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Revue de presse : Article sur www.cafepedagogique.net du 05/06/2013 : Fotinos : Il faut positiver le rapport de la Cour des Comptes

Rendu le 22 mai, le rapport de la Cour des comptes sur la gestion des enseignants a été perçu comme une menace par les syndicats d'enseignants par exemple parce qu'il recommande l'annualisation du temps de service et la bivalence dans le secondaire. Georges Fotinos, qui travaille depuis des années sur la souffrance enseignante, en fait une lecture différente. "Une majorité des mesures proposées a des conséquences qualitatives et positives", dit-il, n'hésitant pas à pointer justement ces deux points...

 

Vous êtes  auteur de nombreux travaux sur le mal être enseignant. Pour vous, est-il lié partiellement à l’organisation du système éducatif ?

 

GF : les  cinq études que j’ai menées depuis 2005 (1) et qui prennent en compte ce mal être, montrent à l’évidence que plusieurs des causes de cette situation se trouvent dans cette organisation et plus précisément dans les conditions de travail.

 

D’abord un constat que tous les acteurs du système éducatif font quotidiennement. L’employeur  qui est le Ministère de l’éducation nationale ne s’est guère jusqu’à présent préoccupé de ce sujet : on compte moins de 100 médecins de prévention pour « surveiller » la santé et les conditions de travail de plus d’un million cent mille salariés. Et pourtant l’importance de la qualité du travail est essentielle non seulement pour la santé des acteurs et leur bien-être, mais aussi  pour le climat général des établissements scolaires et le développement d’une dynamique collective au service de la réussite des élèves.

 

Quelques chiffres récents pour mieux saisir l’ampleur de ce « mal-être » caché (1).

--30% des enseignants pensent souvent quitter leur travail et 16 % se disent indécis pour répondre à cette question

--36 % déclarent qu’ils ne sont pas satisfaits de leur métier

--63% ne recommandent pas le métier d’enseignant à leur(s) enfant(s) (2)

 

Bien sûr l’analyse des causes est multifactorielle. C’est ainsi que l’on retrouve dans toutes les  études et enquêtes les mêmes « diagnostics et remèdes » : la carence quasi complète d’une véritable gestion des ressources humaines, la nécessaire prise en compte de la qualité de vie au travail dans le fonctionnement des établissements scolaires, l’ardente obligation du travail en équipe, de l’inter et transdisciplinarité, de la solidarité, de construire une organisation du temps  scolaire équilibrée tant pour les élèves que pour les enseignants, d’évaluer et de prendre en compte le poids psychologique des conflits de valeurs, des « inatteignables » programmes et d’une organisation verticale de la hiérarchie…

 

Trouvez-vous dans le rapport de la Cour des comptes, sur la gestion du système éducatif, des éléments positifs sur ce terrain ?

 

GF : Oui, et c’est là le grand intérêt de ce rapport, qui ne semble pas avoir été perçu par une majorité d’observateurs : une majorité des mesures proposées a des conséquences qualitatives et positives en rapport direct avec les éléments précités (travail en équipe, autonomie, responsabilité, solidarité, intérêt du métier, reconnaissance...

 

Par exemple :

- développer l’évaluation collective au niveau de l’établissement ou d’une équipe pédagogique

- autoriser des affectations de professeurs des écoles au collège, et d’enseignants du second degré à l’école primaire.

- développer des postes à profil en fonction des projets spécifiques des établissements et des compétences particulières des enseignants

- organiser une gestion humaine de proximité commune au premier et second degré, et mutualiser les moyens en gestionnaires au niveau des bassins d’éducation et de formation.

- donner au chef d’établissements la responsabilité de moduler la répartition des obligations de service des enseignants en fonction des postes occupés et des besoins des élèves.

- redéfinir le temps de service des enseignants en y intégrant l’ensemble des activités effectuées au sein de l’établissement, y compris le travail pédagogique et l’accompagnement personnalisé des élèves.

 

En quoi la bivalence pourrait-elle améliorer la qualité de vie des enseignants ?

 

GF : Il m’est vraiment difficile de comprendre pourquoi certains sont violemment opposés à ce type de professorat qui présente de grands avantages tant sur le plan collectif que personnel.

