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Plus encore qu'en 2007, le thème devrait être au coeur de la campagne présidentielle. A quelques mois de cette échéance, Luc Chatel et Jean-Pierre Chevènement, qui, à vingt-cinq ans d'écart, ont occupé les mêmes postes -ministre de l'Industrie puis de l'Education nationale -, tous deux élus du grand quart nord-est de la France, livrent, dans « Le monde qu'on leur prépare. Ecole, économie, Etat », une conversation autour de l'école dirigée par Nicolas Beytout, PDG du groupe Les Echos. Le dialogue s'ouvre sur les changements qui ont affecté depuis vingt-cinq ans notre cadre de vie -et notamment la mondialisation -pour mener à un débat sur l'état et l'avenir de l'école, avec les visions d'un politique issu du monde de l'entreprise - « l'école doit être le lieu de tous les possibles » -et d'un pur produit de la haute fonction publique, pour lequel l'école est « le dernier outil de cohésion sociale dans une République à refaire ».

Extraits.

Jean-Pierre Chevènement. « Les enquêtes du ministère de l'Education nationale montrent qu'au niveau de la maîtrise de l'écrit, nous régressons. [...] Pour maintenir le nombre de bacheliers, il y a eu un rabais d'exigence. [...] Le bilan global me paraît donc une baisse de niveau, dans un système qui ne corrige qu'insuffisamment les inégalités socioprofessionnelles. »

Luc Chatel. « Ca démontre que malgré les moyens considérables qui ont été investis [...], le système n'a pas eu l'efficacité escomptée. Donc ça veut bien dire qu'il faut agir autrement. »

J.-P. C. « Je crois que les mesures dites d'assouplissement de la carte scolaire vont dans le sens d'une plus grande ségrégation et empêchent la mixité scolaire. [...] Il faut revenir sur ces mesures d'assouplissement -quitte à revoir le découpage -pour favoriser une certaine mixité sociale. » 

L. C. « Je pense que la pire des ségrégations, c'était le système qui favorisait les délits d'initié. [...] La vérité, c'est qu'à terme il faudrait supprimer la carte scolaire, le jour où il y aura un système -mais on va être en désaccord total -totalement autonome : chaque établissement a un projet qu'il présente aux parents, et les parents décident librement de l'établissement de leur enfant sur la base d'un échange avec la communauté éducative, avec les profs, avec le chef d'établissement. Pour moi, c'est le monde idéal de l'éducation... »

L. C. « Je pense que, pendant vingt-cinq ans, la démocratisation de l'école devait s'accompagner de moyens. C'était nécessaire. Mais ça a été l'unique réponse. C'était une erreur. [...] On aurait dû se poser des questions sur l'affectation de ces moyens, l'organisation du système éducatif [...] Aujourd'hui,[...] parce que nous n'avons plus la solution de facilité des moyens, on doit réfléchir en termes de performance, de différenciation, d'efficacité, d'organisation et d'efficience. »

L. C. « [...] je fais un rêve, c'est que ces syndicats soient capables de travailler en prospective sur l'évolution du système éducatif avec le ministère, en dehors des postures, sans dire à tout propos : "effectifs, effectifs"... »

J.-P. C. « Quel projet leur apportez-vous ? Vous leur parlez d'autonomie des établissements, vous supprimez des postes... ça ne donne pas forcément le moral aux enseignants. Ils ont le sentiment d'un certain gâchis. L'école a besoin d'être tout entière portée par un projet conquérant. Aujourd'hui, ce n'est pas le cas. [...] Il n'y a pas de discours mobilisateur, assorti des moyens nécessaires, voilà tout ! »

L. C. « Dans le cadre du débat présidentiel de 2012, je préconise une réflexion sur un nouveau statut, sur la base du volontariat, qui engloberait une nouvelle mission, un nouveau temps de présence et la perspective d'une meilleure rémunération. Bien sûr, il faut voir où on met le curseur pour que ce statut soit à la fois incitatif et ne coûte pas non plus, aux finances publiques, de manière excessive. Deuxième verrou, celui des rythmes scolaires. [...] Je pense que les jeunes Français passent trop de temps à l'école dans de mauvaises conditions. Il faut que le temps de travail soit mieux réparti sur l'ensemble de l'année, que le temps des enseignants soit annualisé. [...] Je pense que nos élèves ont trop d'heures, dans trop de domaines différents, et qu'il faut se concentrer non seulement sur les fondamentaux, mais aussi intégrer davantage d'activités culturelles et sportives. Enfin, troisième verrou, celui de l'autonomie. Si on veut un système qui permette à chaque élève de trouver sa voie, il faut faire beaucoup plus confiance aux acteurs locaux sur les questions d'orientation et de moyens à affecter. Etablir un contrat d'objectifs et de moyens par établissement et de la transparence dans les résultats. [...] On a manqué le passage du quantitatif au qualitatif. Moi, je veux réussir le défi qualitatif [...]. »

J.-P. C. « Nos positions sont clairement différentes. Pour relever la République et faire face à la compétition mondiale, qui est aussi scolaire, il ne faut pas abaisser le niveau d'exigence. [...] Luc Chatel veut adapter l'école à la société, moi, non. [...] Pour moi, les enseignants doivent passer du temps devant la classe. Ils doivent identifier les difficultés, peut-être même créer des groupes de niveaux temporaires à l'intérieur de la classe, mais tout ça demande du temps et un investissement personnel considérable vis-à-vis des élèves. »