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Revue de presse : Article dans Le Monde du 19/11/2010 : "Les notes conservent toujours un caractère approximatif"

Dans un chat sur LeMonde.fr, Philippe Meirieu, pédagogue et professeur des universités à Lyon-II, explique pourquoi il plaide pour "une pédagogie de la réussite" plutôt que pour "une pédagogie de la sanction".

 

Marcos kilakos : Pourquoi avez-vous refusé de signer la pétition contre les notes à l'école primaire ?

Philippe Meirieu : Je n'ai pas souhaité signer cette pétition dans la mesure où, si elle me paraît dénoncer les effets ravageurs de la note et de l'utilisation des notes dans le système scolaire français, elle ne me paraît pas insister suffisamment sur la nécessité d'une évaluation positive, constructive, qui aide les élèves à progresser.

Autant je suis critique sur l'utilisation des notes, autant je crois absolument indispensable d'élaborer et de mettre en œuvre une évaluation rigoureuse et exigeante.

Par ailleurs, je ne pense pas que les notes, à elles seules, puissent être considérées comme responsables de l'ensemble de l'échec scolaire. Les méthodes d'apprentissage sont, bien évidemment, en cause. Et il ne faut pas confondre le thermomètre avec la température.

 

Fred : Si les notes ne sont pas mises de façon arbitraire – sadique ou injuste – ne sont-elles pas encore le meilleur moyen d'évaluer un élève ?

Les recherches en docimologie (la science des notes) montrent que, malgré les scrupules professionnels des enseignants, les notes conservent toujours un caractère approximatif.

D'une part, elles réduisent du qualitatif à du quantitatif, et participent ainsi à l'impérialisme de la mesure et du chiffre dans notre société.

D'autre part, la notation incite toujours, plus ou moins fortement, à reproduire la courbe de Gauss : les élèves sont répartis spontanément en un tiers de bons, un tiers de moyens et un tiers de faibles, et cela quel que soit le niveau général de la classe.

Enfin, la note est une sorte de diagnostic qui n'est que rarement assorti d'une ordonnance : elle n'est pas suffisamment conçue pour permettre à chacun de progresser.

 

Jean-ri : Remplacer les notes par des couleurs, des lettres ou des ceintures, n'est-ce pas un simple changement de façade ? On juge quand même le niveau des élèves...

Ce n'est pas un changement de façade dans la mesure où ce qui caractérise la note, c'est que c'est un chiffre, et qu'un chiffre peut faire l'objet d'une somme, d'une division. Les notes peuvent faire l'objet de moyennes, et là, nous sommes carrément dans l'absurdité : comment peut-on croire, au pays de Descartes, qu'un 13 en physique peut rattraper un 7 en français ? C'est de la pédagogie bancaire, marchande, qui incite à développer des stratégies plutôt qu'à véritablement chercher à comprendre et à progresser.

 

Marie-Paule Hutin : Je suis enseignante. Cela fait longtemps que l'école primaire essaie de se passer des notes. L'objectif est de donner une idée de la progression de l'élève. Or, surprise, les parents et les enfants comptent entre eux le nombre de A, CA ou NA pour aboutir à un classement informel ! Que peut faire l'école face aux attentes des parents et des enfants ?

Nous vivons dans une société qui a placé la compétition entre les individus au cœur de son fonctionnement, et il est compréhensible que les parents et les élèves fonctionnent ainsi.

Pour autant, sur ce sujet comme sur beaucoup d'autres, l'école n'a pas à se caler mécaniquement sur les attentes de la société. Elle doit privilégier le défi intellectuel personnel, plutôt que la concurrence entre les personnes. C'est aux enseignants de montrer que la satisfaction d'apprendre et de réussir ensemble vaut mieux que toutes les notes du monde.

 

Nanard : Mon fils me dit souvent que la note est son salaire et qu'il n'est pas question qu'on lui enlève. Cela me choque un peu ce côté "capitaliste". A-t-il raison ? Que dois-je lui répondre ?

Malheureusement, l'école considère souvent la note comme un salaire. Néanmoins, elle peut être utilisée aussi comme un outil de progression : pour ma part, quand on me contraint à mettre des notes, je note toujours deux fois.

Une première fois, je donne une note et je formule trois conseils. Je demande à l'élève de reprendre son travail à partir de mes conseils. Je mets ensuite une deuxième note au nouveau travail, et c'est cette dernière que je retiens.

Il faut arrêter cette pédagogie bancaire au nom de laquelle un mauvais devoir est payé d'une mauvaise note, et tout le monde en reste là.

 

Guest : Pourquoi ne pas chercher un compromis et proposer un système de note trimestrielle ? Pas une note pour un devoir mais un contrôle continu. Qu'en pensez-vous ?

Le contrôle continu peut être une manière de multiplier les notes et d'augmenter encore la pression sur les élèves.

Pour les examens nationaux, le contrôle continu présente le risque, souvent dénoncé par les lycéens, du "diplôme maison".

C'est pourquoi je préfèrerais, pour ma part, le système des unités capitalisables : il s'agirait de fixer quelques grands objectifs dont la maîtrise serait nécessaire pour atteindre un niveau donné.

Ce serait une manière de réhabiliter la "pédagogie du chef-d'œuvre" inventée par les compagnons du Moyen Age.

J'ai proposé cela en 1998, avec les travaux personnels encadrés (TPE), un dossier pluridisciplinaire préparé par l'élève et soutenu devant un jury.