 

Collectif : Précisons d’abord que la mono disciplinarité est quasiment une exception française, et que la bivalence a existé et existe toujours dans le système éducatif français. Pour mémoire, ce sont bien les professeurs de collèges bivalents qui, pendant plus de 20 ans, ont permis à une bonne partie des enfants des couches  sociales, populaires et moyennes, ainsi qu’à un nombre non négligeable d’enfants de cadres supérieurs et professions libérales, en échec scolaire, de continuer avec succès, leurs études au lycée. Il faut aussi peut-être rappeler que les professeurs d’enseignements généraux des lycées professionnels sont aussi bivalents. Il semble qu’au regard de leur réussite -conduire près de 70 % des élèves pour la plupart démotivés, opposants et rétifs à la culture scolaire, à l’obtention d’un diplôme qualifiant- il n’est pas interdit de penser que cette singularité participe à ce résultat. Il faut aussi indiquer que dans les lycées agricoles, existe ce même type de bivalence mais aussi un profil de poste « polyvalent »tout à fait exceptionnel : le professeur d’éducation socio-culturelle (3) qui exerce son activité sur 3 domaines structurés par des référentiels de formation (Education à l’environnement social et culturel, Education artistique, Communication et animation). Son temps de service se répartit entre des cours et des ateliers, ces derniers pour un tiers de son temps d’activités .

 

Toutes les évaluations montrent l’intérêt tant pour le fonctionnement du lycée que pour les élèves et les enseignants, de ce type de professeurs (soutenu et valorisé  par les syndicats d’enseignants…). L’Education nationale, au moment de sa refondation, ne pourrait  t’elle pas s’en inspirer et suivre le recteur Frémont qui affirmait « Aujourd’hui le professeur d’ESC exerce un métier de formateur-médiateur, qui est en quelque sorte, un prototype de l’enseignant  de  demain ». Enfin, il faut noter l’intérêt majeur pour les élèves de 6 ème et 5 ème, de cette bivalence, qui limiterait le nombre d’adultes référents. Situation qui  aujourd’hui souvent les désarçonne, les désoriente, et fragilise leur appropriation des codes du collège. Ceci est à mettre en regard avec l’avancée que représente la déclaration du Ministre de l’Education nationale, qui vient d’indiquer qu’au sujet de la bivalence pour les enseignants de collèges, « il n’avait pas de tabou ». A noter que dans la perspective d’un cycle CM2-6ème, qui instaurerait une continuité pédagogique et de contenus, au bénéfice des élèves, la bivalence se révèle un élément porteur.

 

Personnel : Partons du constat quotidien fait par les acteurs de l’école, et confirmé par les études : une des composantes essentielles de la qualité de vie au travail est construite sur le plaisir et le désir engendrés par l’exercice du métier. L’absence marquée de ces éléments « moteurs » par près de 30% des enseignants de lycées et collèges, qui « pensent souvent quitter leur travail », peut être mis en rapport pour certains avec la monotonie répétitive de l’enseignement d’une discipline sur une longue période d’activité (30 à 40 ans). C’est un des facteurs de « lassitude » et de mal être du métier d’enseignant. Une récente enquête, conduite par la DEPP et la MGEN (4), portant sur les conditions de travail de travail des professeurs d’EPS, met en évidence cette nécessaire évolution. A la question « je vais vous citer différentes mesures ou propositions susceptibles d’améliorer votre métier », 30% de ces professeurs ont répondu que la bivalence choisie en cours de carrière serait une solution très ou assez importante pour cette amélioration (4% NSP).

 

L’autre avantage personnel est lié aux disciplines pouvant composer cette bivalence. A la lumière des expériences passées, et au développement particulièrement important des pratiques culturelles et sportives, la création de bivalence associant une discipline fortement cognitive et abstraite à la discipline Education physique et sportive ou a une des discipline de sensibilité artistique, recueillerait à coup sûr, l’assentiment d’une partie non négligeable des enseignants. Il faut noter à ce propos que « la fertilisation croisée de 2 disciplines ou plus scientifiquement le phénomène de «  transfert » issue de la théorie de l’apprentissage amène à un enrichissement conceptuel et à des pratiques pédagogiques plus diverses et plus proches des élèves.

