Revue de presse : Article sur www.cafepedagogique.net du 17/12/2010 : Rythmes scolaires : " Pour améliorer les rythmes scolaires, il faut rompre avec le principe : un maître- une classe "
Jacques Lanfranchi, directeur d'école et conseiller syndical au SNUIPP, a fait partie des précurseurs dans l'aménagement des rythmes scolaires en fonction des besoins des enfants et des préconisations des chronobiologistes, dans les années 90. Pleinement en accord avec les constats du rapport Tabarot, il reste plus dubitatif sur les solutions préconisées. Il nous livre ses impressions.
Ce rapport vous semble-t-il pertinent quant aux problèmes actuels des rythmes scolaires ?
En ce qui concerne le primaire, il pose en effet tous les constats nécessaires ; on peut juste s'étonner qu'il émane de ceux-là mêmes qui ont voulu la semaine de 4 jours et l'alourdissement des programmes, aggravant presque toutes les difficultés pointées par le rapport : journée trop longue, année trop courte, perte du temps de dialogue avec les familles, difficulté de « boucler » les programmes, inadaptation des contenus aux conditions d'apprentissage des élèves... Le Recteur Blanquer soutient que la réforme de 2008 admettait une « préférence implicite » pour la semaine de 9 demi-journées, mais les textes la présentaient comme une « possibilité dérogatoire », pas vraiment comme un modèle souhaité. Les enseignants de primaire étaient assez unanimes pour en dénoncer les effets négatifs, il est dommage qu'on n'ait pas tenu compte de leur avis.
L'aide personnalisée, en revanche, n'est pas jugée préjudiciable au rythme des enfants ?
Le rapport souligne son utilité mais aussi sa lourdeur pour les élèves qui en bénéficient. Or la question de son emplacement dans la journée reste irrésolue : ni le matin, ni le midi, ni le soir, conseille le rapport. Quant aux contenus, les enseignants n'ont reçu ni aide, ni temps de concertation pour les concevoir de manière réfléchie. Une telle mesure, pour fonctionner, devrait être intégrée dans le temps de classe ordinaire ; mais cela supposerait qu'il y ait plus d'enseignants que de classes, c'est-à-dire une rupture avec le schéma « un maître- une classe ». L'exemple de la Finlande est édifiant : une durée du temps scolaire progressive selon l'âge, un dépistage précoce des difficultés, un soutien régulier, intégré aux heures de classe, et les résultats sont très bons. Mais le rapport souligne aussi que l'organisation du temps n'est pas décisive dans les performances scolaires, au regard de la qualité de la formation des enseignants et du rôle des enseignants spécialisés. Le taux d'encadrement de l'école visitée est de 11,22 c'est-à-dire deux fois meilleur qu'en France (par exemple, il est de 22,64 pour mon école de 15 classes, en comptant les RASED). Si on veut créer les conditions d'un meilleur rythme scolaire, on ne peut guère faire l'économie d'effectifs réduits et d'enseignants bien formés.
La différenciation du temps scolaire en fonction de l'âge vous semble-t-elle souhaitable ?
C'est une piste qui n'est pas négligeable. On peut craindre cependant qu'elle ne se fasse au détriment de l'école maternelle, qui est une richesse pour l'école française. La modulation du temps aurait un coût élevé, pour les collectivités, comme l'illustre le modèle cité (par ailleurs exemplaire) de la ville d'Epinal, et elle poserait des difficultés insurmontables en termes de transports scolaires pour les communes rurales.
L' application des cycles pourrait-elle assouplir la gestion des temps scolaires sur l'année?
Le rapport souligne les faiblesses de l'école sur ce point : là encore, le temps de concertation et la formation sur ces pratiques ont été négligés. La répartition par cycles ne s'improvise pas : il faut y travailler et s'y former suffisamment pour que cela fonctionne. Et les cycles ne peuvent pas résoudre le problème des programmes « pléthoriques », encore alourdis en 2008. Le taux de redoublement en CE1 a augmenté de 0,3% entre 2008 et 2009 ; or c'est la classe pour laquelle le changement des programmes associé à la semaine de 4 jours a été le plus lourdement ressenti par les enseignants. Des programmes raisonnables diminueraient les redoublements et le nombre d'élèves en difficulté.
Qu'attendez-vous de ces travaux sur les rythmes scolaires ?
Ils ont l'intérêt de bien montrer les problèmes et quelques conditions nécessaires à l'amélioration des choses : un cadrage national, des marges locales de décision, la nécessité d'une large concertation. Ce qu'on peut craindre, c'est que l’ampleur de la tâche et la volonté d'aller vite vienne tout gâcher. Il faut prendre le temps de discuter et de s'accorder, même si cela peut prendre plusieurs années. Dans les années 90, j'ai lancé une expérimentation d'aménagement du temps dans un groupe scolaire qui réunissait 2 écoles et 8 classes, à Emerainville, en Seine-et-Marne. Au début, la grande idée était l'aménagement du temps sur la matinée, avec des activités extra-scolaires financées par la Mairie l'après-midi. La concertation avec les parents s'est soldée par un échec, parce que le projet impliquait une semaine de 6 jours. Il a fallu entièrement revoir notre aménagement, et nous avons opté pour des horaires décalés (la matinée se terminant à 11h30, 12h ou 12h30 selon les cycles). Nous avons intégré des activités menées par des animateurs formés et de qualité, des ateliers de temps libre pour ceux qui préféraient jouer dans la cour ; le décalage des horaires de cantine a permis une nette amélioration des conditions de vie des enfants (demi-pensionnaires à 95%). En coupant la matinée par 3 récréations, on limitait la fatigue et la baisse de l'attention. Tout a bien fonctionné pendant 6 ans, puis l'IA a arrêté le projet qui dérogeait à la règle de durée horaire maximale de la matinée.
Il est difficile de faire changer l'organisation locale sans un cadre national de régulation et des dispositifs d'incitation ; le travail local sur l'aménagement de la journée est ensuite possible à condition d'avoir une volonté commune d'organisation, entre l'école, les parents et la municipalité, dont le rôle est essentiel. Mais pour qu'une évolution soit possible, il est essentiel que l'ensemble du travail des enseignants et leur formation soient pris en compte et intégrés dans leur temps professionnel.
Propos recueillis par Jeanne-Claire Fumet
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