Revue de presse : Article dans Le Monde du 20/12/2011 : La petite fille dérangeante
Garance a 13 ans. Elle n'est pas "comme les autres" et ne sera jamais une adulte "comme nous". A sa naissance, rien ne laissait présager que ce beau bébé serait "différent". Pour ses parents, la "naissance de la peine", qu'ils affronteront seuls, se fera pas à pas, au fil des mois. Et cette "souffrance inattendue, inconnue" ne les quittera plus. En grandissant, Garance ne fera rien de ce qui est attendu d'une petite fille. Parce qu'être parents d'un enfant handicapé est "une singulière épreuve à laquelle personne n'est préparé", Scarlett et Philippe Reliquet, la mère et le père de Garance, ont choisi de raconter leur vécu - fait d'échecs, de combats, d'espérances, et de beaucoup d'amour - pour faire entendre et comprendre cette "différence".
Garance est atteinte d'une "forme d'autisme" et de "troubles envahissants du développement". Derrière la froideur de cette appellation médicale se cache la réalité d'une manière d'être déroutante pour les gens dits "normaux". Garance est obsessionnelle - demande sans cesse d'"écouter Haendel", de visionner Les Demoiselles de Rochefort -, hypermnésique, maladroite, gauche. Elle ne sait pas enfiler ses vêtements le matin, ne sait pas compter quatre pommes, ne sait pas dessiner un bonhomme, ne sait pas dire son âge. Garance est dans son monde qui semble un autre monde.
Cette vie partagée avec une petite fille à part, Scarlett et Philippe Reliquet nous la livrent dans une succession de courts chapitres où se bousculent émotion, douleur, humour et petits bonheurs dans un quotidien hors du commun. "Aborder Garance, c'est d'abord observer une attitude modeste, accepter de faire table rase de tout ce que l'on a appris en matière d'éducation. Qui veut se délester de tout ce qu'il a appris, de tout ce qui le définit, de tout ce qui l'identifie ? Se dire "je ne sais rien" ? Se tourner vers un autre amoindri, dévalorisé, parfois menaçant, dérangeant - et enfin tenter avec lui quelque entreprise", résument ses parents. Garance ne leur laisse jamais de répit. Chaque matin, ils savent que "la journée sera un combat" avec des "quises" (crises) et des moments de bonheur (un plat qu'elle aime, un tour de balançoire).
"DÉFI PERMANENT"
Garance n'a aucun sens des convenances, aime toucher les mains, les visages, les vêtements, et fait preuve d'une absence totale de préjugés qui l'entraîne vers les autres. Elle parle à ceux à qui on n'adresse jamais la parole, le SDF, le musicien dans la rue ; aborde et questionne les inconnus. On a à apprendre de Garance, tant elle nous fait regarder le monde différemment. "Le regard particulier qu'elle porte sur ceux qui l'entourent nous contraint à toujours revoir notre relation aux autres. Toute forme de moquerie sur la différence, même légère, nous glace", racontent ses parents.
L'histoire bouleversante de cette étrange petite fille vaut plus qu'un long discours ou qu'un copieux rapport sur la prétendue "intégration des personnes handicapées". Ce témoignage nous pousse à ne pas tourner la tête, à éviter à tous ces parents de rendre encore plus douloureux "le défi permanent" que représente le handicap, car "le drame vient du regard de l'autre".
Ecouter Haendel de Scarlett et Philippe Reliquet
Gallimard, 172 pages, 14 euros
Sandrine Blanchard
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