 

Une dernière remarque importante, contrairement  à la Cour des comptes, qui préconise une bivalence généralisée, il apparaît plus judicieux et plus efficace que cette nouveauté soit un choix coexistant avec les monovalences.

 

L’annualisation du travail enseignant aurait-elle des effets négatifs sur la qualité de vie ?

 

Non, au contraire, toutes les expériences menées sur cette nouvelle trame d’organisation temporelle, montrent les effets positifs sur la QVT, que ce soit dans le secondaire ou le primaire. Une preuve parmi d’autres : aucune des équipes engagées dans ce type d’expérimentation, n’avait souhaité, et ne souhaite un retour en arrière à une situation traditionnelle.

 

D’abord un constat : l’emploi du temps scolaire construit sur une succession régulière d’une plage d’une heure, héritage d’un lointain passé, est une hérésie pédagogique comme le confirme notamment (et encore) la Cour des comptes : « l’organisation du temps scolaire n’est pas prioritairement conçue en fonction des élèves dont les rythmes d’apprentissages sont hétérogènes et variables au cours de l’année » Notre constat nous a amenés à considérer que les adultes pour une bonne partie, n’en sont pas non plus, bénéficiaires… Alors ?

 

La solution ne se situerait-elle pas dans la construction d’un véritable lien entre pédagogie, niveau des élèves, et durée et place des apprentissages. Les résultats de l’expérimentation  conduite par L’INRP (Aniko Husti) sur la mise en place d’un emploi du temps mobile pendant 10 ans dans une cinquantaine de Lycées et Collèges montrent tout l’intérêt de la « différenciation du temps de service des enseignants en cours d’année » ; à noter que la réflexion promise par le Ministre sur les rythmes scolaires des lycées et Collèges peut difficilement contourner cette problématique.

 

Le rapport préconise moins d’enseignants. Qu’en pensez-vous ?

 

Sur ce point la Cour des comptes se trompe et ne voit pas les conséquences profondes de la suppression de 80 000 postes en 10 ans. Il serait instructif aujourd’hui de voir s’il existe ou non un lien de entre cette évolution et la chute régulière des classements PISA depuis 2000 mais aussi avec le classement UNICEF sur les inégalités scolaires qui  place la France 23éme sur 24.

 

Bien sûr que l’importance du nombre d’enseignants ne suffit pas pour refonder l’école et qu’il faut le lier à « enseigner autrement ». Toutefois ces créations de postes se justifient à mes yeux sur 4 secteurs en relations directe avec l’amélioration de la qualité de vie et de la réussite à l’école tant pour les enseignants que pour les élèves : la scolarité des moins de 3 ans, la création du dispositif 2 maîtres une classe (plus particulièrement pour les CP), l’arrêt du démantèlement des RASED et l’amorce de leur refondation, le développement des  dédoublements des classes « difficiles » et/ou surchargées dans les collèges.  

 

Propos recueillis par François Jarraud

 

Notes :

(1) Le climat scolaire dans les lycées et collège ; Georges Fotinos (Mgen,Casden,Fas) 2005

Le climat des écoles primaires ; Georges Fotinos(Mgen,Maif)2006

Le moral des personnels de direction ; Georges Fotinos (Mgen,Maif,Casden,Fas) 2008

La Qualité de Vie au Travail ; Georges Fotinos & José Mario Horenstein(Casden)2011

Le climat scolaire et la victimation des enseignants et directeurs des écoles primaires Eric Debarbieux & Georges Fotinos (Médiateur de la République,Fas) 2012

(2) Portrait des enseignants du 1er degré ; les dossiers de la DEPP/MEN n°167 Sept 2005

(3) La coopération éducative « établissements et vie scolaire » Georges Fotinos ; Rapport aux Ministres de l’éducation nationale et de l’Agriculture et de la pêche ; novembre 2001

(4) Etre professeur d’éducation physique en 2009 ; les dossiers de la Depp /Men n°195 Février  2009

(5) Les enfants laissés pour compte ;t ableau de classement des inégalités de bien être entre les enfants de pays riches ; Unicef/Centre de recherche Innocenti ; Bilan 9 novembre 2010



25/06/2013
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