Revue de presse : Article sur www.cafepedagogique.net du 07/03/2012 : Les manuels scolaires véhiculent-ils des images sexistes ?
Papa fume sa pipe dans son fauteuil et maman fait la vaisselle. Cette image traditionnelle des manuels scolaires est-elle encore dominante actuellement ? Oui, si l'on en croit Sabrina Sinigaglia-Amadio, sociologue à l'Université de Lorraine, qui a effectué pour la Halde, en 2008, une étude sur la discrimination dans les manuels scolaires. Elle nous en montre l'importance et donne des pistes pour s'en affranchir.
Peut-on dire que nos manuels scolaires soient sexistes ?
Depuis la fin des années 1970, plusieurs études ont mis en évidence ce phénomène. Celle que j'ai réalisée avec mes collègues psychologues et juristes pour la Halde en 2007-2008 fait le même constat. Pourtant les manuels sur lesquels nous avons travaillé sont sortis après la loi sur l’égalité professionnelle de 2001 et celle sur la parité de 2005. S'il y a quelques améliorations, d'une façon générale on a toujours une représentation stéréotypée de la place des femmes dans les manuels scolaires. Elle reste centrée dans l'espace domestique, en lien avec les enfants, la famille. La réalité de la diversité professionnelle des carrières féminines n'est pas présentée dans les manuels. Par exemple, dans le monde médical, tel qu'il est vu dans les manuels, dans 99% des cas le médecin est un homme et s'il y a un infirmier, c'est une femme. Cela alors que les universités de médecine comptent entre 60 et 70% de filles en premier cycle. L'image de l’homme dans son fauteuil fumant sa pipe et de la femme s'occupant de la maison et des enfants est toujours présente dans les manuels. Les manuels qui ont évolué sont marginaux.
Les manuels d'histoire, par exemple, font-ils de la place aux femmes ?
Ils s'intéressent surtout à l'histoire politique. Or dans les pays développés l'accès massif des femmes aux carrières politiques est quelque chose de relativement récent. Aussi les femmes sont-elles surtout présentes sous forme d'icône, emblème ou allégorie (déesses, Marianne, la « Liberté guidant le peuple »), en tant que "femme de", "mère de" ou "fille de" ou comme séductrice. Même quand elles sont évoquées en tant que figures historiques (ce qui concerne une petite dizaine de femmes, comme Louise Michel), elles n'ont pas les honneurs d'une double page. Elles occupent au final très peu de place dans le manuel.
Cette représentation influe-t-elle sur les choix d'orientation des élèves ?
Dans les manuels scolaires, les filles sont mises en scène dans des domaines très ciblés : principalement l’éducation et le social. C’est dans ces métiers qu’elles peuvent se projeter. Mais cette vision est renforcée par les médias, la télévision, les publicités. Tout l'environnement renforce les stéréotypes et pas seulement les manuels. Tout indique aux garçons que tout est possible, même cosmonaute, et que c'est différent pour les filles.
Les manuels influent-ils sur les attitudes des jeunes filles à l'école ?
Des études, comme celles de JP Terrail, N Mosconi ou A Jarlégan, ont montré que le comportement en classe des garçons différait de celui des filles. Notamment parce que l’attitude des enseignants et des enseignantes diffère à leur égard. On n'interroge pas de la même façon un garçon ou une fille par exemple. On pose une question de restitution de connaissances à une fille et une question de réflexion à un garçon. Il y aurait aussi beaucoup à dire sur les représentations sur les filles en maths et en sciences. Chacun de nous a intériorisé ces représentations. Du coup les filles peuvent parfois s’autoéliminer dans certaines situations, comme en cours de maths.
Ces constats ont été faits il y a longtemps. Comment expliquer que ces représentations soient toujours actives ?
Les stéréotypes passent le plus souvent inaperçus. Du côté des enseignants, le manuel est d’abord un support pédagogique. Ils ne remarquent le traitement différencié des filles et des garçons que s’ils se penchent vraiment sur la question. On est dans le domaine de l’habitude. Du côté des éditeurs, il n’y a pas de consignes explicites. Et la législation n’est pas assez coercitive.
Que préconisez-vous pour améliorer cet état de fait ?
Il me parait nécessaire que les auteur-e-s et les éditeurs et éditrices soient sensibilisés à la question de la diversité et de l'égalité. Cela dépasse d'ailleurs la parité. On voit bien que dans les manuels les représentations de l’homosexualité, de la vieillesse, du handicap sont absentes ou caricaturales. Il faut aussi sensibiliser les enseignants à ces questions. En attendant la publication de manuels non sexistes, on peut travailler avec les élèves à déconstruire les représentations stéréotypées que l’on trouve dans les manuels d’aujourd’hui. Aussi je crois qu'il faudrait une réponse à la hauteur des enjeux, c'est à dire des questions d'orientation des filles et des garçons. Il faut former les enseignants sur ces questions. Sinon on n’avancera pas.
Propos recueillis par F. Jarraud
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