégalités évidentes. Le manque de coordination entre les besoins des enseignants, les prérogatives du ministère et le niveau d'évaluation et de compréhension de ces besoins par les villes est flagrant. Un observatoire des besoins de la communauté éducative est nécessaire.
LES "DEVOIRS" DES VILLES
Les villes ont dans leur compétence d'équiper les écoles en moyens modernes d'organisation, d'information, de pédagogie et de communication. En ce qui concerne l'équipement des établissements, le rapport de M. Fourgous préconise un effort d'environ 1 milliard sur plusieurs années. Il demande la connexion des écoles en haut débit, la généralisation des tableaux numériques interactifs (TNI), la poursuite du plan Ecoles numériques rurales (ENR)… Mais son rapport n'est pas le lieu de recommandations chiffrées très détaillées.
Dans un contexte de budgets contraints, le besoin d'un Etat garant de l'équité des moyens et coordonnant les différents niveaux de collectivités est plus que criant. L'inquiétude des collectivités ne cesse de s'accentuer face aux nombreuses réformes en cours ou annoncées. La suppression de la taxe professionnelle a plongé les collectivités dans l'instabilité financière sans de réelles garanties de compensations pérennes et solides. Les relations conflictuelles et l'accumulation des dettes de l'Etat envers les collectivités territoriales ne laissent présager rien de bon. La non-compensation des transferts de charges dans de nombreux domaines pèse sur les capacités financières des collectivités, alors qu'il faut de plus en plus soutenir les populations frappées durement par la crise au détriment du développement de projets innovants et ambitieux.
UNE COMMUNAUTÉ ÉDUCATIVE ENGAGÉE
Il est nécessaire de rassembler les partenaires de la communauté éducative autour des mêmes objectifs, avec pour chacun un rôle bien défini, dans un souci d'échange, d'accompagnement et de mutualisation des énergies et des expériences. Ces nouveaux usages, en touchant l'ensemble des familles et des acteurs, réinventent de nouveaux liens. Les élèves peuvent apprendre à leurs parents, les parents peuvent acquérir eux-mêmes des connaissances. Un espace commun de concertation et d'échange pour renforcer cette appropriation des TIC en milieu scolaire est à inventer.
C'est au sein du service public et à l'aide d'un plan national que la garantie d'accès et le développement d'une culture du numérique seront assurés pour la communauté éducative réunie autour des élèves. De cette appropriation généralisée dépend la garantie des valeurs qui fondent nos écoles publiques, les valeurs d'égalité, de solidarité et de gratuité. C'est une école en phase avec la société qui doit être préservée. Il est urgent pour tous les acteurs de l'éducation de se saisir de cet enjeu fondamental, afin que nos enfants rattrapent ce retard pénalisant par rapport à leurs voisins européens. Cela permettra d'éviter qu'une génération entière se retrouve seule soumise aux influences idéologiques et commerciales qui polluent la "société numérique".
Anna Angeli est maire adjointe en charge de l'éducation et du périscolaire au Pré-Saint-Gervais en Seine-Saint-Denis, et chargée du projet Ecoles Internet auprès de l'association Ville Internet. Florence Durand-Tornare est déléguée générale de l'association Villes Internet.
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