Revue de presse : Article dans Le Monde du 27/09/2011 : Pourquoi les enseignants se mobilisent
Selon le ministère de l'éducation nationale, près d'un enseignant sur quatre (20,51 %) participera aux manifestations mardi après-midi 26 septembre. Un peu moins qu'il y a un an : ils étaient 33,59 % à se mobiliser le 23 septembre 2010 (journée de grève pour la défense des retraites), contre 19,07 % le 10 février 2011, avec, déjà, les suppressions de postes pour mot d'ordre.
Ces chiffres, communiqués vendredi 23 septembre, ont offert au ministère de l'éducation nationale l'occasion de rappeler que, "en application des textes qui régissent le service minimum d'accueil dans les écoles primaires, (…) les enseignants qui envisagent de faire grève sont tenus de se déclarer au moins 48 heures à l'avance". C'est grâce à cette "déclaration d'intention" que les syndicats d'enseignants évaluent le taux de mobilisation. Or, leur estimation, communiquée ce même 23 septembre, est bien plus élevée : un enseignant sur deux sera en grève (53,75 %), selon le Snuipp-FSU, principal syndicat du premier degré. "Les chiffres diffusés par la rue de Grenelle ne s'appuient sur aucune enquête sérieuse à notre connaissance", soutient Sébastien Sihr, son secrétaire général. "Les enseignants avaient jusqu'à samedi minuit pour se déclarer gréviste, et le ‘plan com' du ministère est tombé vendredi après-midi !", s'indigne-t-il.
Pour le Snuipp-FSU, cette journée sera "majoritairement suivie, malgré le contexte de crise et les difficultés liées au pouvoir d'achat" – les journées de grève étant décomptées du salaire des enseignants. La mobilisation devrait être "très significative dans de nombreux départements", mais très inégale par ailleurs, nuance ce syndicat : de 30 % à 35 % d'enseignants grévistes dans l'Ouest et l'Est, à plus de 75 % dans le Midi, certains départements du Centre et du Sud-Ouest.
"L'ECOLE EST A L'OS"
En collège et en lycée, le pronostic est plus périlleux encore. "Il n'y a pas de déclaration d'intention dans le second degré", rappelle Christian Chevalier, secrétaire général du SE-UNSA, "mais beaucoup de nos collègues annoncent la couleur, pour que parents et élèves ne se retrouvent pas démunis". Ce syndicat attend entre 30 % et 50 % de grévistes suivant les régions. "Si on est bien conscient, depuis l'échec du mouvement sur les retraites, que descendre dans la rue ne porte pas toujours ses fruits avec Sarkozy, l'esprit d'indignation de nos collègues, ou d'une partie de nos collègues, est intact", conclut Christian Chevalier.
Un esprit d'indignation nourri par les suppressions de postes : elles concernent, en 2011, 16 000 emplois ; 66 000 emplois en quatre ans au titre du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant en retraite. En cette rentrée, pour la première fois, le rapport entre ouvertures et fermetures de classes est négatif : il atteint – 1 500, soit 1 500 classes fermées, contre + 176 en septembre 2009, ou + 373 en septembre 2011. Dans le premier degré, 3 367 des 8 967 postes supprimés correspondent à des maîtres en charge d'une classe. En collège et lycée, c'est un peu moins "perceptible", les élèves ayant plusieurs enseignants face à eux.
"L'évolution est pour la première fois perceptible par les parents", expliquait l'historien de l'éducation Claude Lelièvre au Monde avant l'été. "Jusqu'à présent, on avait rogné sur les postes de remplaçants, ceux dégagés pour la formation des enseignants, les conseillers pédagogiques, les profs en charge des élèves en difficulté, les animateurs en langues ou arts plastiques", précise-t-il. Les inspecteurs d'académie et les recteurs ont également relevé le nombre d'élèves par classe et diminué la scolarisation des moins de 3 ans. "Aujourd'hui, difficile de nier que l'école est à l'os", remarque l'historien.
MÊME L'ENSEIGNEMENT PRIVÉ SE FAIT ENTENDRE
Après une rentrée 2011 très difficile – mais "techniquement réussie", s'est félicité le ministère –, syndicats, enseignants et parents d'élèves redoutent une rentrée 2012 intenable. La promesse faite par Nicolas Sarkozy de diminuer de 16 000 à 14 000 les coupes l'an prochain, et de "sanctuariser" l'école primaire, n'a pas calmé l'inquiétude générale. Même l'enseignement privé, qui ne perd "que" 1 428 des 16 000 postes cette année (et 4 600 en quatre ans) se fait entendre : cinq syndicats – la FEP-CFDT, le SNEC-CFTC, le SPELC, le SNPEFP-CGT - appellent à manifester aujourd'hui ; un cinquième, le Synep-CFE-CGC, privilégie des signatures de pétitions, des actions d'information auprès des parents, des manifestations locales… Une unanimité syndicale rare, reconnaît le sociologue François Dubet. "Qu'il y ait ou non des centaines de milliers de personnes dans les rues, on a passé un cap", explique-t-il : "Cette journée de mobilisation ne se limite pas à une grève rituelle de rentrée des syndicats. On est au-delà dans l'échelle du malaise enseignant."
Au-delà, aussi, du seul problème des suppressions de postes. "Partout, il s'agira de dénoncer une rentrée scolaire calamiteuse, des classes trop chargées, la baisse de la scolarisation des tout-petits, les nouvelles fermetures de classes et les conditions de formation faites aux jeunes enseignants", énumère Sébastien Sihr, du Snuipp-FSU. Le ministère est-il prêt à écouter les cortèges, prévus dans une centaine de villes ? "Mon rôle est d'entendre", a soutenu le ministre Luc Chatel, invité au journal télévisé de France 3, le 18 septembre. "Mais est-ce que les créations des postes faites par la gauche ont permis de réduire les inégalités ? Non, donc il faut bien faire du sur-mesure, c'est la politique que j'ai engagée", a-t-il martelé. Imperturbable.
Mattea Battaglia
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