Malheureusement, Luc Ferry a enlevé les TPE du baccalauréat.

Je crois qu'il y a une réflexion collective à mener avec les enseignants, les élèves et les parents pour chercher ensemble de nouvelles formes d'évaluation comme celle-là.

 

Sonia : Il y a des pays où on ne donne pas de notes en-dessous de 4. Pensez-vous que c'est bien, que cela ne démoralise pas l'élève ? Ou que ça ne change rien : l'élève sait que quand il a 4, c'est comme un zéro?

Je ne pense pas que cela change grand-chose. Je crois que c'est le principe même de la note chiffrée qui est en cause. C'est notre obsession de la mesure quantitative qu'il faut combattre.

L'important est d'aider chacun à se mettre des défis et à être fier de ce qu'il réalise.

Le système des "brevets", tel qu'on le trouve dans le scoutisme et tel qu'il a été repris par Célestin Freinet, est un bon moyen de mobiliser les élèves de manière positive.

 

Justine Manin : Lorsqu'un enfant semble se braquer du fait de notations négatives répétées et finit par se sentir dévalorisé, comment pédagogues et parents peuvent atténuer ce ressenti ?

La meilleure manière d'aider cet enfant est, bien sûr, de lui permettre d'améliorer son résultat.

Il faut prendre avec lui le devoir ou l'exercice, regarder où il s'est trompé et pourquoi, voir ce qu'il peut améliorer, et refaire cela chaque fois pour constater les progrès effectués. Même un petit progrès permet de retrouver confiance en soi.

On dit parfois que les élèves échouent parce qu'ils ne sont pas motivés, il arrive aussi qu'ils ne soient pas motivés parce qu'ils ont toujours échoué. Faire réussir et rendre fier de sa réussite, même sur des objectifs minimes, est la meilleure manière d'aider quelqu'un.

 

e hugonnet : Le paradoxe n'est-il pas que les parents sont les plus demandeurs de notes car dépassés par le vocabulaire abscons utilisé pour rédiger les compétences évaluées à l'école ?

C'est vrai. Il faut absolument revoir ce vocabulaire, et je suis même partisan que les carnets d'évaluation et de liaison soient élaborés en collaboration avec les parents.

 

JP : Elève d'un IEP, j'ai vu des camarades préparer les concours administratifs, et leur préparation ressemblait à un bachotage idiot. Pourtant, cela leur a permis d'avoir des bonnes notes et donc les concours qu'ils visaient. Que proposez-vous comme solutions à ce problème?

La question est celle de la nature des épreuves proposées. Il y a des examens et des concours qui ne peuvent effectivement se préparer qu'avec un bachotage stupide. Il faut imaginer des épreuves qui impliquent une préparation intelligente et permettent de faire preuve d'imagination et d'esprit critique autant que de capacités de mémorisation.

En tant qu'universitaire, je suis très attaché à la formule de la thèse, la plus vieille épreuve d'évaluation de notre système scolaire ; c'est un travail d'élaboration accompagné d'une soutenance qui permet de vérifier l'implication du candidat et sa réelle compétence.

Bien sûr, on ne peut pas faire passer des thèses partout, mais on peut trouver des formes d'épreuves intelligentes.

Je ne suis pas favorable à la multiplication des QCM (questionnaires à choix multiples) ni aux concours, qui ne mesurent que la conformité et non pas la véritable intelligence.

 

marie : Et pourquoi on ne noterait pas aussi les profs?

Cela existe dans un certain nombre de pays, en particulier à l'université. Mais, là aussi, il faut éviter les approximations et la démagogie.
En particulier, il ne faut pas confondre la satisfaction et l'acquisition. Le danger de la notation des professeurs, c'est que celle-ci se fasse à la satisfaction immédiate et non à la véritable acquisition sur le long terme.

 

Erine : Un peu méchamment, j'ai envie de dire que le système que vous proposez (comprendre le fonctionnement de l'élève plutôt que de le juger) va donner beaucoup plus de travail aux enseignants. A l'heure où l'on réduit leur nombre, tout en intégrant les handicapés, les enseignants pourront-ils relever ce défi?

D'abord, je n'ai jamais dit qu'il ne fallait pas juger le travail de l'élève. J'ai dit qu'il ne fallait pas réduire l'évaluation à la notation. Certes, une évaluation constructive comme je la propose demande plus de temps pour l'enseignant, mais je pense qu'il vaut mieux faire moins d'évaluation et procéder ainsi.

Par ailleurs, il faut évidemment regretter les disparitions de postes et les déficits d'encadrement qui ne permettent pas aux professeurs d'effectuer un accompagnement personnalisé.

 

E.Gunther : Comment motiver les enseignants pour passer à une autre évaluation, alors qu'ils sont eux-mêmes, en général, adaptés et motivés par le système classique ?

D'une part, je pense qu'il faut supprimer l'évaluation des professeurs telle qu'elle est aujourd'hui pratiquée par les inspecteurs. Cette évaluation est, trop souvent, infantilisante.

D'autre part, je crois que la plupart des professeurs souhaitent véritablement faire progresser leurs élèves. Ils souffrent de ne pas y réussir autant qu'ils le souhaiteraient, et ils pourraient trouver beaucoup plus de satisfaction avec une pédagogie de la réussite plutôt qu'avec une pédagogie de la sanction.

 

Chat modéré par Marc Dupuis

 

 

 

 

 



23/11/2010
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