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Revue de presse : Article sur www.cafepedagogique.net du 20/12/2010 : Le rapport Tabarot : Malgré tout, il faudrait interdire de l’enterrer

Auteur de "La place de l'élève à l'école", inspecteur honoraire, Pierre Frackowiak intervient en faveur du rapport Tabarot sur les rythmes scolaires. Pour lui, "le rapport apporte une caution claire et nette à tous ceux, pédagogues et enseignants sur le terrain, qui ont condamné le scandale des quatre jours, la supercherie de l’aide individualisée, l’obsolescence des nouveaux vieux programmes, la stupidité du pilotage par les résultats, l’erreur de la suppression des RASED".

 

Le rapport de la mission d’information sur les rythmes scolaires de l’assemblée nationale, présidée par Michèle Tabarot, députée UMP, soulève bien des réserves, des interrogations, des objections et des levers de boucliers. Et pourtant, il serait sage et prudent de ne pas le laisser enterrer comme c’est le cas pour tant de rapports parlementaires qui disparaissent de l’actualité, même après des tempêtes médiatiques. Il faut dire que, parfois, ils sont enterrés parce qu’ils ne méritent guère mieux. Ils sombrent alors dans l’oubli le plus profond sans porter le moindre préjudice à qui que ce soit. Sans succomber à un angélisme ridicule, sans être coupable de naïveté, je pense que celui-ci mérite d’être distingué pour au moins trois raisons : l’unanimité qu’il a obtenue, sa portée globale qui va bien au-delà du sujet initial et… les dégâts qu’il produit dans le fonctionnement du système éducatif qui n’en attendait plus tant.

 

Le rapport a fait l’objet d’un vote unanime de la mission, composée dans le respect de la proportionnelle à l’assemblée.

La présidente est à l’UMP, l’un des rapporteurs, Yves Durand, est au PS. Il est peu fréquent qu’un rapport soit adopté à l’unanimité d’autant moins que le sujet est complexe, porteur de tensions fortes, en opposition aux politiques mises en œuvre par une majorité UMP, et susceptible de provoquer des contestations violentes de toutes parts, ce qui s’est avéré. Pourtant, il indique une voie neuve inscrite dans une perspective historique fondamentale. La plupart des projets éducatifs élaborés par les partis politiques voire par les organisations syndicales quand elles s’engagent, sont mis au point pour la durée d’une législature en espérant rester au pouvoir au-delà de son terme, sans jamais réfléchir, ce qui peut paraître normal, aux alternances possibles à court terme. Or, un vrai projet éducatif, une véritable réforme, ont besoin de temps pour être mis en œuvre, régulés, accompagnés, évalués. Il a fallu environ 80 ans pour que le système Jules Ferry se mette en place, s’affirme, réussisse au moins du point de vue de ses pères ou de leurs descendants, puis décline et meurt. On n’a pas laissé le temps à la loi Jospin de 1989 de faire ses preuves, la rejetant sans l’avoir évaluée et sans la moindre larme, même pas de ses concepteurs et de leurs amis. La situation de l’école aujourd’hui est à un tel état de destruction qu’il faudra beaucoup de temps pour reconstruire, pour faire du neuf, pour inscrire le projet éducatif dans une perspective à long terme et dans un projet de société fondé sur des valeurs portées par la Nation. Il faut donc aller au-delà de projets à court terme en pensant aux alternances possibles et même probables. Cette unanimité sur des points dont François Jarraud a souligné l’importance dans un éditorial, met pour une fois en évidence la possibilité de trouver des accords qui transcendent les clivages politiques et les alternances électorales. C’est un événement à exploiter pour tenter d’obtenir le minimum de continuité républicaine nécessaire à la réussite de la réforme vraie dont notre pays a besoin.

 

Le rapport, initialement consacré au temps scolaire a abordé, de manière logique et cohérente, toute une série de problèmes connexes, contrairement aux habitudes.

