Revue de presse : Article sur www.cafepedagogique.net du 07/12/2010 : Que faut-il attendre de Pisa ?
Quel sera l'impact de la publication ce matin de PISA ? PISA sert-il à mieux connaître l'Ecole ou à servir les politiques ? Nathalie Mons, qui a participé au programme PISA et qui connait fort bien PISA puisque ses analyses ont fortement nourri son ouvrage Les nouvelles politiques éducatives (PUF 2007), nous aide à y voir plus clair sur les enjeux de ce rapport international.
Le Café pédagogique : L’OCDE va publier cette semaine les résultats de l’enquête PISA 2009. Nous savons déjà que ces résultats vont être repris largement par les médias. Qu’apporte vraiment PISA ?
Comme outil scientifique, PISA est une source importante pour les chercheurs et pourrait l’être pour les politiques. Il nous renseigne tout d’abord sur les acquis des élèves dans des domaines spécifiques qui sont aujourd’hui incontournables à l’école. Cela ne veut pas dire que les mesures des littératies dans différents domaines que propose l’enquête reflètent la totalité ce qui doit être acquis à l’école, ni que le concept de compétences central dans PISA ne puisse pas être questionné. L’enquête de l’IEA qui repose sur une analyse de la maîtrise des programmes scolaires offre aussi une autre vision des acquis des élèves tout à fait intéressante. De plus, PISA nous offre une mesure de certains des acquis qui doivent être le résultat de la scolarisation mais il ne s’agit que d’une vue partielle. Par exemple, l’étude de l’IEA Civics Education sur les attitudes civiques des élèves est tout aussi complémentaire, car l’école est un lieu de socialisation, une école du vivre ensemble, ce qu’il ne faut pas oublier quand on regarde ces palmarès. PISA nous offre un indicateur parmi d’autres de ce que produit l’école.
Au-delà des palmarès, qu’est-ce que ces enquêtes ont permis de montrer ?
PISA qui lie un test cognitif sur les acquis des élèves et des questionnaire de contexte qui permettent de décrire les conditions d’apprentissage des élèves a permis de mettre en évidence quelques résultats intéressants. Par exemple, il existe un lien entre le budget de l’éducation et les performances scolaires même si au-delà d’un certain seuil de dépenses ce sont davantage des caractéristiques institutionnelles qui jouent. PISA a aussi permis de montrer la corrélation entre élites scolaires, importance des élèves en difficulté et score global. Dès lors que les systèmes éducatifs visent à élever le niveau d’acquisition de tous élèves, ils parviennent aussi à un score national important, des élites nombreuses et réduisent l’échec scolaire. Cela peut sembler trivial statistiquement parlant mais cela rompt avec un discours qui opposait traditionnellement soutien aux élèves en difficulté et recherche d’une élite. Pour avoir une bonne élite scolaire, il faut élargir son vivier de recrutement en poussant vers le haut l’ensemble des élèves.
L’enquête a -t-elle abouti à d’autres conclusions ?
Grace à PISA, les résultats d’autres recherches au sujet de l’école unique ont pu être confortés. L’école unique quand elle suit certaines caractéristiques (enseignement individualisé, promotion automatique, classes hétérogènes…) est associée à un niveau de performance global plus élevé et des inégalités globales et sociales plus faibles que l’école à filières. C’est un résultat important à l’heure où nous voyons en France se dessiner une forte remise en cause du collège unique qui ne doit non pas être abandonné mais rénové.
Pourquoi malgré ces apports critique-t-on aussi fortement l’usage politique de PISA et les palmarès qui y sont associés ?
Il y a deux faces, voire deux outils dans PISA : un outil scientifique qui permet aux chercheurs dans le cadre d’analyses secondaires d’approfondir le champ de l’évaluation des politiques publiques d’éducation. Si l’on est bien conscient des limites des analyses menées avec cet instrument, il s’agit pour notre communauté d’un outil tout à fait intéressant. Mais Pisa est aussi un outil de communication pour l’OCDE et les gouvernements qui mobilisent plus particulièrement les résultats présentés sous forme de palmarès, à la fois pour des usages de compétition internationale et de légitimation des réformes en internes. Il y a toujours eu cette tension au sein de ces outils de benchmarking entre une approche scientifique et une instrumentalisation politique, les médias servant de passerelles entre ces deux mondes. L’histoire du benchmarking international des acquis des élèves le montre. Dès la fin des années 1950 un groupe de chercheurs s’étaient réunis sous l’égide de l’UNESCO-Hambourg pour développer ce qui apparaissait alors comme un rêve scientifique : créer le premier test de comparaison des acquis des élèves qui servirait de socle à la constitution d’un laboratoire mondial géant permettant de mieux comprendre les apprentissages des élèves, un rêve dans le courant scientifique positiviste. Finalement c’est dans le contexte du lancement de Spoutnik par les Soviétiques, de concurrence internationale et de guerre froide exacerbées qui suivirent que le pilote du test trouvera son financement. Il sera développé par l’organisation internationale IEA qui réalise aujourd’hui les tests TIMSS dans le secondaire et PIRLS au primaire grâce à un financement apporté par les Etats-Unis. Ce pays, doublé par les Soviétiques dans la course dans l’espace, traversait alors une crise de confiance dans la qualité de son éducation notamment scientifique. L’objet PISA renferme aujourd’hui également à la fois un instrument scientifique et un benchmark de politique nationale et de compétition internationale. C’est ce qui fait son succès.
