Revue de presse : Article sur www.cafepedagogique.net du 22/06/2015 : La chronique de V.Soulé : L'école qui préfère réparer que punir
A l’école de la rue d’Oran, dans le très populaire quartier de la Goutte d’Or, à Paris, on ne punit pas les élèves. On discute avec eux. Et le fautif a ensuite la possibilité de réparer. A l’heure où résonnent les discours d’ordre et d’autorité, c’est bon d’entendre autre chose. Reportage.
Il est 16 heures, la fin des cours. Les élèves envahissent les escaliers, nombreux dans cette école. Puis ils commencent à s’éparpiller. Certains, dont les mamans attendent devant la porte, à côté du petit potager de l’école, rentrent chez eux. La plupart restent et partent goûter dans la cour.
Véronique Bavière, la directrice, traverse le préau et aperçoit deux élèves. Elle leur fait signer de venir. « On m’a dit que vous vous étiez insultés aujourd’hui, je vous inscris en ARR », annonce-t-elle. Loin de chercher à nier, ils se mettent à expliquer. Mais la directrice n’a guère le temps – « on en parlera en ARR ». Les deux élèves approuvent et partent dans la cour, chacun de leur côté.
Des TIG pour réparer
ARR pour « Atelier de Réflexion et de Réparation ». Dans cette école Zep, où la grande majorité des enfants sont d’origine étrangère, on a recours à une méthode particulière pour apaiser le climat scolaire. Les élèves qui ont dérapé en dehors des cours – dans la classe même, ce sont les professeurs qui gèrent dans la mesure du possible – participent à un atelier le soir. Ils reviennent sur ce qu’ils ont fait et réfléchissent en quoi ils ont enfreint les lois et les règles de l’école. Puis on trouve un moyen de réparer, sous forme de TIG (travail d’intérêt général).
C’est justement pour animer un ARR que Véronique Bavière hâte le pas vers la salle informatique, au rez-de-chaussée, qui accueille trois ateliers par semaine. Un enseignant, Germain Faure, la rejoint. Deux adultes sont présents à chaque atelier. Sur la grande table au centre de la pièce, des cahiers colorés sont posés où sont rappelés les règlements. A l’école de la rue d’Oran, ce sont les élèves qui, en conseil de classe et en conseil d’école, définissent les règles.
«Je me suis pas rendu compte… »
Cinq enfants sont présents ce jour-là, que des garçons. Deux ont mangé des bonbons dans la cour. Un s’est moqué tout haut d’une camarade qui avait raté le ballon en gym. Un autre a été insolent : pendant un devoir sur table, il a traité une élève de tricheuse, puis il a refusé de sortir de la classe. Enfin un petit de CP, agité, a cassé des crayons appartenant à la classe.
Véronique Bavière prend le cahier où les adultes – enseignants, surveillants… – ont consigné les dérapages. Elle les lit à haute voix et demande à l’élève concerné ce qu’il en pense. Certains reconnaissent sans problème, l’air contrit. D’autres tentent de vagues justifications – « je savais pas », « je me suis pas rendu compte »… Un seul résiste, celui qui s’est moqué - « il s’est rien passé ». Véronique Bavière va discuter plus longtemps avec lui.
Une affiche sur les dangers des bonbons
Les deux mangeurs de bonbons échangent avec la directrice. « Avant, on avait le droit, argumente l’un d’eux, pourquoi plus maintenant ? ». « Oui, à un moment, ça a été autorisé en récréation, reconnaît Véronique Bavière, mais on s’est aperçu que des élèves se volaient entre eux, que certains les recrachaient par terre et en mangeaient en classe. Si vous voulez changer le règlement, vous savez ce qu’il faut faire : en parler à votre délégué pour qu’il le propose en conseil de classe, puis que ça remonte en conseil d’école.»
Les deux copains écopent d’un TIGE : ils vont devoir faire, pendant l’atelier, une affiche sur les dangers des bonbons. Ils vont prendre une grande feuille, s’assoient dans un coin et commencent un brouillon à haute voix : « Chers enfants, la consommation de bonbons est dangereuse pour notre corps. Quand tu en manges beaucoup, tu peux avoir des caries… »
Tailler des crayons
Germain Faure, lui, a pris en charge Arthur, le petit de CP. Il est allé avec lui dans les couloirs pour lui montrer les affiches sur les murs avec les lois qui, à l’école d’Oran, s’appliquent aux enfants comme aux adultes. Il les déchiffre avec lui et s’attarde sur certaines : « Personne n’a le droit d’être violent physiquement », «Personne n’a le droit de porter atteinte aux biens d’autrui »…
Arthur aussi va devoir réparer. Il est « condamné » à tailler les crayons de couleurs de la classe. Il s’y plie de bon coeur. Régulièrement, il vient montrer à l’instit comme il les taille bien, très fier de lui.
« Je m’excuse Elodie… »
Kevin, qui a bousculé sa camarade accusée de tricher, s’est mis à rédiger une lettre d’excuse. « Je m’excuse Elodie, je savais pas que tu avais mal. La prochaine fois que je serai en colère, je respirerai en mettant la main sur le ventre… » Noël, le récalcitrant, a fini par reconnaître que se moquer devant tout le monde d’une camarade pouvait blesser. Il s’est mis aussi à un mot d’excuse.
Nommée rue d’Oran il y a douze ans, Véronique Bavière a mis en place ces ateliers en 2008. Elle assure que les résultats sont probants : dans les couloirs et la cour, insultes et bousculades sont beaucoup plus rares.
Des professeurs qui s’investissent
« Trois choses concourent à la violence, explique-t-elle, le mal être, l’insécurité et le manque de situations d’expression, et ces ateliers y répondent ». L’équipe enseignante adhère aux innovations pédagogiques de l’établissement. « Beaucoup de situations de violence sont provoquées par l’injustice, explique Germain Faure qui, arrivé il y a un an et demi, est déjà un chaud partisan de la réparation éducative. Ici les cadres sont fixés avec les lois, elles s’appliquent aussi aux adultes et les enfants ont du pouvoir.»
Tout cela semble simple, presqu’idéal. « Attention, cela peut paraître attrayant, avertit la directrice, mais il faut que ce soit vraiment pensé avec l’équipe pour que ça marche ». Il existe une autre condition : l’investissement des professeurs au-delà de ce qui leur est demandé. Et cela, malheureusement, est trop peu valorisé dans le système français.
Véronique Soulé
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