Depuis toujours, on saucissonne, on cherche des bouts de lorgnette, on réagit à l’actualité sur des questions ponctuelles, on ignore les effets collatéraux… C’est ainsi d’ailleurs que l’on a imposé brutalement, sans concertation ni préparation, les quatre jours pour satisfaire l’opinion et pour faire des économies en négligeant la lourdeur de la journée, notamment pour les enfants en difficulté, le poids des programmes que l’on a même aggravé, l’existence de projets éducatifs locaux, la charge de travail des enseignants, etc ; Or, dans le domaine de l’éducation tout est lié. Pour la première fois, une mission unanime restitue un problème dans sa globalité. Yves Durand, en tant que rapporteur, insiste sur « l'impossibilité de réviser le temps scolaire de l'enfant sans toucher à l'organisation générale de l'école, ainsi que celle des activités extérieures à l'école ». Il interroge tous les acteurs et partenaires du système éducatif : « que doivent être les cycles d'apprentissage au primaire ? Quelle place donner aux disciplines pour acquérir les fondamentaux du socle commun ? Comment dégager du temps pour le travail en équipe ? Ces questions renvoient à un vrai problème politique, dont on ne peut pas repousser les solutions concrètes pendant encore 25 ans ». Comme il a raison ! Le fait de toucher à un élément du système fait nécessairement bouger les autres. Ne pas intégrer cette évidence est un signe d’irresponsabilité. Si l’on touche au temps scolaire, il faut penser aux programmes et à un socle cohérent, aux activités périscolaires, aux missions des enseignants, etc. Le fait que le caractère global de l’éducation soit acté et reconnu à l’unanimité par une mission parlementaire est un atout que personne ne pourra ignorer ou minimiser.

 

Le rapport apporte une caution claire et nette à tous ceux, pédagogues et enseignants sur le terrain, qui ont condamné le scandale des quatre jours, la supercherie de l’aide individualisée, l’obsolescence des nouveaux vieux programmes, la stupidité du pilotage par les résultats, l’erreur de la suppression des RASED, etc. Les professeurs des écoles ont pourtant été oppressés, contraints, menacés, sanctionnés par leur hiérarchie, IA et IEN, dans le cadre d’un développement, sans précédent dans l’histoire, de l’autoritarisme et de la pensée unique. La cour des comptes, l’institut Montaigne, l’académie de médecine, les chrono biologistes, la quasi-totalité des pédagogues (notamment Philippe Meirieu) et des penseurs, ceux des syndicats qui avaient résisté au chant des sirènes libérales, la FCPE, etc., avaient déjà réglé le compte de ces mesures successives, toutes imposées du haut de la pyramide, avec un fonctionnement en tuyaux d’orgues et parapluies à tous les étages, contraire à toute idée de management participatif, moderne et humain, voire même tout simplement au respect du aux enseignants et aux élèves. Le malaise des enseignants, leur souffrance que j’ai décrite dans des tribunes précédentes, leur révolte affichée ou silencieuse, leur résistance active ou passive trouvent dans ce rapport des arguments pour s’opposer à la persistance ici ou là de cet autoritarisme à courte vue. De quoi a l’air aujourd’hui l’inspection générale qui, dans son rapport de juillet 2010 d’une complaisance incroyable à laquelle cette noble institution ne nous avait pas habitués malgré son sens de la loyauté, affirmait que tout allait bien et que toutes les mesures prises depuis 2007/2008 étaient désormais admises, comprises et en bonne voie d’application, confondant allègrement l’apparence souhaitée, le discours politicien et les réalités connues de tous dans les écoles ? De quoi ont l’air aujourd’hui tous les petits chefs qui ont imposé, menacé, contrôlé à outrance, fait l’apologie des programmes et de l’aide individualisée après avoir fait celle des programmes de 2002, s’engouffrant dans le mirage du pilotage par les résultats ? De quoi ont l’air les IA et IEN qui, malgré l’accumulation des avis experts hostiles aux mesure imposées, malgré l’avis d’instances comme le conseil supérieur de la fonction publique, persistent à maintenir les sanctions prises et à en prendre de nouvelles ? Le rapport Tabarot permet à tous les enseignants de lever la tête et de revendiquer le droit de penser.

 

Pour éviter le désastre complet, il serait sage, honnête et courageux d’arrêter la destruction programmée de l’école, d’annoncer officiellement l’interdiction des quatre jours dans les meilleurs délais possibles et la remise en cause des autres mesures qui sont toutes régressives. L’épreuve ne sera pas facile. Les 24 h devant la classe complète sont un acquis, légitime, difficile à supprimer. Comme la mission parlementaire l’a mis en évidence, il faut désormais s’attacher à l’élaboration d’un grand projet éducatif, d’une refondation de l’école, d’une opérationnalisation de la notion d’éducation globale, d’une solide concertation avec les collectivités locales, d’une mobilisation des mouvements d’éducation populaire, etc, non pas pour quelques années mais pour les 30 ou 50 ans qui viennent. On ne surmontera les drames et les soubresauts d’un système en très mauvais état qu’en faisant confiance aux acteurs de l’éducation sur le terrain, en ayant enfin l’audace de renverser la pyramide.

 

Malgré les objections et les doutes, bien compréhensibles, le rapport de la mission parlementaire comprend des ouvertures à ne pas rejeter et des arguments à ne pas enterrer…

 

Pierre Frackowiak



20/12/2010
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