Est-ce que PISA et l’OCDE influencent les politiques nationales ?
Tout à fait indirectement, car la décision en action publique est toujours complexe. Les résultats de PISA peuvent influencer les représentations des politiques et de l’opinion publique s’ils trouvent déjà un écho dans ce sens. Dans une étude réalisée dans le cadre d’un projet européen KnowandPol sur les usages scientifiques, médiatiques et politiques de PISA, auquel j’ai rajouté un sous-échantillon de pays qui avaient connu un vrai choc PISA, nous avons pu constater par exemple qu’un même niveau de résultats dans l’enquête - faible par exemple - mobilisait le politique dans certains pays dans le sens de la réforme ou était passé sous silence dans d’autres. Nous avons aussi pu constater que certains enseignements de PISA était repris - par exemple l’efficacité de l’école unique -dans certains pays et pas dans d’autres. Par exemple, PISA n’a pas remis en cause l’école à filières allemande. Par ailleurs, souvent les résultats de PISA sont instrumentalisés pour légitimer des réformes sans lien avec les enseignements de PISA. Bref, il y a une forte déconnexion entre les résultats de l’enquête, les préconisations de l’OCDE en termes de politiques éducatives et les réformes réellement décidées et mises en œuvre au nom de PISA. Ce qui ne veut pas dire que l’enquête n’influence pas le politique mais cette influence est diffuse, elle joue certainement sur les représentations qui sont en amont de la décision publique. La thèse du complot qui verrait l’OCDE comme un chef d’orchestre de la convergence des politiques éducatives nationales est naïve et ne repose pas sur des terrains d’investigations réels. De même que le mouvement de l’evidence-based policy qui affirme que l’élaboration des politiques publiques doit s’appuyer majoritairement sur le résultat des recherches méconnait aussi en grande partie les mécanismes de production de la décision en action publique. Les liens ne sont pas directs entre expertise scientifique et décision politique.
Après les résultats des trois premières enquêtes de PISA, qu’est-ce qui doit aujourd’hui attirer notre attention ?
Les résultats français globaux sont apparus le plus souvent dans la moyenne lors des différents cycles, avec un résultat au-dessus de la moyenne en majeur mathématiques en 2003. Sans que cela classe le pays en tête des classements de PISA, de fait cela ne légitime pas les discours catastrophistes et la dénonciation d’une crise de l’éducation en France tels qu’ils ont été développés notamment lors de la publication de PISA 2006. On retombe ici sur la tension entre analyse scientifique et instrumentalisation politique.
Au-delà du score national moyen, il faut particulièrement regarder l’évolution de l’importance des élèves en difficultés, c’est-à-dire ceux qui n’atteignent pas le niveau 1, car ce niveau est élevé en France. Ce résultat est en lien avec des inégalités scolaires d’origine sociale qui ne sont pas négligeables. Là aussi il faudra regarder les résultats en termes de disparités produits par PISA 2009. Les résultats de PISA 2009 sont d’autant plus intéressants que la majeur de cette enquête se trouve de nouveau être la compréhension de l’écrit comme PISA 2000. L’évolution des acquis des élèves sur ces dix années va nous renseigner sur les possibles effets des politiques éducatives mises en œuvre pendant cette période. Ces dix ans font sens en termes d’évaluation des politiques publiques d’éducation.
Nathalie Mons, maître de conférences en sociologie à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée, a participé un temps au consortium de PISA 2009 pour une analyse comparative des politiques éducatives. A conduit une évaluation des politiques éducatives développées dans l’OCDE en mobilisant PISA dans l’ouvrage : Les nouvelles politiques éducatives, PUF 2007.
A réalisé une recherche sur les usages scientifiques, médiatiques et politique de PISA dans l’élaboration des politiques éducatives, dans le cadre du projet européen KnowandPol.
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